"Si la France était confrontée à une menace directe de guerre, elle ne pourrait pas tenir plus d'une semaine", selon François Cornut-Gentille, rapporteur spécial des crédits de la Défense. Le député haut-marnais interpelle le gouvernement. Les 350 millions soutirés au budget de la défense sont un très mauvais signal.
François Cornut-Gentille dresse un bilan impitoyable de la situation de l'armée française. "Elle est obsolète et elle vit sur des vieux schémas de conflit."
Le député haut-marnais François Cornut-Gentille est l’un des meilleurs spécialistes des questions de défense à l’Assemblée Nationale. Il est engagé depuis plus de vingt ans sur ce dossier, à la commission Défense puis à la commission des Finances, en tant que rapporteur spécial des crédits de la défense.
L'armée française est obsolète
François Cornut-Gentille est très attaché à l'armée. En tant que député-maire, il s'était battu pour sauver la BA 113 installée à Saint-Dizier, alors que le gouvernement avait programmé sa fermeture. Il avait obtenu gain de cause. Aujourd'hui, avec ses cinquante Rafales capables de porter des charges nucléaires, Saint-Dizier a toute sa place dans le dispositif de défense français et dans la mission de dissuasion nucléaire de la France.
Mais cela n'empêche pas le parlementaire d'être lucide et d'oser dire ce que beaucoup taisent. "Il va de soi qu'on a des militaires compétents et dévoués et quand on regarde nos sous-marins, nos avions, on a du matériel sophistiqué. Mais si on se demande si on est au niveau en cas de conflit de haute intensité, la réponse est clairement non. Nous connaîtrions de grosses difficultés. Notre armée est obsolète."
Ce n'est pas sans amertume que le député Les Républicain analyse la situation. "La France est restée sur un schéma mêlant des restes de guerre froide et opérations de projection de forces limitées. Mais les temps ont changé comme on peut le constater en Ukraine où le conflit ne répond à aucun schéma classique."
Des munitions pour une semaine, et encore
Dès le début de la guerre, l'information a circulé sur les réseaux sociaux. L'armée française n'a pas suffisamment de munitions, que ce soit des obus ou des missiles. Le parlementaire haut-marnais confirme. "Selon l'intensité du conflit, on peut tenir de quelques jours à quelques semaines, pas plus."
Ce n'est pas la première fois que François Cornut-Gentille tire la sonnette d'alarme sur l'incapacité des gouvernements à adapter l'armée aux nouveaux défis. "Personne n’a voulu m’entendre, car nous vivions pendant des années dans l'illusion d'une paix durable. Personne ne croyait aux risques d'une nouvelle guerre sur le sol européen.. La guerre en Ukraine révèle nos manques."
Comme une armée expéditionnaire, l'armée française s'est spécialisée dans les opérations extérieures, au Mali, en Syrie ou en Centrafrique. Mais pouvoir mener des OPEX ne suffit pas. "Nous pouvons mobiliser 5 ou 6 000 hommes, mais pas 20 000 à 40 000 hommes dans un conflit en Europe, si cela devenait nécessaire. On est face à d’énormes difficultés, budgétaires, stratégiques. On envisage des opérations extérieures mais pas des conflits armés de masse." Il faut complètement revoir et repenser notre stratégie.
La guerre économique
La guerre se joue également sur le plan économique. François Cornut-Gentille pointe la dépendance de l'Allemagne à l'égard du gaz soviétique. "Je déplore la légèreté des Allemands sur le gaz. Gérhard Schroeder puis Angela Merkel se sont laissé piéger en ne misant que sur le gaz russe. Il faut bien réfléchir à la préservation de notre souveraineté."
350 millions d'euros enlevés à l'armée
Le parlementaire Haut-Marnais s’insurge contre la décision récente du gouvernement d’enlever 350 millions d’euros aux militaires pour financer le plan de résilience. "C’est un mauvais signal donné non seulement aux militaires, aux Français, à nos alliés et à nos ennemis. Comment, en agissant ainsi, le Président de la République peut « en même temps » affirmer que la défense est une priorité ?"
Pour lui, c’est l’inverse de ce qu’il faut faire, du signe fort qu’il faut envoyer aux militaires et aux Russes ou autres adversaires potentiels. "Il faut montrer que l'on est prêt à engager plus d'argent pour financer les munitions, les missiles supersoniques, les satellites." Retirer de l'argent à l'armée, c'est démontrer à nos ennemis potentiels qu'elle n'est pas une priorité.
