350 vignerons de Veuve-Clicquot Krug étaient en grève ce jeudi 14 mars. Ils se sont rassemblés au siège de la maison de Champagne, à Verzy (Marne) pour dénoncer de mauvaises conditions de travail, des rémunérations insuffisantes et un mépris de la direction.
Environ 85% des effectifs des vignerons de la maison Veuve-Clicquot Krug, soit 350 personnes, étaient en grève pour l’après-midi, ce jeudi 14 mars. Près de 300 d'entre eux se sont rassemblés dès la fin de la matinée devant le siège à Verzy, dans la Marne, bien décidés à faire entendre leur colère et leur lassitude.
Cette mobilisation portée par l'Intersyndicale CGT du Champagne a débuté le 26 février, avec l’organisation d’1h de grève chaque lundi, mercredi et vendredi. Mais aujourd’hui, pour la première fois, le mouvement a été rejoint par la partie production, en soutien aux vignerons des dix vignobles sur les trois secteurs autour de Verzy, Saint-Thierry et Avize.
Dernière roue du carrosse ?
La rémunération étant jugée trop éloignée de celle des autres salariés du groupe MHCS, filiale du groupe LVMH, les revendications se multiplient : prime de gratification de 8,50€ par jour, prime d’astreinte, prime d’équipe pour les salariés travaillant de 5h à 13h.
Dernier point, une augmentation générale des salaires de 5.7%, soit 4.9% pour l’inflation et 0.8% pour les bons résultats de la maison en 2023, avec 217 millions d’euros de bénéfices nets, troisième meilleure année. La proposition de la direction, 4%, a été refusée par la CGT Champagne qui estime qu’il s’agirait d’une “perte de pouvoir d’achat”.
D’un côté on donne aux actionnaires et de l’autre rien aux salariés. On a aussi le droit à notre part du gâteau, on ne demande pas la lune. S’ils gagnent autant d’argent c’est parce qu’en travaillant on crée leur richesse. Sans nous, ils ne sont rien.
Kevin Beaulieu, délégué syndical depuis six ans
Un manque de reconnaissance que ne supportent plus ces travailleurs, marqués par le fossé qui se creuse entre eux et la nouvelle direction, arrivée il y a six mois. Ils sont nombreux à illustrer leurs propos en citant la voiture à 70.000 euros de la directrice, les sorties au karting ou la proposition de distribution de pains au chocolat à la fin des vendanges.
"On ne veut plus tolérer ce mépris", prévient Kevin Beaulieu. Et alors que les vignerons doivent utiliser leur voiture personnelle pour aller dans les vignes, font face aux exigences du bio, se rendent disponibles pour des astreintes en week-end et changent d’horaires 17 fois dans l’année et risquent de devoir travailler les bras en l’air, avec la mise en place de vignes en semi-large.
Sans parler des statuts précaires, les CD2i et les saisonniers. Ces derniers, déjà confrontés à des difficultés d’accès aux indemnisations chômage faute de contrats assez longs, attendent depuis deux mois leur fiche de paie. D’où la volonté de l’intersyndicale d’augmenter le temps de travail des CD2i de 72% à 80% et de créer dix emplois pour faire face à la surcharge de travail due aux nouvelles méthodes de travail du sol.
Deux poids, deux mesures
“Il y a un malaise dans le secteur. On a oublié de passer au 21e siècle et on traite les salariés comme au 18e. Il va falloir se mettre à la page”, a fustigé le représentant syndical Robert Mastri lors d’un discours.
Les vignerons dénoncent en effet l’utilisation de leur véhicule personnel. “C’est archaïque. Pourquoi nos contremaîtres ont un véhicule de service et pas nous, alors que l’on s’y rend quotidiennement ?”, s’enquiert Gabriel Vincent, secrétaire de la Santé Sécurité au Travail (SST). Il pointe du doigt la charge qui leur incombe, avec des véhicules abîmés plus rapidement, du kilométrage qui s’ajoute, le prix de l’essence. “Et quand on nous parle d’environnement, 22 personnes et 22 véhicules, bon….", fustige-t-il.
Les salariés ont par ailleurs alerté l’inspecteur de Reims sur le risque de danger grave et imminent (DGI) encouru puisqu’ils transportent le matériel nécessaire, dont cisailles et sécateurs. En réponse, une flotte de 8 véhicules a été déployée pour partager les trajets, mais les élus estiment qu’il en faudrait 50.
"La bataille ne fait que commencer"
Mais l’impression de ne pas être écouté subsiste, malgré une réunion lundi 11 avec la direction. "Tout ce que nos vignerons demandent, c’est non. Tout est renvoyé en NAO au siège du groupe", regrette Johnny Goudard, secrétaire du comité d’entreprise. D’autant que la direction a d’ores et déjà désamorcé certaines demandes en prévenant que l’année 2024 risquait d’être compliquée financièrement.
“La bataille ne fait que commencer”, prévient Robert Mastri, qui précise toutefois vouloir des discussions pour une évolution correcte, “que l’on soit dans les caves, les bureaux ou dans les vignes.” L’intersyndicale n’exclut pas l’organisation d’une grève d’une heure par jour suite à la prochaine réunion NAO, prévue mardi 19 mars, si celle-ci n’est pas jugée concluante.