Marine a trouvé le 9 décembre un vieux bouclier plein de rouille en déménageant la cave de ses parents. Après qu'elle a demandé sur Facebook des recommandations pour le nettoyer, plusieurs inconnus se sont mis en tête d'en trouver l'origine... et ont découvert la vérité en un temps record.
Un vieux bouclier rouillé a déchaîné les passions sur le groupe Facebook Étudiants de Strasbourg. Marine n'aurait jamais sans jamais imaginé qu'il y aurait tant de réactions quand elle en a publié la photographie en ligne.
Tout commence le mercredi 9 décembre 2020, à Wettolsheim (Haut-Rhin, voir sur la carte ci-dessous). Marine est en train de vider la maison de ses parents. À la cave, voilà qu'elle découvre, fiché dans le sol de terre battue, un grand et vieux bouclier. Terni, rouillé. Elle est immédiatement fascinée et veut le restaurer. Démarre alors une petite aventure comme Internet les aime. Pour France 3 Alsace, Marine raconte les détails de cette histoire.
"Ce bouclier appartient à mon papa. Il lui a été offert par mon grand-père, il y a 30 ans. Je crois qu'il est resté planté dans cette cave pendant une dizaine d'années... Quand on a vidé, je l'ai vu entreposé là et j'ai dit : 'Eh, c'était le bouclier de papy...' Ma mère m'a dit de le prendre. Donc il est à moi, maintenant. Je l'ai ramené à Strasbourg pour le nettoyer."
Et ce bouclier est une belle bête : il arrive un peu au-dessus des genoux de Marine et pèse trois kilos. Percé de quatorze clous sur son pourtour, il arbore en son centre un blason. La héraldique représente un croisement (un écartelé dans le jargon) de deux tours et deux lions, au centre d'une aigle bicéphale (féminin en héraldique).
Cette aigle porte une grande couronne, et se trouve entourée de onze autres clous. À noter, deux attaches au dos du bouclier, permettant de le fixer à un crochet à l'aide une chaîne (déjà présente).
"Rentrée chez moi, j'ai cherché un moyen de le rénover, j'ai beaucoup regardé sur Internet. Et j'ai fini par poser la question sur ce groupe Facebook. " À l'origine, ce sont des conseils de nettoyage que Marine recherche auprès de la communauté estudiantine strasbourgeoise. Mais la majorité des internautes membres du groupe s'emballe, et n'a cure de la magie du bicarbonate de soude ou des vertus du vinaigre blanc.
Ce qui intéresse la plus grande partie de cette communauté, c'est décrypter la héraldique au centre du bouclier. Les discussions s'emballent. On y parle histoire. La grande histoire. Si Marine n'avait pas déjà su qu'il s'agissait d'un bouclier décoratif, elle aurait pu se découvrir des origines potentielles insoupçonnées...
Marine impératrice de toutes les Russies ?
Dix minutes après la publication, un certain Franz a déjà trouvé les couleurs d'origine du blason. Lions d'or sur fond de gueules (rouge) et tours d'or elles aussi sur fond d'argent (blanc). Très étonnée, Marine se questionne sur son origine. Franz suggère l'ex-Empire russe, dont les armoiries étaient connues pour son aigle bicéphale sable (noir). Et questionne Marine sur sa famille.
Marine répond qu'à l'exception du beau-père polonais de sa grand-mère, elle ne se connaît aucun lien avec cette partie du monde. Ses connaissances généalogiques ne remontent que jusqu'à ses arrière-arrière-grands-parents (c'est déjà pas mal). Elle ne s'attend pas à se découvrir des liens insoupçonnés avec d'autres parties du monde.
Certes, la maison Romanov (la famille impériale russe) a été décapitée par l'exécution du tsar Nicolas II et de ses enfants (dont la célèbre Anastasia) en 1918, après la Révolution russe. Mais de nos jours, plusieurs Romanov subsistent et se disputent encore aujourd'hui le trône de Russie (c'est pareil en France). Marine n'en fait a priori pas partie.
