Juliette de Causans mène une liste pour les élections sénatoriales de 2023 dans la Marne. Elle assume son envie de porter des thématiques locales et constitutionnelles à la chambre haute. Elle a fait parler d'elle pour avoir utilisé une intelligente artificielle (IA) pour retoucher les photographies utilisées dans ses campagnes, une stratégie assumée.
Elle n'est peut-être pas très connue, mais elle a su faire parler d'elle. Juliette de Causans, qui vit entre les Ardennes et Reims (Marne), où elle enseigne, avait candidaté plusieurs fois aux législatives de 2022 et 2023.
La voici désormais en tête d'une liste, "Ensemble, ayons des projets d'avenir", pour les élections sénatoriales du dimanche 24 septembre 2023 dans la Marne. Elle utilise pour ce faire une photographie "légèrement" retouchée; moins qu'une précédente qui a fait beaucoup parler lors de sa candidature pour la huitième circonscription des Français de l'étranger. Il s'agissait d'une élection partielle ayant eu lieu en avril 2023 (le député sortant, Meyer Habib, était accusé par le Conseil constitutionnel d'avoir gagné via "des irrégularités et manœuvres", ce qui ne l'a pas empêché de candidater à nouveau et redevenir député).
France 3 Champagne-Ardenne a contacté la candidate, qui a tenté plusieurs législatives et dont on sait déjà qu'elle sera présente aux élections européennes du 09 juin 2024. Elle assume d'avoir fait parler d'elle et de son parti via son image si commentée.
Une photographie qui a fait beaucoup jaser
À l'occasion des législatives partielles d'avril 2023, Libération a titré sur trois de ses candidates qui auraient retouché la photographie d'elles apparaissant sur leur affiche de campagne. Juliette de Causans assure que la plus récente "est très peu optimisée par rapport à la précédente. C'est juste de l'embellissement de teint. Je suis passée il y a peu de temps sur BFM et on me voit." (voir le tweet ci-dessous)
"Je n'ai pas de problème avec mon physique. Moi, j'utilise l'intelligence artificielle parce qu'Europe Égalité Écologie a un programme politique là-dessus. En démocratie, dorénavant, beaucoup de choses passent par les réseaux sociaux. On utilise aussi l'intelligence artificielle dans plusieurs domaines de la vie. On a donc des propositions concernant la gestion de ces nouveaux outils qui transforment profondément la société et qui peuvent justement porter atteinte à la démocratie."
"On n'a donc pas fait ces actions sans réflexion. Une image porte en elle une certaine symbolique. Quand on fait une affiche de campagne, on veut signifier quelque chose. Et aussi faire connaître sa candidature. C'est une façon de faire une campagne un peu disruptive. De dire que l'on aborde des sujets sur lesquels les autres partis politiques sont en retard."
C'est une façon de faire une campagne un peu disruptive.
Juliette de Causans, tête de liste "Ensemble, ayons des projets d'avenir" aux sénatoriales de 2023 dans la Marne
"Notre parti s'est ainsi fait énormément connaître. Parmi les autres candidatures alternatives, en quelque sorte, la nôtre a été l'une des plus visibles. Ça veut dire qu'on ne s'est pas trompé. Si je n'avais pas fait ça, qui aurait parlé d'Europe Égalité Écologie, de nos candidatures ? Cela aurait été beaucoup plus l'anonymat. Or, l'anonymat est l'ennemi de la campagne électorale." Elle ajoute qu'en prévision des élections européennes de 2024, il est bon que son parti "commence à entrer sur la scène politique et commence à se faire connaître au niveau national. D'autant qu'on a des droits de parole extrêmement restreints."
Elle donne l'exemple des législatives pour la première circonscription des Ardennes, en juin 2022. "On m'a dit que j'avais droit à 30 secondes. J'ai demandé si c'était par jour, on m'a répondu que c'était pour toute la campagne... Selon un calcul du CSA [Conseil supérieur de l'audiovisuel; ndlr]. Avec 30 secondes de temps de parole, vous n'êtes pas invité au débat public. Personne ne vous invite en plateau. Même si vous avez créé un parti ou fait des choses récemment. Et vous vous retrouvez à ne pas pouvoir faire de campagne classique." D'où ces affiches, véritable "taureau pris par les cornes. Là, les gens ont vu notre campagne. On a montré nos affiches et notre logo, parlé de notre programme. Pendant de nombreuses minutes, plusieurs heures : ils ont pratiquement fait notre campagne [législative] pour nous."
Une pensée pour les petits maires de la ruralité
Concernant les sénatoriales cette fois-ci, elle insiste sur le fait que "le Sénat est une instance très importante pour la démocratie, beaucoup de choses s'y préparent, comme des révisions constitutionnelles qui vont être proposées, y compris l'augmentation du nombre de mandats présidentiels". À noter que la question se pose depuis quelques mois, mais est loin d'être tranchée.