Une loi de programmation militaire inadaptée
Le budget de l'armée est de 41 milliards. L'objectif est d'atteindre 50 milliards d'ici 2025, grâce à une augmentation de 3 milliards par an. On n'avait jamais fait d'aussi gros efforts au cours des 30 dernières années.
Pour autant, François Cornut-Gentille dénonce une mauvaise utilisation de cet argent. "Il est prévu pour remplir des objectifs que l'on s'était fixé il y a quelques années, alors qu'il n'y avait pas de menace. Il s'agit de conforter notre système de dissuasion avec l'achat de nouveaux rafales, de frégates, de gros outils, d'un nouveau porte-avions."
Or en quelques années, le contexte a beaucoup changé. "Aujourd'hui, avec la guerre en Ukraine et les tensions mondiales, il faut repenser la destination des sommes allouées à la Défense et oser s’interroger sur la pertinence opérationnelle de nos équipements, y compris les plus emblématiques."
L'avion européen, un super Rafale ?
Beaucoup de questions se posent, tant sur le plan opérationnel qu’industriel. L'avion de combat du futur sera-t-il européen ou franco-français ? Un super Rafale ou un tout autre avion ? Le député Haut-Marnais s’interroge : "Il faut réfléchir à ce que sera l’emploi des avion dans les guerres de demain où l’espace aérien sera plus contesté qu’aujourd’hui."
On a raté les drones
François Cornut-Gentille déplore que "il y a vingt ans, on n’a pas su prendre le virage des drones. On le paie aujourd’hui en dépendant des Américains pour nos opérations au Sahel. Or, on le voit en Ukraine mais aussi dans tous les conflits régionaux, les drones occupent désormais une place éminente dans la conduite et le succès des opérations. Est-on en mesure de rattraper le retard pris ? J’en doute malheureusement."
Les missiles hypersoniques sont apparus dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Toutes les puissances militaires ont conscience que cette technologie est appelée à jouer un rôle majeur dans les guerres. François Cornut-Gentille s’inquiète : "est-on organisé pour développer et disposer relativement rapidement d’un tel armement ? De ce point de vue, le précédent des drones n’est pas de très bon augure."
Ne pas passer à côté du spatial
L’enjeu du spatial est un autre défi pour la France. Le député souligne "que ce soit pour l’accès à l’espace ou la préservation de nos capacités satellitaires, nous devons sortir de nos réflexions traditionnelles et oser affronter la période d’incertitude qui est devant nous. Nous avons des forces mais aussi des fragilités en la matière. Acceptons-nous de les affronter ?"
Le nucléaire, atout de la France?
Vladimir Poutine a brutalement rappelé l’importance de l’arme nucléaire. Pour François Cornut-Gentille, "la France, grâce au Général De Gaulle, dispose de l'arme nucléaire et cela lui garantit une place de premier plan dans le concert des Nations. Cependant, il importe de bien réfléchir à la réalité de cette dissuasion et de ne pas se reposer sur des concepts qui peuvent être périmés. Il faut également la faire comprendre à nos partenaires européens afin que l’Europe puisse d’abord compter sur elle-même pour se défendre. Le chemin est encore long."
Renforcer notre souveraineté
La place de la défense française n’est pas assurée selon le parlementaire. "Depuis des années, notre leadership en matière de défense était perçu comme une évidence car la France était la seule nation d’Europe continentale à intervenir sur des théâtres d’opérations extérieures. Cependant, le succès réel de ces opérations nous a aveuglé sur des faiblesses structurelles de notre outil de défense. Je peux citer le renseignement spatial ou encore le transport stratégique."
Il y a urgence car le monde dans lequel nous vivons est incertain
François Cornut-Gentille, député de la Haute-Marne
Pour demeurer un pays leader en Europe, au moment où l’Allemagne va réinvestir massivement pour se doter d'une armée, il est important de repenser tant le volume que la nature des dépenses de défense.
François Cornut-Gentille souhaite que "l’ensemble des acteurs impliqués dans nos armées, les militaires, les industriels mais aussi les parlementaires et à travers eux les Français, puissent débattre sereinement de toutes ces questions, sans censure ni invective. Il y a urgence car le monde dans lequel nous vivons est incertain."
Il propose la mise en place d'urgence de réunions de concertation afin d'établir un nouveau plan de défense.