Mort au travail : des familles de la région se battent, au côté de la première association nationale, pour stopper l'hécatombe

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Cédric, Vincent, Jérôme, Flavien, Alban et leurs compagnons d'infortune sont morts sur leur lieu de travail. Leurs familles se battent pour que ce fléau de la mort au travail s'arrête.
Reportage sur la première association française à avoir vu le jour pour dénoncer les accidents mortels du travail. ©Isabelle Forboteaux - France Télévisions

Elles ont perdu un être cher. Leur fils, leurs frères, leurs compagnons sont morts sur leur lieu de travail. Ces familles ont, depuis quelques mois, décidé de faire front ensemble. Un collectif est né et face à l'ampleur de la situation, le 30 mai 2023, l'association "Collectif Familles : Stop à la mort au travail" déposait ses statuts. Deux salariés meurent, chaque jour au travail. Fanny et Candice ont décidé de se battre pour que la mort de leurs proches serve cette cause.

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"Il s’appelait Vincent, il est décédé en 2012. Il a été enseveli dans un silo de sucre à Bazancourt (dans la Marne) avec Arthur. Ils sont décédés tous les deux", explique Fanny Maquin la compagne de Vincent.

"Mon frère a eu un accident le 28 juillet 2021. Il a été frappé par une pierre suite à un tir de mine, raconte Candice Carton. On a appris le drame sur Facebook tout à fait par hasard et suite à cela c’est un parcours du combattant qui démarre. Pour avoir les informations, pour essayer de se faire entendre et cela fait 26 mois que l’on vit ce calvaire". 

Elles ont perdu leur compagnon et leur frère dans un accident du travail. Vincent était cordiste et travaillait en intérim dans l'entreprise Cristal Union. Cédric, lui, travaillait sur la carrière de Wallers-en-Fagne, une commune du département du Nord à la frontière avec la Belgique et les Ardennes. Fanny Maquin et Candice Carton ne se relèveront jamais de cette douleur. Mais ensemble et avec des dizaines de familles, elles ont décidé de se battre pour que, ce qui est arrivé à leurs proches, ne se reproduise plus.

Affronter la réalité des morts au travail en France

Une famille endeuillée, rencontre une autre famille dans la même situation. Elles se racontent leurs drames et se disent qu'il faut que cela s'arrête. C'est ainsi qu'est née l'association "Collectif Familles : Stop à la mort au travail". Celui qui a impulsé cette création, c'est Matthieu Lépine, professeur d'histoire-géographie à Montreuil. Depuis 2016, il recense sur les réseaux sociaux la longue litanie des salariés morts au travail. Il a publié, en mars dernier, aux éditions du Seuil l'Hécatombe invisible. C'est lui qui met en relation les premières familles. "Matthieu nous a mis en contact, de là est né le collectif avec à peu près 20 familles, expliquent Candice et Fanny. On a fait une rencontre au Ministère du Travail au mois de mars 2023 et après cela, on a décidé de transformer le collectif en association. Jusqu’à ce moment-là, il n’existait aucune association sur le sujet des accidents mortels au travail". 

Un accident du travail, ce serait la faute à pas de chance. Ce mur qui tombe sur un jeune de 15 ans sur un chantier ce serait la faute à pas de chance. Non.

Anthony Smith, représentant syndical au Ministère du Travail

Deux morts au travail par jour, la France est le pays d'Europe où l'on meurt le plus sur son lieu de travail. Un constat insoutenable pour ceux qui ont créé cette association. Un constat, dont ils n'avaient aucune idée avant d'être confrontés à cette douloureuse réalité. "C’est en allant voir la page de Matthieu Lépine, après l’accident (de son frère), précise Candice. J’allais la voir plusieurs fois par jour et je me disais et encore un post, et encore un autre. Parfois c’était 3-4-5 fois par jour et on se rend compte que c’est trop. Et on se dit qu’on n'est vraiment pas seuls". "Moi, l’accident, c’était en 2012 et à cette époque, on en parlait encore moins qu’aujourd’hui, explique Fanny. On en parlait un petit peu dans un certain milieu très spécifique comme dans celui des cordistes. Dans tout le reste du milieu du travail, on n'en parlait pas". "Il faut qu’il y ait une prise de conscience tant au niveau de l’état qu’au niveau du grand public, reprend Candice. En fait, on se rend compte que beaucoup ne savent pas que l’on peut mourir au travail. Moi la première, je ne savais pas jusqu’à l’accident de mon frère. Alors oui, il faut qu’il y ait une vraie prise de conscience. Une prise de conscience au sein des entreprises aussi. Les employeurs doivent se dire qu’il y a trop de morts au travail et mettre en place la sécurité nécessaire pour qu’il n’y en ait pas plus".