Juliette de Causans propose aussi de revenir à l'anonymat initial des parrainages récoltés par les candidates et candidats pour se présenter à la présidentielle, et de faciliter les fonctions des petits maires, notamment dans la ruralité. Elle pointe notamment le problème des secrétariats de mairie. "On voudrait les voir pris en charge sur un autre budget que celui de la mairie. On a beaucoup de maires ruraux qui y renoncent pour des raisons budgétaires. Ça nuit au service public local. Dans pas mal de ces communes, la mairie, c'est parfois la seule chose qui reste."
Des thèmes correspondant à la nature du Sénat, souvent qualifié de chambre des territoires. Juliette de Causans met d'ailleurs en avant le fait de vivre "dans un village rural", dans les Ardennes, d'avoir "trouvé, comme beaucoup de monde, du travail en ville", plus précisément à Reims, où elle enseigne et où ses enfants sont scolarisés. Elle vit entre ces deux localités, et veut "porter les problématiques de ces territoires, qui sont à la fois citadins et ruraux. Tous ces territoires doivent être pris en compte."
Campagne numérique
Puisque l'on parle d'école, Juliette de Causans souligne que la rentrée ne l'empêche pas de faire campagne. Bien au contraire. "J'ai beaucoup de colistiers très actifs. Ma numéro trois, Isabelle Pestre, conseillère régionale de 2014 à 2020 et ancienne maire de commune rurale [La Chaussée-sur-Marne; ndlr]. Elle est très active. On fait une campagne de proximité, et aussi une campagne numérique, à distance, avec un autre mode de communication. On utilise pas mal le téléphone."
Elle souligne aussi que "ce n'est pas ma première campagne, et je suis beaucoup plus efficace [là-dedans]. Je sais comment on fait." Quand on lui fait remarquer ses nombreuses tentatives électorales précédentes (abondamment soulignées par L'Union), elle tient à répondre "que contrairement à d'autres personnes, je n'ai aucun mandat. Le problème n'est pas les candidatures, mais le cumul des mandats. Beaucoup de gens ont participé à bien plus d'élections que moi, d'ailleurs élues actuellement, et qui cumulent plein de mandats."
Avec au passage un petit tacle à Arnaud Robinet, maire (Horizons) de Reims et (ex)vice-président du conseil régional, lequel s'était d'ailleurs moqué d'elle sur Twitter. "Si vous le prenez, il a fait toutes les élections. La députation, la mairie, le conseil régional... Il cumule aussi pas mal de mandats." Précisons qu'il n'est plus député depuis 2017 afin de se mettre en règle avec la loi sur le cumul des mandats. Pour le restant de ses fonctions, il n'y a pas d'incompatibilités (voir détails dans l'infographie ci-dessous).
"Ça ne lui est jamais reproché. Par contre, des femmes issues de la vie civile, il ne faudrait surtout pas qu'elles aillent candidater et demander quoi que ce soit. Moi, je ne demande pas la permission à qui que ce soit. On présente des candidats, parce que c'est ça, la démocratie. Si on considère que les gens n'ont pas le droit de se présenter, qu'on le dise tout de suite..."
Également, "mes candidatures correspondent à une volonté de faire connaître notre parti politique". Il s'agit d'Europe Égalité Écologie (à ne pas confondre avec Europe Écologie Les Verts, bien installé en France et dans la dynamique européenne). Ce jeune parti (qu'elle préside) est un mouvement qui s'est distancé d'En Marche après avoir échoué à arriver en tête lors des élections internes du parti en 2022. "On essaye de le faire grandir. Pour le faire connaître, on a besoin de pouvoir exposer nos idées. Comment le faire, si ce n'est par les campagnes électorales ?"
Des reproches sur sa photo qui seraient sexistes
Aurait-on autant parlé de la candidature (et de l'affiche) de Juliette de Causans si elle s'était appelée Jules ? "Non. Et je tiens à repréciser que je n'ai pas utilisé Photoshop... Un journaliste me l'avait demandé, j'avais répondu non. C'est l'intelligence artificielle [que j'ai utilisée]. C'est une première française, peut-être même une première mondiale; et je précise que ce sont des femmes qui l'ont fait. Je le précise pour que ça ne leur soit pas retiré. Des hommes l'avaient fait aussi, mais ont candidaté sous d'autres étiquettes, et n'ont pas été attrapés. On les laisse assez tranquille, en général, par rapport à tout ça."
"C'est une action sexiste, à mon sens. D'autant que vu le peu [de modifications apportées] sur ma troisième affiche, c'est très léger... On me reconnaît, j'ai juste demandé à avoir un teint uniforme, sans rougeur, car j'ai la peau très blanche et que je deviens rouge écrevisse au soleil. Il n'y a pas de transformation des traits, c'est moi sur la photo, on me reconnaît à 100%."
"Mais malgré cette modification très légère, que probablement tout le monde fait avec Photoshop ou la balance des couleurs, on a juste retenu : ah, elle a retouché sa photo. Sans s'occuper du reste. Sans se demander pourquoi la personne investie par Ensemble [La République en marche; ndlr] aux législatives en 2022 se retrouve troisième sur notre liste aux sénatoriales [Isabelle Pestre, du Modem, battue par l'indéboulonnable et centriste Charles de Courson dans la cinquième circonscription de la Marne; ndlr]. Ni pourquoi toutes ces personnes ont fait cette liste aux sénatoriales. Il n'y a pas eu d'interrogation sur le projet politique alternatif que nous proposons."
