Il y a 80 ans, la France était libérée. En Champagne-Ardenne, la Libération a eu lieu fin août et en septembre 1944. Nous vous proposons de découvrir le témoignage de ceux qui ont vécu ce moment à Troyes, Reims, Charleville-Mézières ou encore Sainte-Menehould.
L'année 2024 correspond au 80e anniversaire de la Libération, quelques mois avant que ne cesse définitivement la Seconde Guerre mondiale. En 1944, après avoir débarqué en Normandie et en Provence, les Alliés ont progressé sur le territoire pour libérer les villes l'une après l'autre.
En Champagne-Ardenne, c'est fin août 1944 que les premières libérations ont eu lieu. Nous vous proposons de découvrir des témoignages de ces moments d'Histoire, extraits de nos archives.
Le village de Marcilly-le-Hayer, dans l'Aube, a été le premier de la région libéré, dès le 23 août. René Lévan, instituteur en 1944, se souvient de l'arrivée des Américains, qui venaient de l'Yonne. "Madame Rigaud, qui tenait le café-restaurant, est allée tout de suite chercher des verres et une bouteille de champagne", racontait-il à notre équipe de reportage en 1994. "On a bien vu que ce n'était pas des Allemands. Ils étaient différents, on avait affaire à des sortes de soldats sportifs. Ça nous frappait ça."
Troyes libérée à partir du 25 août
Le 25 août, les hommes du général Patton dirigés par le colonel Clarke commencent à libérer Troyes par les champs et les jardins. L'infanterie nettoie la ville par pâté de maisons, afin de permettre aux chars de passer.
Troyes est défendue par 3 500 soldats SS de la 51e brigade. On craint même à un moment que les Allemands ne reprennent la ville. Il faudra attendre le 26 août pour que les Alliés ne prennent l'avantage. Le bilan est très lourd, avec 563 tués et 572 prisonniers côté allemand, 15 morts et 55 blessés côté américain.
Et les civils ne sont pas épargnés. "Il y a eu des blessés et des tués", indiquait le docteur Hubert Mazure, ancien de l'armée de Patton, interrogé par notre équipe en 1994. "Il y avait malgré tout des obus qui tombaient sur Troyes. Les Américains par ailleurs avaient ordre de tirer sur tout ce qui bougeait. Ils avaient peur qu'il y ait des Allemands. Donc il y a incontestablement des civils qui sont morts et qui ont été blessés."
Épernay le 28 août
Depuis le 5 juin au soir, à la demande des Britanniques, des sabotages ont eu lieu sur les secteurs de Dormans, Sézanne et Épernay. Les Américains sont arrivés à Épernay, dans la Marne, le 28 août. "Ça s'est fait de façon très rapide. Les Américains étaient dans le sud du département du côté de Sézanne. Ils sont remontés par la route nationale en direction d'Épernay", se souvient le colonel Pierre Servalinat, responsable FFI de la région d'Épernay, interrogé par FR3 Champagne-Ardenne en 1990.
"On a été très rapidement prévenus de leur arrivée. Nous avons délégué à leur état-major un certain nombre de camarades qui ont pu fournir des éléments précieux à ces Américains, notamment des positions de batteries, de troupes."
Reims le 30 août
À Reims, la libération est intervenue le 30 août. Vers 6h du matin, les Américains font entendre le roulement de leurs chars. Ils découvrent une ville abandonnée par l'Occupant.
La libération se fait en douceur puisque les Forces françaises de l'intérieur (FFI) ont, depuis la veille au soir, chassé les Allemands vers le sud et repris tous les édifices publics. De son côté, le comité départemental de libération nomme un sous-préfet et un conseil municipal provisoire.
À midi, le peuple rémois se rassemble devant la sous-préfecture et l'Hôtel de ville, sur lequel flotte, pour la première fois après 50 mois d'occupation, le drapeau français.
"Évidemment, c'était une explosion de joie formidable, raconte Georges Chantraine, caméraman et témoin de la Libération de Reims, interrogé sur notre plateau en 1985. Quand on a vu arriver les premiers Américains, on s'est dit 'ça y est, enfin on est libres'."
"C'était du délire dans toute la ville. Je vais même ajouter que c'était un délire beaucoup plus important que celui de la capitulation qui a eu lieu presque un an après."
"Il y a eu quelques règlements de compte, on a coupé les cheveux. C'était dans certains cas des vengeances personnelles. Je pense qu'avec le recul, on voit ça d'un œil tout à fait différent."
Sainte-Menehould, le 30 août
À Sainte-Menehould, dans l'est de la Marne, les résistants réussissent à déminer le pont qui permet de franchir l'Aisne, dans la matinée du 30 août 1944. "Ce pont était la relation entre Châlons et Metz. Si le pont sautait, cela permettait de retarder une division de Patton", précise à notre micro en 1984 Henri Jean-Baptiste, alias Henri Barthes pendant la Résistance. "Ils ont mis les mines dans la rivière".
Mais les troupes allemandes commencent alors à incendier la ville, où se trouvent également des éléments en repli de la Gestapo. Ne pouvant tenir longtemps la ville face à un ennemi supérieur et mieux armé, les maquisards décident de hâter la venue des GI. Ces derniers avaient décidé dans un premier temps de bivouaquer à Suippes pour n'arriver à Sainte-Menehould que le lendemain.
"J'ai vu arriver Monsieur Canonne, qui était vraisemblablement le chef de la Résistance à Sainte-Menehould, raconte Jean Clauze, historien et témoin des événements, interrogé en 1984. Il avait été blessé, par chance pas trop gravement. Il était dans une voiture tirée par un cheval. Et il pressait son compagnon de le mener très vite chercher les Américains, car il était persuadé que la ville allait être anéantie. Les Allemands avaient le temps de reminer le pont ou d'incendier toute la ville. Il y avait de grands incendies allumés de part et d'autre de la mairie."
"Vers 19h30, nous avons vu apparaître l'armée de Patton qui s'est révélée être une force gigantesque. Pour nous qui étions habitués à l'armée allemande, l'armée américaine nous a paru incomparablement supérieure par le nombre des véhicules qui formaient cette force."
Les troupes américaines ne feront que passer dans Sainte-Menehould libérée, laissant derrière elle de nombreux groupes de francs-tireurs ennemis. Les Alliés foncent ensuite vers la Lorraine.
Le 30 août, c'est également au tour de Saint-Dizier d'être libérée. Le 31, ce sera le tour de Rethel, dans les Ardennes.
Charleville, le 3 septembre
Les troupes alliées font leur entrée dans la ville de Charleville le 3 septembre, sous la pluie. Les Allemands sont pour la plupart partis. Cette libération amène une foule énorme dans les rues. Malgré le rationnement, les Ardennais offrent tout ce qu'ils peuvent à leurs libérateurs.
Mais ici comme ailleurs, la Libération est accompagnée d'exactions. "Ce qui me dégoûtait, c'était de voir sur les places publiques les femmes qu'on tondait et sur lesquelles on se vengeait. Elles méritaient peut-être un châtiment, mais c'était surtout pour les faux résistants une façon de faire un acte de bravoure", confiait en 1994 à notre micro le résistant Pierre Huard.
Sedan attendra le 6 septembre. Le lendemain, Carignan et Givet étaient libérées à leur tour. C'est sans qu'un coup de feu ne soit tiré que les FFI et l'avant-garde de la 2e DB feront leur entrée dans Chaumont (Haute-Marne) le 13 septembre. Après des mois d'occupation, la région retrouvait la liberté.