Les rendre visibles

Le constat est aussi dramatique pour les acteurs de terrain que sont les inspecteurs du travail. Anthony Smith, responsable syndical au Ministère du travail et, lui-même, inspecteur du travail dans la Marne, a rencontré très vite les membres de cette jeune association. Lors de la journée mondiale contre les accidents pour la santé sécurité au travail, puis à Bruxelles au Parlement Européen. Il est devenu, comme Matthieu Lépine, membre d'honneur de "Collectif Familles : Stop à la mort au travail".

"2 morts par jour, précise Anthony Smith, représentant syndical au ministère du Travail, ce sont deux personnes qui partent le matin pour ne pas revenir le soir. Et je ne vous parle pas des maladies professionnelles. Les accidents du travail sont largement invisibilisés, et pour plusieurs raisons. Un accident du travail, cela se passe dans ce lieu clos qu’est l’entreprise. Cela se passe dans un endroit où l’employeur est un peu maître chez lui. Lorsque quelqu’un meurt au travail, cela ne trouble pas l’ordre public. C’est terrible à dire, mais c’est une réalité et il faut la dénoncer".

Pour Anthony Smith, il est des expressions insoutenables. "Un accident du travail, ce serait la faute à pas de chance. Ce mur qui tombe sur un jeune de 15 ans sur un chantier ce serait la faute à pas de chance. Non. On ne peut pas envoyer des jeunes dans des stages en entreprise, en classe de 3e, sans jamais parler de la formation à la santé, à la sécurité, aux conditions de travail. On ne peut pas continuer à considérer qu’un travailleur qui perdrait sa main dans un équipement de travail et bien la question serait : sa responsabilité. Pourquoi a-t-il mis la main dans cet équipement, au lieu de se demander pourquoi il a pu y mettre sa main. C’est cela qu’il faut construire et, là, la prévention est totalement inexistante. Vous savez, le document unique d’évaluation des risques, il est obligatoire depuis 22 ans. Mes collègues inspecteurs du travail, à chaque fois qu’ils vont dans une entreprise, la plupart du temps, soit ce document n’existe pas ou est très mal fait, soit il est fait dans une simple logique… administrative. C’est-à-dire comme une obligation que l’on doit remplir de plus pour cocher une case. Alors que comprendre les risques auxquels on est exposés, et tenter d’y répondre avec des mesures de corrections, c’est normalement ce que l’on devrait faire au travail". 

Notre rôle, c’est de travailler au maximum avec le gouvernement pour faire appliquer la législation en place et la faire évoluer dans le bon sens. Et, alerter le grand public que l’on peut mourir au travail.

Candice Carton, trésorière de l'association Collectif familles : Stop à la mort au travail

"Il ne faut pas oublier une chose, ajoute Anthony Smith. Celui qui est responsable de la santé et de la sécurité des salariés, c’est l’employeur. Quand on est au travail, on n’est pas libres. On est, dit la Cour de Cassation, sous l’autorité, la subordination d’un employeur. Évidemment, on nous dit, il y a le droit de retrait. Le salarié peut quitter une situation dangereuse. Mais d’abord, si vous êtes seul à considérer que vous êtes exposé à un risque, et si votre employeur vous demande de reprendre le travail, que faites-vous? Parce que la réalité c’est, qu’à la fin, vous pouvez vous retrouver licencié pour avoir exercé ce que vous considérez, vous, comme un droit légitime. Non, il faut autre chose. Il faut que le droit protège, il faut que les employeurs soient responsables. Que le non-respect des principes de prévention soit pénalisé dans le Code du travail, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui par exemple. Vous savez, les inspecteurs du travail, tous les jours, conduisent des enquêtes, après des accidents graves ou des accidents mortels, et eux aussi sont seuls, souvent, après un accident. Pendant des mois, des années, ils vont enquêter, relever des procédures, et ils vont les transmettre au Parquet. Et malheureusement on le sait, ces procédures, elles vont être jugées 3-4-5, 8 ans parfois après les faits. Aujourd’hui l’irruption de ces familles dans ces procès, dans ces affaires, elle va avoir et elle a déjà des conséquences. On l’a vu, nous, à l’inspection du travail avec le décret de juin 2023 qui fait maintenant obligation aux employeurs de transmettre aux inspecteurs du travail, dans un délai maximum de 12h, l’information sur un mort au travail. Cela n’existait pas avant. Cela n’existait pas avant le mois de juin 2023.". 

