Coronavirus : longtemps bénévoles, les couturières ne veulent plus travailler gratuitement pour produire des masques

Les masques sont devenus le symbole d'une crise sanitaire inédite, et d'une gestion controversée. Longtemps présentés comme inutiles, voire contre indiqués, ils deviennent aujourd'hui l'élément indispensable d'un déconfinement réussi. Mais les couturières rappellent que tout travail mérite salaire.

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"Alors que nous sommes nombreux(ses) à être sans travail, souvent sans aides ou revenus, nous avons passé des centaines d’heures à travailler gratuitement en puisant dans nos stocks ou achetant de la matière première à nos frais afin de répondre aux appels d’aides des centres de soins et des soignants". C'est en ces termes que le collectif  "Bas les masques" , qui regroupe des couturières partout en France, entend faire une mise au point.

Alors que le déconfinement se profile, le masque en tissu sera plus que jamais nécessaire afin de limiter les risques d'une reprise de l'épidémie. Les besoins sont énormes, et les couturières indépendantes auront bien du mal à exister face au rouleau compresseur de la grande distribution.


Couturière, c'est un métier

Marie-Patricia Randriamamonjisoa est couturière à Rixheim dans le Haut-Rhin depuis cinq ans. Au fil du temps, elle s'est forgée une clientèle fidèle. A partir de 9 euros pour un ourlet, et jusqu'à 3.000 euros pour une robe de mariée, sa petite entreprise commençait à tourner correctement.

Et puis, mi-mars : tout s'est arrêté. Les magasins de prêt-à-porter pour lesquels elle réalisait des retouches ont fermé, et son atelier aussi. Alors, elle a fait comme de nombreuses couturières : elle a offert son temps libre et son savoir faire à ceux qui en avaient besoin: les personnels soignants dans les hopitaux et les EHPAD du département, durement frappés par la crise sanitaire. Elle a confectionné des masques, et même des gants de toilette. "Un ami hospitalisé m'a raconté qu'ils n'avaient pas assez de gants, et qu'ils utilisaient des taies d'oreiller pour la toilette des patients. Ça m'a fendu le coeur, donc j'ai cherché dans mon stock du tissu éponge, et je me suis mise à fabriquer des gants."

Aujourd'hui encore, elle est en train de finaliser un don pour un EHPAD de Mulhouse : 120 masques, qu'elle fabrique bénévolement. "Je fais ça depuis le début. Je ne compte même pas les heures, ça me prend tout mon temps" dit-elle. Mais durant toutes ces semaines, plus aucune rentrée d'argent. Plus rien.

Le collectif "Bas les Masques" s'insurge contre une situation jugée ubuesque. "L’État paye des commandes passées à la Chine ou à la Turquie, mais n’hésite pas à exploiter la main-d’œuvre locale" dénonce le texte d'une pétition qui a recueilli près de 15.000 signatures en quelques jours. 
 

Une profession qui se sent dévalorisée

Les couturières sont inquiètes : après des semaines de bénévolat, les masques sont présentés comme l'accessoire tellement indispensable qu'il doit être gratuit, ou tout au moins à prix cassé. Des masques qui sont désormais produits selon une logique industrielle dans laquelle les artisans ne peuvent se reconnaître. 

Madeleine Blanc est la présidente de l'UNACAC en Alsace, un syndicat d'artisans couturiers répartis sur toute la France. Elle-même travaille dans son atelier de Strasbourg, où elle crée des vêtements sur mesure. Elle est également tailleur pour hommes, la seule femme à exercer cette activité dans le Grand Est, dit-elle. Mais les temps son durs, alors, ces jours-ci, elle fait de la sous-traitance pour une société textile lyonaise.

L'entreprise lui fournit la matière première, et elle coud les masques, à raison de 40 centimes pièce. Elle vient d'achever un lot de 750 masques, pour une rémunération symbolique qu'elle a décidé de ne pas percevoir. Cette somme, elle va l'offrir à une association. Quant à son activité, elle est au point mort. 

Des tests de la direction générale de l'armement

A la pression économique s'ajoutent également les contraintes administratives et normatives. Car tous les tissus ne se valent pas. Et c'est la DGA, la direction générale de l'armement, qui est chargée d'évaluer l'efficacité des masques en terme de filtration des particules.

Mais si les industries ont les moyens de payer 1.000 euros HT pour tester leurs prototypes, les couturières indépendantes, elles, n'ont pas une telle somme à débourser, et ne peuvent donc pas se prévaloir d'une certification. De fait, il s'agit, selon elles, d'un avantage donné aux grandes entreprises au détriment des petites structures qui auraient pourtant bien besoin de cette demande nouvelle pour amortir les effets de la crise. 

Un contexte défavorable

Les couturières indépendantes peuvent-elles vendre les masques qu'elles confectionnent? Malgré les précisions d'Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, les informations qui leur parviennent sont contradictoires et beaucoup craignent de s'exposer à des amendes. Surtout, en tout état de cause, leurs masques ne pourront pas être homologués.

Cela n'empêchera pas Elodie Corbeau, une habitante de Rixheim, de préferer les masques d'une couturière artisanale à ceux des grandes surfaces. "Les couturières ont déjà fourni bénévolement des masques qui n'ont pas posé de problème de sécurité. Je ne vois pas pourquoi ça changerait" dit-elle. De plus, je préfère le service peronnalisé de ma couturière qui propose un large choix de tissus, plutôt que les articles uniformes de la grande distribution". Elle prévoit donc d'acheter une douzaine de masques, de quoi équiper toute la famille. 
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