Saint-Empire et Espagne
Eh bien non. Franz se corrige, trouvant que l'aigle bicéphale fait plus allemande que russe... C'est plus cohérent, si l'on considère que le Saint-Empire romain germanique est bien plus proche géographiquement de l'Alsace. Et un certain Ben (qui s'est "fadé toutes les armoiries des vieilles familles nobles françaises pour vérifier") met sur le tapis le blason de la Castille et l'aigle bicéphale de la monarchie austro-hongroise. On ne s'en sort plus.
Un certain Hugo précise finalement que c'est le blason de la ville de Tolède (lien en espagnol). La piste de la Castille, province d'Espagne où se trouve la ville, était donc bonne. Selon lui, "s'il s'agit d'un bouclier d'époque, il a très certainement été ramené par les troupes de Napoléon Ier : après la prise de Tolède en 1808 durant la guerre d'indépendance espagnole".
Marine finit par interroger sa famille sur la provenance de cet 'ancestral' bouclier. Elle a alors confirmation qu'il n'est pas du tout ancestral (elle ne montera donc probablement jamais sur le trône de Russie). Son grand-père l'avait acheté dans une boutique de souvenirs près de Sierentz (Haut-Rhin), ayant depuis mis la clé sous la porte. Ce serait donc une copie... qu'un certain Théo découvre sur le site d'un artisan... de Tolède. La boucle est bouclée.
Après l'histoire, le nettoyage
"J'ai eu des messages d'étudiants en histoire, archéologie... Tous ces échanges, c'était super intéressant. J'ai appris des trucs sur les blasons. J'aurais adoré retourner dans la boutique si elle n'avait pas fermé. Ça m'a donné envie d'aller visiter les musées de Tolède... Si le bouclier avait été d'époque, je l'aurais emmené en voyage. Et si il avait été volé pendant une guerre, je l'aurais restitué à son pays si nécessaire. Ça aurait été une belle histoire."
Ça m'a donné envie d'aller visiter les musées de Tolède...
Maintenant que Marine connaît la vérité, un certain Lukas peut se recentrer sur l'objet de la publication, à savoir quelques conseils de nettoyage, que Marine applique cérémonieusement. "J'ai utilisé du bicarbonate de sodium avec lequel j'ai fait une pâte, quatre citrons, trois brosses à dents, du vinaigre blanc..."
Et beaucoup d'huile de coude. "Il fallait en plus que je fasse attention à ne pas le rayer... Ça a bien marché, j'ai même réussi à ravoir les rivets, naturellement dorés car ils sont en laiton. Et après 24 heures dans le vinaigre blanc, j'ai frotté le bouclier à la paille de fer. Merci à François, mon coloc, qui m'a bien aidée à le faire. Parce que wahou, il faut de la force."
Ne restera plus qu'à vernir l'ensemble, après l'élimination de l'ultime tâche de rouille. Elle s'attarde un peu au bas du bouclier : c'est cette partie qui était plantée dans le sol en terre battue, et qui a donc le plus souffert. Il n'a toutefois pas retrouvé tout son éclat. "Mais ça lui donne un effet argenté plus vieilli, et ce n'est pas si mal..."
"Mon père n'en a pas eu grand-chose à faire, de toute cette histoire. C'est pour ça que j'ai récupéré ce bouclier. En plus, il a une petite valeur : entre 130 et 170 euros, apparemment." Pas question de le vendre, néanmoins. Elle préfère l'exposer sur un bel emplacement d'un mur chez elle.
Vous connaissez maintenant la grande histoire de ce bouclier. Il pourrait y avoir une suite : Marine possède aussi une broche ancienne, ayant appartenu à une arrière-grand-mère. Elle viendrait d'Italie. De quoi ouvrir une nouvelle enquête...