Un travail long et difficile

L'association "Collectif de familles : Stop à la mort au travail" veut, justement, que tout cela évolue, change. Que cette longue liste de morts s'arrête et avec elle, la douleur et le parcours du combattant de toutes les familles plongées dans ces drames. 

"Notre rôle, c’est de travailler au maximum avec le gouvernement, explique encore Candice, trésorière de l'association. Déjà pour faire appliquer la législation en place et la faire évoluer dans le bon sens. Alerter le grand public que l’on peut mourir au travail. La campagne de prévention nationale est sortie récemment". "On ne va pas dire que toutes les entreprises sont irresponsables, précise encore Fanny. Mais, il y a quand même toute une prévention qui n’est pas assez faite aujourd’hui dans les entreprises. On le voit bien, quand on assiste au procès, les chefs d’entreprise, qui sont au tribunal, rejettent systématiquement la faute sur les employés. Ils ne se remettent jamais en cause. Il y a tout un travail à faire là-dessus. On sait qu’il y a des entreprises qui déploient des gros efforts et on commence à être appelés, par certaines, pour venir faire de la prévention et pour témoigner. Pour que notre témoignage ait un impact sur les salariés. Et ça, c’est vraiment une super chose. C’est un des objectifs de l’association". 

On pourra me donner tout l’argent du monde, ça ne ramènera pas Vincent. Malheureusement, aujourd’hui c’est la seule chose que l’on peut avoir.

Fanny Maquin, secrétaire de l'association Collectif Familles : Stop à la mort au travail

Les missions à remplir sont nombreuses et celle "de faire reconnaître l’association d’utilité publique pour se porter partie civile systématiquement" leur semble indispensable pour avoir les moyens de soutenir les familles du début à la fin. L'association aimerait avoir dans ses rangs des avocats, des psychologues bénévoles.

Seuls et désœuvrés... l'écueil dans lequel il ne faut pas tomber "Quand l’accident se produit on est confronté à plein de choses en même temps. C’est un tsunami, disent encore Candine et Fanny. Et du jour au lendemain on doit faire face aux obsèques, à une paperasserie : sécurité sociale, gendarmerie par rapport à l’enquête, au parcours judiciaire. C’est un parcours du combattant. On s’aide beaucoup, rien qu’en partageant nos expériences. Si les familles souhaitent qu’on les accompagne au procès, on le fait, reprend Candice. Le soutien est vraiment très très important. Je suis allée au procès à Rennes pour Alban et quand j’ai vu les parents arrivés avec le frère et la sœur, je me suis rendu compte, à quel point, ils étaient seuls. J’ai vraiment pris conscience de l’importance d’être là pour les soutenir, pour tous se soutenir". 

L'après accident

Voilà plus de 11 ans que Vincent est mort enseveli dans ce silo de sucre et Fanny doit toujours faire face au "dossier judiciaire" de l'accident. Le 24 novembre prochain, elle est convoquée devant le pôle social du tribunal. Le lieu où l'on indemnise. Onze ans après, les dommages et intérêts n'ont toujours pas été versés. "Ce n’est pas une dernière étape dans le drame. C’est une dernière étape dans le parcours judiciaire, explique Fanny. Moi, on pourra me donner tout l’argent du monde, ça ne ramènera pas Vincent. Malheureusement, aujourd’hui c’est la seule chose que l’on peut avoir. C’est de l’argent pour une vie brisée. Je vais m’en contenter. Et limite, cet argent-là, on a du mal avec ça. Je vais m’en servir pour mes enfants, mais je ne vais pas vouloir en profiter pour moi".

