Mohamad et Maxime, deux mineurs étrangers isolés : la loi les protège, le système les détruit

Mohamad et Maxime sont afghan et guinéen. Leurs parcours de vie avant leur arrivée en France relèvent du combat. Leur vie en France se résume à un autre combat. Pourtant, la loi du 14 mars 2016, relative à la protection de l'enfance, leur garantit les mêmes droits qu'aux autres mineurs. 
 

Mineurs à leur arrivée en France, Maxime le guinéen et Mohamad l'afghan nous racontent leurs combats et leurs espoirs d'avenir, ici, dans la région Champagne-Ardenne. C'est la mort, celle de son père qui précipite la fuite en avant de Maxime. Une disparition qui éloigne définitivement de l'école, Maxime et son grand frère. Ils sont aussi les aînés de deux petites sœurs, et leur maman ne peut plus assumer la scolarité de ses enfants. Ils prennent alors une décision importante: fuir le pays pour trouver un avenir meilleur et surtout pouvoir reprendre leurs études.

Ils ont entre 15 et 17 ans. Leur périple, ces jeunes ne l'imaginent pas. Mais ils vont le vivre douloureusement. Pas de détails sur le financement, et sur ces inévitables passeurs qui les conduisent droit dans les geôles libyennes. Ils seront torturés, ligotés les mains dans le dos, les pieds liés et les jambes repliées sur le corps. Leurs bourreaux appellent leurs familles tout en les battant… et en espérant en tirer le maximum d'argent. Mais qui peut imaginer que la famille de Maxime puisse verser une quelconque rançon.
 

De Guinée Conakri à la France en passant par les geôles libyennes

Avec l'énergie du désespoir Maxime et son frère réussissent à s'enfuir de Libye. Tous les deux physiquement très diminués. Maxime a le genou cassé, des traces de coup, de brulûres sur tout le corps. Son grand frère est encore plus mal en point. Il décédera de ses blessures sur l'embarcation de fortune qui les emmène vers l'Italie. Maxime nous raconte ce parcours entre deux sanglots.

Si j'avais ma mère, je n'aurais pas souffert comme ça… mon frère ou mon père, je n'allais pas rester comme ça.
- Maxime

Maxime arrive en France à Meaux. Il est pris en charge par l'aide sociale à l'enfance du département, et évalué, c'est-à-dire auditionné par les travailleurs sociaux aptes à juger sa situation. Le jeune guinéen est alors reconnu mineur par le département de Seine-et-Marne. En 2016, Maxime à 16 ans.

Les départements d'accueil ne pouvant pas garder tous ces enfants, Maxime quitte la Seine-et-Marne au bout de quelques mois. C'est ce que l'on appelle la clé de répartition qui, comme son nom l'indique, permet une répartition de ces mineurs sur tout le territoire français et un équilibre des prises en charge. Maxime est donc placé dans un foyer qui accueille les enfants à partir de 16 ans à Châlons-en-Champagne. Il est scolarisé, et réussi a trouver une entreprise. Il début alors un contrat d'apprentissage. Il veut devenir chaudronnier-soudeur. Jeune, motivé, entreprenant, il est très apprécié de ses patrons qui veulent le garder à l'issue de son CAP.

Maxime débute enfin une vie comme tous les adolescents de son âge… ou presque. A Châlons-en-Champagne, il se rapproche du Réseau Education sans Frontière (RESF). Marie-Pierre, une des bénévoles, deviendra une de ces personnes ressources sur qui il pourra compter, comme une famille. Durant ces deux années, Maxime prépare aussi la suite. Marie-Pierre et tous les bénévoles de RESF, ceux de l'association Reims Exil Solidarité, le lui ont dit. A sa majorité un autre parcours débutera, il faut tenter de l'anticiper. Le jeune guinéen demande donc son acte de naissance aux autorités de son pays. Il est prêt à affronter la suite lorsque sonne ses 18 ans.

A la rue 5 jours après ses 18 ans

"Je connais des gens, lorsqu'ils ont un an de plus, font une fête. Mais nous à 18 ans, c'est dehors, raconte Maxime en pleurant.