Juliette de Causans met aussi en avant ses colistières et colistiers. "Il y a des profils très variés : un travailleur social faisant de la réinsertion par le sport sur le terrain. Une ancienne maire-agricultrice. Deux personnes de la vie civile assez connues sur Reims : Frédéric Falleur dont le centre de formation accueille beaucoup d'enfants et d'adultes, et Pauline de Ayala, qui écrit de nombreux livres sur les monuments et les évènements culturels de la Marne. Tous ces gens n'ont pas d'étiquette politique, mais un engagement profond pour le territoire. Si ça, ce n'est pas avoir un ancrage local, et social surtout, je ne sais pas ce que c'est."
La mise au point juridique
Au sujet de ces candidatures et de cette histoire de portrait retouché, France 3 Champagne-Ardenne a interrogé un professeur de la faculté de droit et de science politique dépendant l'université de Reims Champagne-Ardenne (Urca).
- Que dit la loi au sujet de nombreuses candidatures rapprochées dans le temps ?
"Il n'existe aucune limitation des candidatures pour des scrutins politiques, il n'est donc pas interdit de se porter candidat à chaque élection nationale ou locale. La seule limite qui puisse exister est liée aux règles relatives au cumul des mandats politiques, mais ces règles n'empêchent pas la candidature. Par exemple un député peut se porter candidat à une élection sénatoriale. S'il était élu sénateur, alors il devrait choisir entre son mandat de député et celui de sénateur. Dans le cas de madame de Causans, rien ne s'oppose à ces candidatures successives."
Je crois que la plupart des candidats procèdent à des retouches minimes.
Un enseignant de la faculté de droit et de science politique de Reims
- Que dit la loi sur la modification de son image lors d'une élection ?
"Quant à l'affiche de campagne et à son contenu, les quelques règles fixées par le Code électoral sont assez claires. Mais, à ma connaissance, rien n'empêche une retouche de la photo du candidat. Je crois d'ailleurs que la plupart des candidats procèdent à des retouches minimes."
- Ce n'est pas le cas ici, mais peut-on théoriquement utiliser l'image de quelque d'autre ?
"Là est toute la question : dans quelle mesure peut-on procéder à des retouches si importantes qu'elles laissent voir le visage de quelqu'un d'autre ? À ma connaissance, là encore les retouches photographiques n'étant pas encadrées par le Code électoral, je crois que rien ne l'interdit."
"Je crois qu'il y aurait atteinte à la sincérité du scrutin si apparaissait sur l'affiche d'un candidat le visage d'un autre candidat, ce qui serait de nature à induire les électeurs en erreur. En tout cas, sur cette dernière question touchant à la sincérité du scrutin, je crois qu'aucune règle législative, réglementaire ou jurisprudentielle n'interdit de retoucher la photo du candidat à l'excès."
- Quelles sont les chances effectives de madame de Causans d'être élue ?
"Sur les chances de la candidate d'être élue sénatrice, je n'ai pas d'avis sur la question. À ceci près que l'élection sénatoriale est une élection particulière, au suffrage indirect, et que ce type de suffrage suppose - à mon sens - un très bon ancrage local. Je ne suis pas certain que ce soit le cas de cette candidate et je ne suis pas sûr que ses candidatures successives à toutes ces élections soient vues d'un bon œil par les électeurs sénatoriaux."
Rappel des listes présentées pour les sénatoriales de 2023 dans la Marne
Cinq autres listes ont été déposées en préfecture. Les voici.
"Avec la Marne, un nouvel horizon pour la France"
Tête de liste : Cédric Chevalier (Horizons)
2e et 3e places : Élisa Schajer (Hor.), Nicolas Coutenceau (DVD)
4e et 5e places : Roxane Jacqueray (Hor.), Alexandre Canivet (Renaissance)
"Marne Union populaire écologique et sociale"
Tête de liste : Maxence Laurent (La France insoumise)
2e et 3e places : Agnès Guyot (LFI), Étienne François (LFI)
4e et 5e places : Ghislaine Profit (LFI), Michel Cauchetier (LFI)
"Au service des communes pour défendre la Marne"
Tête de liste : Anne-Sophie Frigout (Rassemblement national)
2e et 3e places : Thierry Besson (RN), Jennifer Marc (RN)
4e et 5e places : Julien Guérin (RN), Marie Tassiers (RN)
"Pour toute la Marne"
Tête de liste : Christian Bruyen (Divers droites)
2e et 3e places : Anne-Sophie Romagny (UDI), Julien Valentin (LR)
4e et 5e places : Florence Loiselet (DVD), Jonathan Rodrigues (UDI)
"La République au coeur des territoires"
Tête de liste : Éric Quenard (Parti socialiste)
2e et 3e places : Chantal Berthélémy (PCF), Pierre-Laurent Debrix (EELV)
4e et 5e places : Khira Taam (DVG), Christian Valdevit (DVG)