Champagne, Alsace, Bourgogne et Beaujolais : quatre vignobles sous serre dans la Marne, une première en France

Les vignobles français doivent aujourd’hui lutter de plus en plus contre des maladies émergentes et faire face aux changements climatiques. Pour préserver leurs filières, quatre interprofessions ont décidé de s’unir et d’installer des serres bioclimatiques communes. Une première en France.

Tous les vignobles de France et d’Europe sont concernés. Le changement climatique met les professionnels de la vigne face à des situations de sécheresse ou de grosse pluviométrie, ou encore de phénomènes climatiques inédits. Des situations de crise qui amènent la vigne a tenté de s’adapter. Mais combien de temps, encore, le pourra-t-elle ? Une vigne qui puise pour lutter est aussi une vigne qui s’affaiblit. Les maladies, bien connues, comme le mildiou ou l’oïdium en profitent pour s’installer et réduire à néant la récolte comme ce fut le cas en 2021. Et puis d’autres émergent.

Nous sommes convaincus que, face aux attentes sociétales, notamment la réduction des pesticides, et aux changements climatiques, nous devrons sans doute utiliser des variétés de vignes nouvelles.

Arnaud Descotes, technicien au Comité Champagne

"On voit arriver dans notre vignoble des jaunisses, comme la flavescence dorée, explique Arnaud Descotes, technicien au Comité Champagne. On a la maladie du bois noir qui ressemble à la flavescence et des maladies émergentes notamment une que l’on appelle le GPGV, la virose du pinot gris, qui est apparue en Europe et en France depuis quelques années et pour laquelle on n’a pas vraiment d’explications."

Depuis 10 ans, ces changements s’accélèrent. Depuis encore plus longtemps, le Comité Champagne travaille pour tenter d’apporter des solutions durables. "Nous sommes convaincus que, face aux attentes sociétales, notamment la réduction des pesticides, et aux changements climatiques, nous devrons peut-être et sans doute utiliser des variétés de vignes nouvelles, précise Arnaud Descotes du Comité Champagne. Nous avons un triple objectif. Réduire l’utilisation des produits de protection et donc obtenir des variétés nouvelles, résistantes naturellement aux principales maladies. Deuxièmement, adapter ces vignes aux changements climatiques. Et enfin, elles devront avoir la typicité Champagne. Dès que l’on va obtenir ces nouvelles variétés, il va falloir les pré-multiplier, puis les multiplier pour les vendre aux pépiniéristes qui alimenteront ensuite les vignerons et les maisons de Champagne". Ce programme est à horizon 2030 et pour augmenter ses chances de réussite, le Comité Champagne et trois autres interprofessions ont décidé d’unir leurs forces.  

Remonter aux racines

Pour comprendre l’enjeu de la filière viti-vinicole, il faut remonter aux fondamentaux. Ceux de la filière "bois et plants de vignes" confiés par le ministère de l’Agriculture à l’Institut français de la vigne et du vin.

"Tout démarre dans le sable au Grau du Roi non loin de Montpellier, explique encore Arnaud Descotes. Tout près de la mer, dans des conservatoires, l’ensemble des cépages français sont conservés". Pourquoi du sable ? Parce que c’est le rempart au phylloxéra. "Chaque cépage français possède un ou deux plants que l’on appelle les ceps initiaux. A partir de ces ceps-là, on va commencer à multiplier les plants". L’institut français de la vigne et du vin (IFV) confie la suite à des professionnels agréés. Objectif : multiplier ces plants pour pouvoir ensuite fournir les filières. Des plants d’une qualité sanitaire irréprochable. Cette multiplication passe par deux étapes. La pré-multiplication et la multiplication. "Pour la Champagne, le Comité Champagne est pré-mutiplicateur conventionné avec l’IFV, rappelle Arnaud Descotes. C’est lui qui gère le parc de vignes de pré-multiplication. Une étape intermédiaire pour produire un peu de bois de vigne qui va servir à mettre en place l’étape suivante : la multiplication."