Ils m'ont donné 5 jours pour ramasser mes bagages, et j'ai été mis dehors (du foyer). J'ai appelé le 115 pour trouver un hébergement, mais il n'y avait pas de place.
- Maxime

Maxime raconte ainsi son arrivée dans la majorité. Il s'est senti complètement seul. La tête perdue. "J'ai reçu beaucoup d'appels du lycée, de l'assistante sociale. J'étais à deux doigts de m'en sortir. Je suis tombé." Il arrive à Reims où le relais est pris par Ibtissam de l'association Reims Exil Solidarité qui le met à l'abri. Après deux années sous la protection du département de la Marne, Maxime est laissé pour compte. Aucune passerelle existe entre cette vie de mineur isolé protégé et cette nouvelle existence de majeur.

Ecoutez ici le témoignage poignant de Maxime


Un dossier de demande de titre de séjour n'avance pas

Un acte de naissance, deux actes, puis trois sont fournis à la préfecture de la Marne. Des actes jugés faux par la Police de l'Air et des Frontières. Une démarche où l'on demande aussi un Maxime une certification supplémentaire auprès de l'ambassade de France en Guinée. Certification qui n'existe pas, et surtout, qui n'est pas obligatoire. Pour lui, c'est la double peine. Son dossier de régularisation est comme une lettre morte. Son contrat d'apprentissage s'arrête faute de régularisation. Maxime s'accroche malgré tout à ses études. Il a décidé de décrocher coûte que coûte son CAP. "En France j'espère beaucoup de choses. J'espère être un entrepreneur. J'ai perdu, faut que je gagne."

Le parcours de Mohamad

 

Mohamad passe de 15 ans à 19 ans après des tests osseux

Mohamad vient d'Afghanistan. Comme Maxime, il part avec son grand frère. Comme Maxime, il perd son aîné dans un camp de réfugié en Bulgarie. Mohamad ne sait pas ce qu'est devenu son compagnon d'exil. Une bagarre a éclaté, l'armée à chargé et tiré des coups de feu. Il pense que son frère est mort. En tout cas il n'entendra plus parler de lui. Il restera près d'un an en exil. Il traversera à pied six pays. L'Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Croatie et l'Italie et enfin il arrive en France, au camp de Calais puis à Paris.

A cette période là, Mohamad n'a que 15 ans. L'aide sociale à l'enfance le prend en charge. Sans papier sur lui, il est reconnu sans problème mineur après son évaluation. Il part pour Châlons-en-Champagne. C'est un autre combat qui débute. Le département de la Marne, à qui il est confié, le place dans un premier temps au foyer de l'enfance. Mais les services de l'aide sociale à l'enfance décident, quand même, de refaire l'évaluation déjà pratiquée par leurs collègues de Paris.

Est-ce vraiment comme le souligne la CIMADE dans un de ses rapports que : "Des départements vont refuser de considérer mineur un jeune qui lui est envoyé par un autre territoire au prétexte que cet autre département serait «laxiste». Il existe de grandes différences de traitement entre les départements, ce qui pose question lors de la répartition des jeunes pris en charge. Dans certains territoires, 9% des jeunes qui se présentent vont être considérés mineurs, dans d’autres 100%".

Le département de la Marne semble effectivement faire partie de ceux-là. Très peu de jeunes sont finalement reconnus mineurs dans la Marne. Les chiffres de 2018 du ministère de la justice, non encore officiels, parleraient de 300 jeunes étrangers accueillis et de 33 reconnus mineurs. Mohamad passe donc cette deuxième évaluation dans la Marne. Il est bien reconnu mineur mais le Procureur de la République demande un test osseux. Fort des résultats de cet examen, la justice décide de son âge. Il passe de 15 à 19 ans. Il est mis dehors du foyer de l'enfance.

Jusqu'à la Cour d'Appel

Une nouvelle fois ce sont les associations qui prennent le relais pour l'hébergement et pour défendre ses droits. Le juge pour enfant est saisi et décide de remettre en place sa protection. Il pose à nouveau ses valises au foyer de l'enfance. Mais la justice n'en a pas terminé avec lui… et le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Châlons-en-Champagne "a constaté qu'il n'était pas mineur et que sa demande de délégation d'autorité parentale est devenue sans objet". Dans le jugement de main levée en date de mai 2018 il est noté que la justice rejoint alors "la note des services de la Direction de la Solidarité Départementale de la Marne précisant que l'ensemble des faisceaux d'indices tendant à démontrer que Mohamad ne nous a pas dit la vérité sur son identité et l'âge qu'il prétend avoir et qu'il pourrait être majeur".

