Jacques Higelin, décédé ce vendredi, avait enregistré trois albums (« Amor Doloroso, « Coup de foudre » et le dernier de l’artiste, « Good ») dans son studio de Sainte-Marie-aux-Mines : Rodolphe Burger se souvient d’un artiste aux capacités inouïes même s’il pouvait parfois avoir mauvais caractère.
Jacques Higelin est mort à Paris ce vendredi à l'âge de 77 ans. Originaire d'Alsace par sa famille paternelle (ses grands-parents tenaient un bistrot à Didenheim, près de Mulhouse), l'artiste cultivait les liens avec la région, notamment grâce à Rodolphe Burger avec qui il a enregistré trois albums à Sainte-Marie-aux-Mines. Sans compter ses participations au festival "C'est dans la vallée" (festival créé par Rodolphe Burger) et à la Foire aux vins de Colmar en 1995.
Vous avez beaucoup travaillé avec Jacques Higelin est parti. Vous avez beaucoup travaillé ensemble. Est-ce pour vous d’abord la perte d’un ami ou d’un grand artiste ?
"Je suis sous le choc de ça. C’est la perte des deux. On a partagé beaucoup de choses ces dernières années avec Jacques. Je l’admirais comme artiste : il a beaucoup compté pour énormément de musiciens français, il a été une sorte de pionner, le premier qui a démontré qu’on peut être rockeur en France et en français avant Alain Bashung, avant les autres grands modèles."
"J’étais très surpris quand il est venu me trouver pour me demander de réaliser le disque qui allait devenir Amor Doloroso qu’on a fait ensemble dans mon studio et puis on en a fait trois à Sainte-Marie-aux-Mines. Y’a une histoire qui s’est nouée là-bas, c’était pour lui comme une sorte de retrouvailles avec quelque chose de l’Alsace qui a d’ailleurs compté de plus en plus pour lui, il en parlait beaucoup. On a partagé tellement de choses là-bas, en festival [« C’est dans ma vallée », festival créé par Rodolphe Burger], en studio… c’était beaucoup beaucoup d’affect, c’était quelqu’un avec qui le travail était constamment entremêlé de moments de vie tout à fait étonnants."
Higelin avait la réputation d’avoir mauvais caractère. Vous-même l’avez qualifié "d’animal sauvage difficile à apprivoiser". Comment était l’homme dans le travail ?
"Ça a été parfois compliqué dans certains cas. Mais j’ai très bien compris pourquoi. Mais ça s'est quand même extrêmement bien passé entre nous. A la fois, c’était extrêmement facile quand il était dans son assiette, qu’il se sentait bien et qu’il était à ce moment-là inspiré et capable de choses absolument fulgurantes. Et puis quelques fois, il ne trouvait pas la clef de ça, il ne se maîtrisait pas lui-même. Et il ne savait pas pourquoi. C’était très frappant. Et finalement, ce qu’il me demandait au fond, c’était de le remettre dans son assiette."
"Travailler avec lui, c’était à chaque fois retrouver les bonnes conditions pour qu’il se sente bien. C’est vrai que sinon dans les mauvais jours, il pouvait parfois être un peu de mauvaise foi, accuser le premier venu, l’ingénieur du son ou du musicien [rires]…. C’était ça ses moments de mauvaise humeur, comme quelqu’un qui est dans un moment de fureur parce qu’il perd quelque chose qui est son ressort principal. Parce qu’à côté de ça, il avait cette qualité très rare, cette capacité d’improvisation et d’inspiration absolument inouïes."
Quels sont les moments forts qui vous resteront avec lui ?
"Il y en a eu plein de moments incroyables. Un concert au théâtre de Sainte-Marie-aux-Mines où il y avait toute la population, toute la municipalité, où il a décrété la République libre de Sainte-Marie-aux-Mines, il a écrit un hymne à la commune, il a fini par avoir les clefs de la ville. Il avait un rapport affectif incroyable aux gens, aux lieux."
"Je me souviens aussi d’un festival en Bretagne. Il est arrivé de très mauvaise humeur et puis, au contact des gens, il s’est transformé. D’un coup, il ne voulait plus partir. C’est quelqu’un d’absolument unique. Je n’ai jamais rencontré d’équivalent dans son fonctionnement, dans sa personnalité. Le dernier disque [qu’on a fait ensemble], on savait que c’était le dernier. Sur certains titres, je pense qu’on a capté le meilleur de Jacques, la partie la plus folle, la plus psychédélique."
Il s’est produit plusieurs fois dans votre festival « C’est dans ma vallée » à Sainte-Marie-aux-Mines. Est-ce parce qu’il tenait à ses origines alsaciennes [sa famille paternelle est originaire du Haut-Rhin] ?
"Cétait pas le genre à faire tellement état de cela. Mais il en parlait. Un de mes secrets dans le travail avec lui, c’était de lui parler avec l’accent alsacien et ça lui rappelait son grand-père qui l’appelait "Chacky". Il suffisait que je l’appelle "Chacky" comme ça pour qu’il redevienne un petit enfant. Y’avait eu un bouquin sur les origines de son nom... Bien sûr que ça a compté même dans ses empreintes musicales. Sainte-Marie a été l’occasion qu’ils se rencontrent avec Alain Bashung. Ils se connaissaient déjà mais ils ne s’étaient jamais parlé. Ça a occasionné un concert assez unique à la Laiterie à Strasbourg. On était les trois Alsaciens en exil. On partageait des choses autour de ça, notamment des fixations alimentaires…. Les tartes aux quetsches jouaient un certain rôle dans la réalisation de ses albums [rires]."