Le problème aujourd’hui, ce sont les développements de maladies portés par des insectes vecteurs, maladies qui existent déjà mais aussi d’autres émergentes

Arnaud Descotes, technicien au Comité Champagne

En Champagne, 1,5 hectare est consacré à la pré-multiplication des bois et plants de vigne et 40 hectares le sont à la multiplication, également appelés le verger de vignes mères, géré aussi par le Comité Champagne. "Aujourd’hui, on a donc un verger de vignes mères en multiplication, pour la plupart en dehors du vignoble, en dehors de l’AOC Champagne, pour tenter de l’éloigner des ravageurs de la vigne. Ce sont des vignes dans lesquelles on va uniquement chercher des bois, les raisins sont détruits et mis au sol. Des bois qui sont ensuite vendus aux pépiniéristes qui ont la charge d’alimenter la filière champenoise. Ça, c’est le dispositif tel qu’il existe aujourd’hui".  

Des serres bioclimatiques en renfort

Ces cultures de pré-multiplication et de multiplication des plants des cépages champenois se font en plein champ. Une technique devenue problématique. "Le problème aujourd’hui, ce sont les développements de maladies portés par des insectes vecteurs, maladies qui existent déjà mais aussi d’autres émergentes, explique Arnaud Descotes. Les vergers des vignes mères, mais aussi les vignes qui servent à la pré-multiplication sont touchés."

C’est un projet totalement innovant, ce sera le premier projet de ce type en France et évidemment c’est un gros investissement et une organisation importante.

Arnaud Descotes, Comité Champagne

Toutes les régions viticoles de France multiplient leurs plants de la même façon et sont touchées aussi, plus ou moins, par les mêmes problèmes. L’objectif pour toutes est donc de tenter de sécuriser ces étapes pour continuer à alimenter les vignobles en nouveaux plants, mais aussi pour mettre à l’abri les nouvelles variétés qui permettront de lutter contre les changements climatiques. "Un, on sécurise vis-à-vis des attaques de maladies et de ravageurs, et deux, on obtient de la flexibilité, de la souplesse pour nous adapter, demain, face à une demande qui pourrait changer, reprend Arnaud Descotes. Dans une serre, on va avoir des plants qui ne sont plus en terre, mais dans des gros containers. Donc si les vignerons nous disent dans 5 ans, 10 ans, ou 15 ans, moi je ne veux plus de chardonnay, je ne veux plus de pinot parce que je préfère planter des variétés résistantes et adaptées aux changements climatiques avec une bonne typicité champagne, il va falloir que l’on s’adapte très vite à cette nouvelle demande."

Ces serres ne serviront qu’à l’étape de pré-multiplication, le verger de vignes mères restera en plein champ. Elles seront bioclimatiques avec une gestion importante de certains paramètres comme la température, l’humidité, la surpression pour éviter aux insectes de rentrer. Il y aura des sas d’entrée et des procédures sanitaires très strictes devront être respectées. "L’objectif, c’est bien de sécuriser d’un point de vue sanitaire la production de bois de vigne. C’est un objectif considérable et ça veut dire que l’on sera complètement en rupture par rapport au schéma de pré-multiplication historique qui est le plein champ. C’est un projet totalement innovant, ce sera le premier projet de ce type en France et, évidemment, c’est un gros investissement et une organisation importante. Cela justifie le fait que quatre régions viticoles se sont unies pour monter ce projet : la Bourgogne, l’Alsace, le Beaujolais et la Champagne. Quatre régions viticoles en zone septentrionale de culture de la vigne. Les quatre interprofessions ont décidé d’unir leurs forces et leurs moyens pour monter ce projet."

Les conservatoires de cépages des quatre vignobles seront aussi concernés. Ils sont, eux aussi, actuellement cultiver en plein champ. "Dans une population d’un cépage, il y a des types très différents. C’est un vrai patrimoine génétique qu’il faut absolument conserver pour l’avenir. Ces conservatoires sont actuellement en plein champ, dans nos vignobles expérimentaux. Et donc l’objectif, à terme, c’est aussi d’intégrer cette phase de conservation du patrimoine génétique dans la serre pour la mettre à l’abri des principales maladies et des principaux ravageurs".  

