Surpopulation carcérale : pourquoi les prisons du Grand Est s'en sortent mieux que celles des autres régions

Selon les dernières données de nombre de détenus, de février 2024, la moitié des maisons d'arrêt du Grand Est ne sont pas en situation de surpopulation carcérale. Une situation inédite par rapport au reste de la France. Comment expliquer cette différence ?

En février, le nombre de détenus en France a atteint un record historique, avec 76 258 personnes incarcérées. Cela représente un chiffre 5,5 % plus important qu'un an plus tôt. Avec plus de détenus que de places disponibles, plus de 3 000 d'entre eux sont contraints de dormir sur des matelas.

La densité carcérale, c'est-à-dire le nombre de détenus par rapport aux places disponibles s'élève à 123,5 %, comme on peut le lire dans les statistiques de la population détenue et écrouée diffusées par le ministère de la Justice au 1er février 2024, publiées le 29 février 2024.

Si on se concentre sur les seules maisons d'arrêt, qui accueillent les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines, la densité est de 147,7 %. Dans une quinzaine d'établissements, elle dépasse même les 200 %, avec donc plus de deux détenus par place disponible.

Face à ces chiffres records, la situation dans le Grand Est est bien différente. Dans les établissements qui dépendent de la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Strasbourg, la densité globale est de 103,0 % au 1er février 2024. Et dans les maisons d'arrêt ou les quartiers de maison d'arrêt, elle est de 113,9 %. Ce sont à chaque fois les pourcentages les plus faibles observés dans le pays.

La moitié des 12 maisons d'arrêt de la région n'ont même aucune surpopulation carcérale. Une situation tout à fait spécifique à notre région. Ces établissements avec une densité inférieure à 100 % au 1er février sont ceux de Reims (Marne), Châlons-en-Champagne (Marne), Charleville-Mézières (Ardennes), Troyes-Lavau (Aube), Nancy-Maxéville (Meurthe-et-Moselle) et Épinal (Vosges). Il reste tout de même de la surpopulation dans la région. La plus forte est observée au sein de la maison d'arrêt de Strasbourg, avec 696 détenus pour 432 places au 1er février, soit une surpopulation de 161,1 %.

Comment peut-on expliquer cette situation toutefois meilleure qu'ailleurs ? Le directeur interrégional des services pénitentiaires du Grand Est, Renaud Seveyras, avance plusieurs raisons. "Nous avons la chance d'avoir en Grand Est un large panel de places de centres de détention." Sur les 5 800 places existantes dans la région, un peu plus de la moitié se trouvent en maisons d'arrêt, mais il y a presque 2 300 places en centres de détention.

"Le public cible des centres de détention, ce sont les reliquats de peine de deux à cinq ans, rappelle le directeur interrégional. Mais on en avait de moins en moins, ce qui expliquait que des centaines de places étaient vacantes. Alors qu'on avait des maisons d'arrêt à 150 % de taux d'occupation."

"Une place libérée doit être une place occupée la semaine suivante"

Il a donc été décidé de modifier les critères d'affectation. "Aujourd'hui, on affecte dans ces centres de détention des détenus qui ont parfois des reliquats d'un an. On part du principe qu'une personne qui ne sera pas sur un matelas au sol, qui aura accès plus rapidement à du travail, à du sport, à des soins, sera beaucoup mieux traitée."

Cette démarche a été mise en place fin 2022, peu après l'arrivée de Renaud Seveyras dans le Grand Est, et a permis de faire diminuer la surpopulation en maisons d'arrêt, en remplissant davantage les centres de détention. "Auparavant, ces centres étaient occupés à 88 ou 90 % […] Nous avons porté les taux d'occupation à 97 ou 98 %".

Une situation en trompe-l'œil pour Julien Decurninge, surveillant pénitentiaire à la maison d'arrêt de Reims et délégué régional de Force Ouvrière Justice, responsable de la Champagne-Ardenne. "Les centres de détention sont surpeuplés à la place des maisons d'arrêt. Dans le Grand Est, nous avons des centres de détention qui sont pleins à craquer et des maisons d'arrêt où on frôle le 100 %", dénonce-t-il.

Il estime qu'il y a "environ 200 détenus de trop" au regard des places disponibles. "Les magistrats incarcèrent beaucoup. On se retrouve dans une situation où, avant l'été, les maisons d'arrêt vont être plus surchargées qu'elles ne le sont à l'heure actuelle."

Les agents de la DISP du Grand Est veillent à gérer à flux tendu les places en centres de détention. "Le principe de base est qu'une place libérée doit être une place occupée la semaine suivante", explique Renaud Seveyras.

"On sort en permanence des condamnés des maisons d'arrêt du Grand Est. Et selon ce même mode opératoire, on rend également service à nos collègues des directions internationales limitrophes : Paris, Dijon et Lille. Parfois même de Toulouse pour des condamnés qui n'ont pas d'attache familiale."

La même logique a été utilisée pour les places en semi-liberté, dont le taux d'occupation est passé de 50 à 75 % en 18 mois, selon le directeur interrégional. Il souligne également l'importance du dialogue avec les autorités judiciaires.

Des échanges fréquents avec les procureurs

Pendant la crise du Covid, des réunions en visio tous les quinze jours avaient été mises en place entre la direction des services pénitentiaires et les procureurs généraux de Colmar, Metz, Nancy et Reims. Même si les équipes ont changé, l'habitude est restée.

Toutes les deux ou trois semaines, une réunion à distance a lieu le lundi soir pendant plus de deux heures. "On passe en revue la pression démographique, la situation des établissements pénitentiaires, notre propre offre de peine", liste Renaud Seveyras. "Je pense que ce contact permanent avec les autorités judiciaires contribue sans doute à faire en sorte que la situation reste maîtrisée."

Un rapport de la Cour des comptes d'octobre 2023, qui prend l'exemple de Grenoble et Marseille où des initiatives similaires ont été mises en place, pointe toutefois un bilan en demi-teinte de ces tentatives de régulation carcérale. "La lecture de statistiques hebdomadaires de suroccupation des maisons d’arrêt n’est pas suffisante pour inciter les magistrats à faire évoluer leurs pratiques dans un contexte local parfois marqué par un durcissement de la délinquance", indique le rapport.

Il ajoute plus loin : "Quelle que soit la bonne volonté des acteurs, l’efficacité d’un dispositif local de régulation bute sur les effets de 'reports' entre établissements dès lors que la gestion des affectations et transfèrements de détenus est, elle, gérée au niveau national."

L'ouverture de nouvelles prisons

Le Grand Est peut compter sur de nouvelles places de détention, issues du "plan 15 000" lancé par le gouvernement en 2018. L'ouverture du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin) en 2021 a permis de disposer de 150 places nettes de plus. Et 350 places nettes supplémentaires sont arrivées avec celle du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau (Aube) en 2023.

"Fin 2024, on va ouvrir 120 places nettes de structure d'accompagnement vers la sortie à Colmar", ajoute le directeur interrégional. Ces nouvelles capacités de détention participent à la diminution de la pression démographique dans les prisons du Grand Est.

Au niveau national cependant, la surpopulation devrait perdurer encore de longues années. La France a de nouveau été condamnée en juillet 2023 par la Cour européenne des droits de l'Homme pour des conditions indignes de détention.

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