L'attaque au CHU de Reims montre la souffrance du secteur de la psychiatrie en France

Après l'agression au couteau au sein de l'hôpital Maison Blanche de Reims lundi 23 mai qui a provoqué la mort d'une infirmière, l'enquête montre des avis différents concernant l'état de santé mentale de Franck Freyburger, l'auteur présumé des faits. La question cache un enjeu de taille : le manque de moyens en milieu psychiatrique.

C'est un drame qui secoue la France entière, en particulier le milieu hospitalier. Lundi 23 mai, Franck Freyburger, 59 ans, tuait une infirmière et blessait une secrétaire médicale à l'hôpital Maison Blanche de Reims, dépendant du CHU. 

Connu des services de police, l'homme n'en est pas à son coup d'essai. En 2017, il avait déjà poignardé quatre employés de l'ESAT (établissement ou service d'aide par le travail) de la commune de Le Meix-Tiercelin (Marne), dont un grièvement. 

Franck Freyburger, souffrant de schizophrénie et de paranoïa, "faisait l'objet de soins psychiatriques depuis 1985, avec de nombreux séjours hospitaliers et a été reconnu adulte handicapé" selon les termes du procureur de la République de Reims. 

La psychiatrie : un milieu désoeuvré 

Lors de sa conférence de presse mercredi 24 mai - où il notamment sollicité la mise en examen pour assassinat et tentative d'assasinat de l'auteur présumé des faits et son placement en détention dans une unité hospitalo-carcérale, procédure validée plus tard dans la journée  - le procureur a détaillé les derniers résultats de l'enquête, et mis en évidence "une divergence de points de vue" entre la mandataire judiciaire et le psychiatre de Franck Freyburger. "La première, estimant à plusieurs reprises, que depuis au moins décembre 2020, l'intéressé ne prenait plus régulièrement son traitement. Tandis que le psychiatre estimait que son état était stabilisé, que le traitement était pris, et que la mesure de protection ne se justifiait plus". 

Un élément important de l'enquête, qui rouvre un dossier épineux : celui de l'état de santé du milieu psychiatrique, et notamment au sein de l'hôpital public. "Le service public est débordé" affirme le docteur Thierry Delcourt, pédopsychiatre à Reims, mais dont certains de ses patients sont des adultes. "Il y a un manque cruel de psychiatres, et plus généralement de professionnels, comme des infirmiers. Ils ne peuvent pas réellement répondre aux urgences". Une situation qui dure depuis "plusieurs années" selon le médecin, aggravée par "une crise sociétale" que nous traversons. "Les jeunes adultes sont en manque de repère, et de plus en plus de situations de détresse sont constatées" déplore-t-il. "Cela crée une demande d'aide très forte de leur part. Personnellement, je ne peux pas répondre à toutes ces demandes". 

Il y a des patients dangereux qu'il faut mieux encadrer, et mieux soigner

Dr Thierry Delcourt, médecin pédopsychiatre à Reims

Pour les médecins psychiatres - et cela concerne aussi d'autres spécialités - les journées de travail sont rudes. "Je commence à 7H30 et je finis à 20H. Toute la journée je dois gérer des situations graves" explique-t-il. 

Comment garantir une bonne prise du traitement prescrit ? 

Concernant Franck Freyburger, le docteur Thierry Delcourt reste prudent, ne l'ayant jamais eu en consultation. "Ce que je peux dire, c'est que lorsque je soigne des patients, je leur donne rendez-vous la semaine suivante, et je me dis toujours qu'il pourrait leur arriver quelque chose d'ici là. Mais c'est plus de l'ordre du suicide ou de l'auto-agression". "D'une manière générale, je m'inquiète plutôt du danger que le patient représente pour lui-même, et non pour les autres. Mais il y a des patients dangereux, qu'il faut mieux encadrer, et mieux soigner."

Sur l'affaire, Thierry Delcourt l'affirme : le psychiatre du principal suspect du meurtre de Carène Mezino se protège. "C'est normal. Il ne va pas dire : j'ai fait une faute". Mais cela met en lumière plusieurs aspects sur la responsabilité endossée par les professionnels de santé vis-à-vis de leur patient. "C'est une responsabilité sans garantie. Qu'est-ce que le psychiatre a comme preuve que son patient prend bien son médicament ? Aucune. La seule preuve que l'on pourrait avoir, c'est lors d'un traitement injectable et supervisé par un professionnel de santé" souligne-t-il. 

C'est tout le problème dans l'affaire de Franck Freyburger : ses prescriptions concernaient des médicaments par voie orale. Depuis plusieurs années, il était censé suivre un planning strict, mais l'avait rompu selon la mandataire judiciaire. Son psychiatre, entendu par les enquêteurs, affirme le contraire et l'avait vu cinq fois en consultation sur les six derniers mois. 

Un patient peut faire croire qu'il va bien 

Plus problématique encore : selon les éléments de l'enquête, Franck Freyburger semblait "stabilisé" aux yeux de son médecin. "Tout patient peut faire croire des choses" certifie le docteur Delcourt. "L’exemple typique, ce sont les personnes qui sont profondément dépressives, qui vont nous faire croire que ça va mieux, mais qui derrière ont déjà orchestré leur suicide. Je viens de participer à un colloque sur les violences intrafamiliales, une des conclusions tirées était de dire qu'un patient peut faire croire qu'il va bien, et le lendemain tuer sa femme". 

Nous en revenons au problème de manque d'effectifs en milieu psychiatrique. "Est-ce que la psychiatrie peut encore garantir la sécurité des patients et de leurs proches ? Quand on voit les patients très rapidement, quand on est à flux tendu, quand près d'un tiers des lits dans les hôpitaux psychiatriques ont été retirés sur les 30 dernières années, on peut avoir un manque de considération pour les patients" alerte-t-il. "La caractéristique de la psychiatrie, c’est qu’on doit prendre du temps. Sans ce temps nécessaire, on compromet l’évaluation et le soin". 

Des raisons qui pourraient expliquer pourquoi Franck Freyburger était en liberté au moment des faits, et malgré un diagnostic psychologique avéré. 

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