Désalcooliser des vins, une technique et un marché qui progressent, la plus vieille coopérative de France prend le virage

En proposant "Ribo", en effervescent et en vin tranquille, la cave de Ribeauvillé (Haut-Rhin) s'est lancée sur le marché des vins désalcoolisés grâce à sa propre production. Elle est, en 2024, la seule en Alsace à travailler sur ce nouveau savoir-faire.

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Ce sont deux petites nouvelles qui ont fait leur entrée en 2022 dans la large gamme proposée par la cave de Ribeauvillé. Les "Ribo", l'une en version effervescente, l'autre tranquille, sont nées d'une rencontre de savoir-faire : celui d'Evelyne Bléger, œnologue depuis trois décennies, dont deux dans cette maison réputée comme étant la plus vieille coopérative de France, et celui de Frédéric Chouquet-Stringer, ex-cadre supérieur chez Michelin, qui s'est pris d'intérêt pour le vin désalcoolisé en 2021.

Car c'est bien de cela dont il s'agit : le "Ribo" est issu de la production de la coopérative, mais il passe par un processus de désalcoolisation, chez un spécialiste, en Allemagne. "Les Allemands sont en avance sur ces procédés techniques, explique Frédéric Chouquet-Stringer, Français installé à Stuttgart, et qui a profité de sa double culture pour se perfectionner sur ces questions du sans-alcool. Ils ont beaucoup progressé, donc la technique, nous l'avions... Encore fallait-il convaincre les viticulteurs, français notamment, de me faire confiance !"

La cave de Ribeauvillé a été sa première cliente, lui qui s'est donc donné comme mission de commercialiser des vins désalcoolisés de qualité. "Ce n'était pas gagné, sourit le chef d'entreprise. Je me souviens encore du premier coup de téléphone, à une période où j'enchaînais les prises de contact, avec beaucoup de refus... Evelyne ne m'a pas directement éconduit, mais son quasi-silence au bout du fil était éloquent ! Je me suis dit, là, j'y vais pour rien... Je me trompais, et j'ai bien fait d'y aller !"

D'abord sceptiques, mais pionniers en Alsace

C'est que le monde viticole est alors encore largement sceptique sur ce marché qui peine à décoller en France. "Pour ma part, comme tous mes collègues œnologues, j'ai goûté des vins désalcoolisés lors de ma formation, se souvient Evelyne Bléger. C'était particulièrement mauvais..." Elle invite pourtant Frédéric Chouquet-Stringer à la cave avec ses échantillons de dégustation, "par curiosité, par envie de s'ouvrir à la découverte, en me disant que les choses avaient peut-être évolué". Et elle est vite bluffée.

"J'ai été très surprise, je ne m'attendais pas à quelque chose d'aussi précis, intéressant. J'ai tout de suite appelé le président de la cave, et le directeur, et je leur ai dit "il faut venir goûter ça !"... On a très vite décidé de se lancer dans l'aventure, mais avec nos exigences habituelles : la qualité."

Si on met en jeu la marque "cave de Ribeauvillé", et moi, mon nom, il faut de la qualité, avec les vins que l'on sait faire : droits, secs, aromatiques

Evelyne Bléger, œnologue de la cave de Ribeauvillé

La qualité, c'est précisément le cheval de bataille de Frédéric Chouquet-Stringer. "Nous partions de loin, admet-il. Avec des vins produits le plus vite possible pour être vendus le moins cher possible, le résultat était médiocre. Aujourd'hui, on monte en gamme, parce que le procédé s'est amélioré, et surtout parce que nous avons convaincu les producteurs comme Ribeauvillé, qu'il fallait désalcooliser des vins de qualité à la base, c'est le secret. Pour garder les arômes, pour se rapprocher des valeurs gustatives du vin, il faut qu'il soit bon au départ."

Distillé sous vide en Allemagne

La sélection se fait donc directement dans les foudres de la maison, au moment de la maturation. Evelyne Bléger, Frédéric Chouquet-Stringer et le directeur de la cave David Jaegle, descendent au sous-sol goûter plusieurs cuvées et se faire une idée de la prochaine production de bouteilles désalcoolisées. "Celui-là est très aromatique, dense, apprécient-ils de concert. Il pourrait donner quelque chose de très intéressant..."

