Au sud-ouest de Langres, en Haute-Marne, le village d'Aujeurres, 73 habitants, est animé par une bataille juridique. Au cœur du problème, Marie-Angèle et Louise-Denise, deux cloches dont les sonneries incommodent une retraitée, voisine de l'église.
Une pétition en ligne a été lancée le 17 février 2022, par Daniel Ribault. Cet habitant de la commune d'Aujeurres en Haute-Marne, est déterminé à se battre pour que les cloches puissent continuer à sonner, depuis le clocher-tour de l'église Saint-Didier. Elle a déjà recueilli 592 signatures, et cela ne cesse d'augmenter. Mais la voisine de l'église ne désarme pas, après une première action en justice, qui ne lui a pas donné satisfaction. Son avocat, Me Ludot a pris le dossier en main.
C'est une dépense inutile, et l'électrification n'a pas à être supportée pour une religion, par une commune.
Me Emmanuel Ludot, avocat de la retraitée.
Tout a commencé en 2015, quand le conseil municipal du village a décidé l'électrification de la sonnerie des cloches. Jusque là, c'était à mains d'homme que l'on sonnait les cloches à Aujeurres. Mise en place en 2016, l'électrification a depuis provoqué des remous.
"La chambre de ma cliente donne sur le clocher", indique Me Emmanuel Ludot. "Elle n'en pouvait plus". En 2016, Les cloches sonnaient les heures entre 7 heures et 22 heures, ainsi que les Angelus. L'intensité des sons la dérangeait. "Pendant trois ans, on a essayé de régler le problème, à l'amiable", explique la retraitée. En vain, puisque que Me Emmanuel Ludot a adressé une demande préalable au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Un vieux règlement de compte ?
La retraitée, qui ne souhaite pas donner son nom, n'est pas arrivée à Aujeurres, ces derniers mois. "Un de mes arrière-grand-père repose au cimetière du village. Mes aïeux sont d'ici. Enfant, je venais en vacances chez mes grands-parents." "Ce qui se passe renvoie à un vieux règlement de compte. On veut lui nuire", raconte Me Ludot.
La retraitée indique pour sa part : "Cela n'a jamais été dit ouvertement, mais c'est une vengeance sournoise. Il y a beaucoup de jalousie, de méchanceté". Impossible d'en savoir d'avantage.
592 personnes ont déjà signé. Ca vient de toute la France.
Daniel Ribault, auteur de la pétition en ligne.
Une première décision du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a bien été rendue, en 2019. Par cette décision, la commune devait verser à la plaignante 1 500 euros pour ses frais, mais surtout, le nombre des sonneries des cloches étaient réduites. Elles ne pouvaient plus sonner qu'entre 9 heures et 20 heures.
Anita Bourrier, la première adjointe au maire précise : "En août 2021, après une médiation, nous avons proposé d'installer des abat-sons pour atténuer le bruit. Temporairement, des plaques d'isorel ont été installées". La retraitée évoque un relevé de 74,5 décibels, constaté par huissier en 2018. "Selon le maire, ce serait redescendu à 69, mais à mon oreille, c'est pareil".
Le problème du financement
"A travers cette histoire, c'est encore la question du financement des religions qui est posée", indique Me Ludot. "Il n'y avait pas lieu d'électrifier la sonnerie des cloches. C'est une dépense inutile et l'électrification n'a pas à être supportée pour une religion, par une commune. Je demande la fin de l'électrification et que les cloches sonnent pour les mariages, les enterrements et les baptêmes".
L'avocat rémois estime que : "La première décision du tribunal n'allait pas assez loin. C'était un jugement de Salomon. Aujourd'hui", s'émeut Me Ludot, "on est en train d'organiser une fatwa contre une personne seule. Plus personne ne lui parle dans le village".
Pour sa part, la retraitée rappelle qu'elle avait proposé le maintien des sonneries civiles, avec réduction de l'intensité du son, ainsi que le maintien des cloches à la volée, pour les cérémonies religieuses (baptêmes, enterrements, mariages), mais aussi la suppression des Angelus. "Je ne voulais pas en arriver à une deuxième action en justice, mais ma proposition à l'amiable n'a pas été acceptée. C'est pour cela que j'ai fait appel à Me Ludot. Aujourd'hui la mairie veut organiser un référendum. Pourquoi ne l'a –t-elle pas fait dès le départ ?"
Deux pétitions en cours
Daniel Ribault, lui aussi est retraité. Cet ancien fonctionnaire réside à Aujeurres depuis dix ans. Il est à l'origine d'une pétition en ligne qui mobilise bien au-delà du département de la Haute-Marne. "592 personnes ont déjà signé. Cela vient de toute la France. On reçoit de nombreux soutiens, dont celui du maire de Saint-Flaive-des-Loups, en Vendée".
Dans cette commune de l'ouest de la France, des panneaux conseillent aux allergiques au son des cloches et au chant du coq, de passer leur chemin. "A Ceyrat aussi, dans le Puy-de-Dôme, une consultation a été organisée sur la sonnerie des cloches". Nos confrères de France 3 Auvergne s'en sont faits l'écho. Par référendum, la population de ce hameau auvergnat ont d'ailleurs rejeté l’idée de faire taire les cloches chaque nuit.
Daniel Ribault n'est pas pratiquant. Pour lui le son des cloches appartient au patrimoine. Il renvoie à la loi de janvier 2021 qui porte sur la préservation du patrimoine sensoriel. "Le bruit des cloches, comme le chant du coq ou l'odeur du fumier en font partie".
Si Daniel Ribault surveille les réactions à la pétition mise en ligne, son épouse, elle, fait du porte-à-porte. Avec une très classique pétition sur papier, elle va consulter les habitants du village. "80 à 90% des foyers auront bientôt signé. Il y a peu de refus", dit Daniel Ribault.
Bientôt des élections municipales
L'ancien maire d'Aujeurres, Frédéric Pottier, qui n'est pas originaire du village, a démissionné en janvier 2022 pour des raisons personnelles. Il rappelle que de nombreuses réunions de concertation ont été organisées, mais "8 à 9 coups c'est encore trop, pour cette retraitée. La population s'y est mise et ça fait plaisir qu'il y ait une telle mobilisation pour le patrimoine".
Suite à la démission du maire, des élections municipales vont être organisées à Aujeurres. Elles auront lieu les 20 et 27 mars 2022 pour que la commune dispose de deux nouveaux conseillers municipaux. C'est la première adjointe, Anita Bourrier qui actuellement a pris la relève. C'est elle qui suit le dossier et reçoit les lettres recommandées, apparemment nombreuses à être envoyées par la voisine de l'église. Une retraitée qui n'en peut plus de l'Angelus. "A chaque fois, c'est 109 coups, pendant deux minutes", dit-elle avec lassitude.