La Champagne terre d’accueil  

Plusieurs sites étaient candidats pour l’accueil de ces serres bioclimatiques. L’Alsace, la Bourgogne et la Champagne avaient déposé, dans le courant de l’année 2021, un dossier. "Une grille d’évaluation a été établie pour juger de la qualité des sites proposés, explique le technicien du Comité Champagne. Cela a été fait par un cabinet indépendant et sur la base des résultats, les professionnels du vignoble des quatre régions viticoles ont décidé. Une quarantaine de critères a été évalué et c’est le site champenois qui a obtenu la meilleure note."

La clé de répartition du financement n’est pas encore décidée. Il n’y a pas les mêmes surfaces de vignes, il n’y a pas les mêmes chiffres d’affaires. Il faut converger et définir une règle qui convienne à tous

Arnaud Descotes, Comité Champagne

Le site retenu est sur la commune d’Oger, en plein cœur du vignoble de la Côte des Blancs. Si le dossier technique rassemble les quatre interprofessions, il faut désormais engager toutes les étapes qui mèneront à l’ouverture de ces serres en 2024. C’est un terrain de près de trois hectares qui accueillera à terme entre 7 et 8.000 mètres carrés de serres. "Dès que la structure juridique sera formée, il va falloir recruter un directeur. C’est un métier très particulier, très spécialisé. Ensuite, il faudra qu’il recrute lui-même des techniciens pour l’accompagner et puis il y aura du personnel temporaire, un peu comme pour le vignoble, il y aura du travail avec pas mal de saisonniers."

7 millions et un financement partagé  

"Nous avons déposé un dossier à la mi-décembre pour répondre à un appel à projet pour bénéficier de fonds européens. Nous espérons aussi être dotés de quelques fonds supplémentaires des régions administratives. Il nous reste du pain sur la planche. Les quatre interprofessions vont créer une structure juridique qui reste à définir. C’est elle qui va porter le projet en notre nom et pour notre compte. La constitution de la structure juridique est un gros morceau tout comme la contribution financière de chaque interprofession. La clé de répartition du financement n’est pas encore décidée. Il n’y a pas les mêmes surfaces de vignes, il n’y a pas les mêmes chiffres d’affaires. Il faut converger et définir une règle qui convienne à tous".  

Cette étape doit avoir lieu dans le premier semestre 2022, tout comme l’étude technico-économique plus poussée qui permettra d’établir le business modèle. Puis un permis de construire doit être déposé. "On espère réaliser tout cela dans le courant du premier semestre et le finaliser à la mi 2022. L’objectif étant de démarrer les travaux dans le courant du second semestre pour une durée de deux années. On vise mi 2024 pour livrer le projet et entrer en production dans la deuxième partie de 2024, pour une sortie des premiers plants en 2025".

Nous sommes en train de revoir complètement les bases avec des enjeux sociétaux et climatiques tout en tentant de conserver la typicité de nos vins. Ce sont des enjeux colossaux

Arnaud Descotes, Comité Champagne

A terme, il s’agit, dans ces serres bio-climatiques, d’assurer l’étape de pré-multiplication des plants de l’Alsace, de la Bourgogne, du Beaujolais et de la Champagne. "On abandonnera le plein champ, dès que la serre sera au gabarit final".  

Un des virages les plus importants  

"La viticulture française a connu deux grands virages, raconte encore Arnaud Descotes. A la suite de la crise phylloxérique les vignobles français et européens ont été reconstruits grâce aux greffages, la parade au phylloxéra. On a mis nos cépages sur des racines américaines. Le deuxième virage fait suite à la Seconde Guerre mondiale et a abouti à l’intensification des pratiques comme dans tous les secteurs de l’économie. Et là, on est en train de préparer la suite avec une troisième rupture, sans doute du même niveau voire supérieure aux autres. Nous sommes en train de revoir complètement les bases avec des enjeux sociétaux et climatiques tout en tentant de conserver la typicité de nos vins. Ce sont des enjeux colossaux".

Les comités interprofessionnels d'Alsace, du Beaujolais et de Bourgogne n'ont pas souhaité communiquer sur le projet jugeant qu'il était encore trop tôt pour cela.

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