"On va toujours regarder comment le vin est construit, s'il y a des particularités qui ressortent, explique Frédéric Chouquet-Stringer. Puis se demander si ces traits vont être amplifiés ou au contraire être atténués pendant la désalcoolisation... Par exemple, toutes les aromatiques dites "vertes", herbes, pommes, vont être très concentrées ; donc si vous partez sur une base comme ça, vous risquez d'avoir une impression de jus de pommes !"

Une fois sélectionné, le vin partira chez un désalcoolisateur, en Allemagne. Le procédé le plus qualitatif, utilisé pour les vins de Ribeauvillé, consiste à distiller "sous vide", ce qui permet à l'alcool de s'évaporer à basse température, autour de 30 degrés, pour ne pas perdre la qualité. Les arômes naturels sont en bout de chaîne réintégrés au breuvage désalcoolisé, pour ne pas en perdre le goût.

12 000 bouteilles, puis 30 000

"On va dire qu'on perd la structure du vin, la longueur en bouche... Mais c'est indéniablement du vin", apprécie Evelyne Bléger. D'une production de 12 000 bouteilles dans un premier temps, la cave en est déjà à 30 000 et s'apprête à lancer une nouvelle production. Évidemment rien de comparable aux deux millions annuellement produits en vins alcoolisés. Mais la maison ne regrette pas son choix.

"On a toujours été dans une dynamique, l'envie d'être des pionniers affirme David Jaegle, directeur de la cave. Dans mes pérégrinations, j'ai eu régulièrement des questionnements sur ce sujet, de la part de clients, de partenaires. Donc, quand Frédéric nous a sollicités, nous avions déjà des pistes potentielles sur le plan commercial... Nous n'avions pas d'objectifs précis, mais nous sommes plutôt surpris du bon accueil de ces vins. 

Ce n'est pas le cœur de notre métier, bien sûr, mais c'est une corde de plus à notre arc, pour faire tendre l'oreille à une clientèle jusque-là inaccessible. On touche à des thématiques qui comptent aujourd'hui : le côté calorique du vin, le bien-être, la santé, la sécurité routière aussi... Nous voulons parler aux épicuriens, qui ne peuvent ou ne veulent pas consommer d'alcool, mais veulent garder le côté festif. On leur propose des sodas ou de l'eau bien souvent, là il y a une alternative de qualité."

L'intérêt des clients et des confrères

"Moi, aujourd'hui, je suis fière de fabriquer ces vins, assume Evelyne Bléger. Au début, c'était ne pas avoir honte, aujourd'hui c'est une fierté d'avoir su concevoir quelque chose qui tient la route, et qui s'améliore au fur et à mesure. On est à la croisée des chemins, il faut se poser les bonnes questions. 

Le dry january, on est d'accord ou pas, mais c'est symptomatique de notre société. Si on veut continuer à vivre de notre métier, il faut évoluer...

Evelyne Bléger, œnologue à la cave de Ribeauvillé

Ce n'est certainement pas ce que je pensais faire lorsque j'ai démarré, mais on fait du mieux qu'on peut!"

Ces professionnels s'étonnent même de recevoir des coups de fil de certains de leurs collègues, pas franchement convaincus au départ de l'aventure, mais qui veulent maintenant savoir comment se lancer. "Le monde accélère, à nous de ne pas rester figés dans nos habitudes."

Et Frédéric Chouquet-Stringer de conclure : "en trois ans, les discussions que j'ai avec les viticulteurs ont complètement changé. J'ai été attaqué parce que je travaillais sur un point culturel de la France. Aujourd'hui, c'est accepté que je ne vais pas à l'encontre du vin, mais au contraire que c'est aider cette économie à continuer de se développer." Pour preuve, il compte aujourd'hui une trentaine de clients, dans le Bordelais, dans la Loire, en Alsace donc, et propose une gamme de quelque 70 vins désalcoolisés dans son catalogue.

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