Mohamad est à nouveau à la rue pour la deuxième fois en quelques mois. Les terreurs nocturnes deviennent alors son quotidien. Ibtissam, devenue une spécialiste des droits des personnes exilées, ne lâche pas le jeune homme. Elle engage un recours auprès de la Cour d'Appel avec l'avocate de Mohamad.

Tout récemment, le juge de la Cour d'Appel a reconnu Mohamad comme un enfant de 17 ans. Le jeune homme est donc reparti au foyer, libéré d'une pression énorme.
Mohamad a repris le cours de sa vie… au moins pendant un an. Il aura 18 ans en 2020.

Quand des dossiers trouvent une issue favorable

Depuis que nous avons rencontré Maxime et Mohamad, des avancées importantes ont eu lieu sur quelques dossiers. Les bénévoles des associations s'en félicitent. 
Un jeune africain a vu sa situation évolué favorablement. Bloqué à cause de papiers d'identité déclarés faux, sa convocation récente à la préfecture lui a permis d'espérer à nouveau. Sa situation est en voie de régularisation.
Même chose pour un jeune pakistanais dont les papiers d'identité, déclarés authentiques par l'ambassade de France à Islamabad, avaient été "retoqués" par la police de l'air et des frontières françaises. Il a reçu le 19 avril dernier son récépissé de demande de carte de séjour.
 
Le département de la Marne recadré par le défenseur des droits
Le 28 mars dernier, Jacques Toubon le défenseur des droits écrivait au président du département de la Marne Christian Bruyen. Un courrier demandant plus de moyens pour la prise en charge des mineurs étrangers isolés.

Dans la Marne, les mineurs isolés sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance. Le département travaille ensuite avec l'association La Sauvegarde 51 qui gère les établissements de placement (notamment le foyer Bellevue) et les services dédiés.

Alerté, il y a plusieurs mois, concernant le suicide de Denko Sissoko mort en janvier 2017, Jacques Toubon, le défenseur des droits, s'est exprimé très clairement sur cette situation mais aussi, plus globalement, sur celle des mineurs étrangers isolés du département de la Marne.
"Sur l'accompagnement socio-éducatif des jeunes gens en cours d'évaluation et des mineurs pris en charge, (le défenseur des droits) estime que l'encadrement prévu fin 2016-début 2017 était insuffisant et a ainsi porté atteinte à l'intérêt supérieur des personnes se disant mineures non accompagnées (…), durant le temps de leur évaluation, ainsi qu'au mineurs reconnus".
Denko Sissoko s'est suicidé, se jetant d'une fenêtre du foyer Bellevue, durant cette période de manquement.
Jacques Toubon précise que depuis des "améliorations (ont été) apportées au dispositif de mise à l'abri et d'accueil des mineurs non accompagnés, mais regrette qu'aucune présence socio-éducative ne soit prévue en soirée et le dimanche, notamment au foyer Bellevue (foyer où était logé Denko Sissoko). Il recommande à La Sauvegarde 51 et au département de l'organiser dans l'intérêt des jeunes accueillis".
Le défenseur des droits estime aussi "que le foyer Bellevue est inadapté à l'accueil des mineurs". Il "invite le département et la Sauvegarde à envisager le recrutement d'un psychologue et/ou d'une infirmière, même à temps partiel".

Renforcement de la formation et insuffisance d'accompagnement des jeunes devenus majeurs

Concernant la prise en charge des mineurs isolés étrangers, Jacques Toubon, "invite le département à renforcer la formation de ses personnels en charge de l'évaluation, à l'appréhension des troubles psychiques et des symptômes de stress post-traumatiques". Il "recommande au département l'abandon de la formulation "ne dit pas la vérité" dans les rapports d'évaluation socio-éducatifs, incompatible avec la neutralité et la bienveillance attendue des professionnel en charge de l'évaluation".
Enfin sur la préparation à la majorité et à l'autonomie, le défenseur des droits "constate l'insuffisance de l'accompagnement des mineurs non accompagnés lors de leur passage à la majorité. Il rappelle au département de la Marne que les aides prévues par le code de l'action sociale et des familles pour les jeunes majeurs ne sont pas conditionnées à la régularité de leur séjour sur le territoire".

Jacques Toubon "demande à Monsieur le Président du conseil départemental de la Marne et à Monsieur le président de La Sauvegarde 51 de lui indiquer les suites données aux recommandations dans un délai de deux mois".
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