Fanny a passé toutes les épreuves. L'annonce, et tous ces mots qui vous arrivent comme des claques plus violentes les unes que les autres : autopsie, obsèques, enquête de gendarmerie, de l'inspection du travail, dépôt de plainte, avocats, procès. A chaque mot, une douleur de plus à franchir. "Tout ce qui concerne le pénal, c’est terminé, précise-t-elle. Il y a eu un premier procès en 2019, 7 ans après l’accident et un deuxième en appel en septembre 2021. Cela a été extrêmement long. Je n’aime pas parler du deuil, ni dire que le procès clôture le deuil. Mais il y a une étape qui ne se fait pas et on ne peut pas avancer. On reste bloqués. Le procès, c’est un moment particulièrement difficile et le procès en appel d’autant plus. On se dit qu’il va falloir remettre ça. Ce qui m’importait, c’est que la responsabilité de l’entreprise soit pointée du doigt et qu’elle soit reconnue coupable. Après qu’il y a des peines prononcées, des amendes, ce n’était pas ma priorité. Que soit marqué noir sur blanc que Vincent et Arthur n’avaient pas fait d’erreur, voilà ce qui était important. Entendre que l’entreprise était condamnée pour des défauts de sécurité. Après, j’aurais bien aimé qu’elle reconnaisse ses torts, mais elles ne le font presque jamais et ça n’a pas été le cas. Et même avoir un mot d’empathie. Aucun des mis en cause ne s’est excusé pour ce qui s’est passé. On s’y attendait. C’est sûr que psychologiquement, cela aurait fait du bien à tout le monde". 

Je mène ce combat pour mon frère. On est bien conscients, avec l’association, que cela ne nous les ramènera pas. Mais si on pouvait, ne serait-ce, qu’éviter une mort, ce combat ne sera pas en vain. 

Candice Carton, trésorière de l'association Collectif familles : Stop à la mort au travail

Candice, elle, est encore dans l'émotion vive. Celle qui fait briller les yeux très vite. La photo de son frère Cédric à côté d'elle, elle évoque sa douleur permanente. "Notre plainte a été refusée deux fois par la gendarmerie. Deux gendarmeries différentes. La seconde, prétextant que comme l’enquête était terminée, il ne pouvait pas prendre notre plainte. J’ai écrit au procureur en demandant de porter plainte et de se constituer partie civile pour mon petit frère, ma mère et moi. Et le procureur m’a répondu qu’il prenait note et qu’il était en attente de l’enquête de l’inspection du travail".

Il y a quelques semaines, Candice a justement appris la clôture de l'enquête de l'inspection du travail. Elle et sa famille n'ont que très peu d'informations sur les circonstances de la mort de Cédric. "On a des bribes d’informations qu’a bien voulu me donner l’inspection du travail. Quand je demande si l’entreprise est responsable, on ne peut pas me répondre. La seule chose que l’on a bien voulu me dire, c’est que mon frère n’avait pas fait d’erreur. C’est très important de se l’entendre dire parce que l’on a toujours un peu de doute. Ce sont les seules infos que j’ai. Et puis, j’ai réussi à récupérer le rapport du SMUR, je sais à quelle heure il a été déclenché. On a le rapport du CSE de l’entreprise que le directeur a donné à ma mère. Mais, on n’a rien de très probant dedans".

Une éternité à attendre et autant de questions. "On se prépare étape par étape. C'est entre les mains du procureur et quelle suite va-t-il donner ? Parce que s’il ne donne pas de suite, c’est comme s’il disait : votre frère est mort mais ce n’est pas grave. Et il faut se préparer à cela. Ensuite, ce sera l’étape du procès et là, il va falloir gérer le regard de ces gens-là dans une salle d’audience, si tant t’est qu’ils osent nous regarder. Je montre la photo de mon frère parce que je veux que l’on sache qu’il existe. Qu’il fait partie de ces victimes-là. Oui, je mène ce combat pour lui. On est bien conscients, avec l’association, que cela ne nous les ramènera pas. Mais si on pouvait, ne serait-ce, qu’éviter une mort, ce combat ne sera pas en vain". 

Des avancées

Sept mois après la création du collectif. Cinq mois après celui de l'association "Collectif Familles : Stop à la mort au travail", Candice et Fanny ont déjà l'impression que les choses avancent. "On a le sentiment d’avoir été écouté par le Ministère du Travail et ça, c’est déjà important à souligner, disent-elles. Les choses se feront petit à petit. Il y a beaucoup de travail à faire. Cette campagne de prévention nationale sortie récemment, elle est importante. Cela montre une prise de conscience du gouvernement. Il faut vraiment traiter le sujet en profondeur.  Et on est assez fiers que cela soit un peu grâce à nous. On communique avec le Gouvernement régulièrement. Ils nous demandent notre avis. Il faut que le public se rende compte que ça n’arrive pas qu’aux autres et que ce n’est pas un problème isolé". 

"La mort au travail est un fléau".

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