Le Lorrain Rachid Bouamara veut sortir des oubliettes de l'histoire le sacrifice des tirailleurs algériens pendant les deux guerre mondiales. Son livre est une contribution indispensable aux débats sur la question de l'identité.
Rachid Bouamara est tombé dans l’écriture par accident. En 1999, ce jeune footballeur amateur de Longuyon (Meurthe-et-Moselle), se blesse et doit renoncer au sport.
Le fils d’un ouvrier sidérurgiste algérien arrivé en France en 1967 cherche à occuper ses loisirs et croise la route de Slimane Azem. Le grand poète kabyle qui fût aussi ouvrier aux Aciéries de Longwy chante la condition des immigrés et les souffrances de l’exil. La chanson "la carte de résidence" va agir comme un révélateur. Ces phrases en particulier : "Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, si je dois vous dire adieu, sachez bien que mes aïeux ont combattu pour la France. Ont combattu pour la France bien avant la résidence."
Rachid questionne son père et se découvre un grand-oncle tirailleur algérien tombé au champ d’honneur le 14 mai 1940 lors de de la bataille de Gembloux (Belgique).
Rachid Bouamara n’aura alors de cesse que de parcourir les nécropoles, visiter les musées et rassembler tous les documents disponibles sur l’histoire des tirailleurs algériens. Une histoire longtemps occultée par la mémoire officielle.
"A l’école, je me sentais illégitime"
Rachid décide de faire de toute cette matière patiemment rassemblée un livre, Il l’intitule : "Le silence tiraillé" Un silence double : celui de l’histoire officielle et celui entretenu au sein même des familles. Questionnant ses connaissances d’origine algérienne, il s’aperçoit que peu de personnes connaissent le sacrifice des tirailleurs pendant les deux guerres mondiales. "Le silence dans les familles vise sans doute à occulter le spectre de la colonisation, les souffrances, préserver les enfants… on le retrouve dans toutes les familles algériennes." Il regrette cette absence de transmission au sein des familles.
Lui-même en a souffert, "à l’école je me sentais illégitime. Quand j’ai appris l’histoire des tirailleurs, je ne me suis plus senti comme un intrus en France."
L’écrivain longuyonnais martèle : Il faut que les jeunes d’origine algérienne investissent cette histoire, il faut sortir de la victimisation. Leurs aïeux ont donné leur sang pour qu’ils puissent vivre aujourd’hui en toute liberté : "c’est un honneur, cela donne une légitimité à leur appartenance à la société française."
"Mon livre aspire à la paix"
Rachid Bouamara, aujourd’hui agent territorial, en est convaincu. Si cette histoire avait été connue et étudiée dans les écoles, il y aurait moins d’animosité et un meilleur vivre ensemble. Il faut pour cela que la France assume aussi ses choix historiques. Elle a choisi son destin économique avec la politique d’immigration, elle doit composer avec cette réalité : c’est le fil conducteur de mon livre. S’il est critique, il aspire aussi à la paix.
Chaque année, le 14 mai, Rachid emmène ses enfants à Limal en Belgique sur la tombe du tirailleur Mouloud Bouamara tombé pour la France, "pour qu’ils soient fiers et comprennent qu’ils sont Français à part entière."
Arrivé en Lorraine lorsqu’il avait deux ans dans le cadre de la politique de regroupement familial, Rachid revendique deux mères : une mère biologique, l’Algérie et une mère adoptive, la France qu’il aime d’un amour égal.
Le gamin né à Djudjura a écrit cinq livres sur Longuyon, sa ville d'adoption, trois sur le foot et un autre sur les expériences de mort imminente.
Il a aussi été acteur dans le film de "Les Hommes d’argile" de Mourad Boucif. Cette fiction tournée en 2015 retrace l’histoire d’un jeune berger marocain enrôlé dans un régiment de tirailleurs pendant la seconde guerre mondiale. Il est tard dans cette petite salle de café où nous nous sommes donné rendez-vous. Avant de prendre congé, Rachid lâche une dernière phrase : "Ces hommes ont combattu pour quelque chose d’encore plus grand que la France : la liberté !"
Le silence tiraillé, Rachid Bouamara (Publishroom Factory), 20 euros.