Le voisin du petit Tony, mort à Reims en 2016 sous les coups de son beau-père, était jugé par la cour d'appel ce 28 septembre. Son avocate a réclamé sa relaxe lors de ce troisième procès. Lui dénonce un "acharnement". La décision sera rendue le 4 octobre.
Jonathan Lautour a été déjà relaxé à deux reprises, en première instance et en appel. Mais un arrêt de la cour de cassation, saisie par l'avocat général, a réclamé un nouveau procès dans cette affaire. Après plusieurs renvois, et un détour par le conseil constitutionnel pour demander l'éclaircissement d'un point de droit, l'affaire était jugée par la cour d'appel de la Marne, à Reims, ce jeudi 28 septembre 2023.
On reproche à Jonathan Lautour, aujourd'hui âgé de 38 ans, de ne pas avoir suffisamment alerté en 2016 sur la situation du petit Tony, trois ans, dont il était voisin. Le jeune enfant est décédé en 2016 à l'hôpital. Il souffrait d'un éclatement de la rate et du pancréas datant de 48 heures. 60 ecchymoses dont 23 à la tête ont été mises en évidence par l'autopsie.
Loïc Vantal, le beau-père du garçon, a été condamné en appel à 20 ans de réclusion pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et violences habituelles en récidive. La mère, Caroline Létoile, a vu sa peine alourdie en appel, passant de quatre à cinq ans, dont un avec sursis, pour non-dénonciation de mauvais traitements et non-assistance à personne en danger.
Sept ans après les faits, ce nouveau procès est difficile pour Jonathan Lautour. "J'en ai marre, je n'en peux plus. Pourquoi un tel acharnement sur moi ?", demande-t-il à la barre. Lorsque la présidente l'interroge sur ses souvenirs de cette période, il reste évasif. "Je ne me souviens plus, beaucoup d'années sont passées."
"On est sept ans après et rien n'a changé"
Le presque quadragénaire, les traits tirés, est vêtu d'un jean sombre et d'une chemise blanche aux fines rayures, dont on devine un tatouage dépasser du col. Il explique à la présidente qu'il ne travaille pas et perçoit une allocation adulte handicapé. Il a dû arrêter la formation qu'il avait entreprise pour pouvoir être plus près de sa mère, gravement malade. Pendant toute son audition, son avocate reste près de lui et ne le quitte pas du regard.
Jonathan Lautour avait prévenu le bailleur. Sa compagne, depuis décédée, avait mis une affiche sur les violences intrafamiliales dans l'ascenseur de l'immeuble pour tenter de déclencher une réaction. Mais le drame a tout de même eu lieu.
La présidente n'élude pas les faiblesses du dossier. "Pas mal de personnes semblaient au courant du calvaire que subissait ce petit garçon […] Même si ça peut sembler choquant et injuste, on est saisi de votre seul cas", rappelle-t-elle.
Elle lui demande s'il a des images en tête de ce qu'il s'est passé. Ses mains agrippent la barre en métal devant laquelle prennent place les témoins. "Comme lors des interviews, j'ai reconstruit quelque chose dans ma tête, mais si ça se trouve, ça ne s'est pas passé comme ça."
Maître Olivier Chalot, avocat du père et de la grand-mère paternelle de Tony, parties civiles, prend à son tour la parole. Il prend l'exemple tout récent de la mort d'une petite fille de trois ans, décédée dans l'Eure. Sa mère et son beau-père ont été placés en détention provisoire. Des voisins s'expriment dans la presse et disent avoir entendu des disputes, mais là aussi le drame est malheureusement là. "On est sept ans après et rien n'a changé, fondamentalement […] Le procès du voisin du petit Tony n'a strictement rien changé dans l'évolution des mentalités."
Il en revient ensuite à l'affaire rémoise. "Dans ce dossier, ce qui m'interpelle, c'est qu'on peut dire que beaucoup de gens savaient". D'autres personnes auraient dû être entendues, regrette l'avocat. "Quitte à le faire, il aurait fallu aller au bout des choses". "On fait avec ce qu'on a, Maître", lui rétorque la présidente. "Je ne vous reproche rien", répond-il.
Si Jonathan Lautour est condamné, il réclame qu'il soit jugé au civil pour participer à l'indemnisation de la famille de la victime. "Vous en faites quand même un coupable", lui dit alors la présidente. "Oui", admet-il.
Une condamnation avec dispense de peine requise
L'avocat général prend alors la parole. Et c'est en latin qu'il débute. "Dura lex, sed lex". La loi est dure, mais c'est la loi. Il rappelle le texte qui encadre la non-dénonciation de mauvais traitements. Il cite les déclarations faites par Jonathan Lautour, faites sous serment : "Le petit pleurait, je voulais monter, mais ma compagne m'en a empêché".
Le voisin n'a pas informé les autorités judiciaires et administratives, comme le prévoit la loi. "Il entendait ces bruits, ces cris, ces pleurs, et n'a pas dénoncé. On peut le comprendre". Il cite la peur envers Loïc Vantal, qui s'était montré agressif envers plusieurs habitants, ou encore sa compagne gravement malade dont il s'occupe alors.
L'avocat général réclame à l'encontre de Jonathan Lautour une condamnation, mais une dispense de peine. "Une peine autre n'aurait aucun sens", reconnaît-il.
Ludivine Braconnier, l'avocate de Jonathan Lautour prend ensuite la parole pour délivrer sa plaidoirie. Elle rappelle que son client n'a jamais vu l'enfant ecchymosé et c'est pourtant lui qui est devant la justice sept ans après les faits.
Pourtant, de nombreuses autres personnes auraient pu dénoncer les violences que subissait Tony, et n'ont pas été inquiétées. Le père constate les bleus sur le corps de l'enfant. Mais pour lui, il est impossible de penser que la mère est incapable de défendre son propre fils. Sa grand-mère n'imagine pas non plus ce qui est en train de se passer.
"Ce dossier se doit d'être exemplaire"
La meilleure amie de Caroline Létoile a vu les bleus, a même vu Loïc Vantal frapper l'enfant devant elle. Elle a dit à la mère du garçon : "Il va finir par le tuer". "Là encore, il est inimaginable pour elle de penser à l'impensable", affirme l'avocate. Jonathan Lautour, de son côté, se rend dans les bureaux du bailleur social. "En s'adressant au bailleur social, celui qui règle les problèmes dans l'immeuble, il pense faire la bonne chose", défend Ludivine Braconnier.
Lui qui a d'importants problèmes de mémoire, il va "faire tout ce qu'il peut avec ses capacités". C'est lui qui ouvrira la porte de l'immeuble aux services de police dix jours avant le décès de Tony. Ces policiers iront dans l'appartement de Loïc Vantal et de Caroline Létoile. Et à compter de cette date, les disputes vont s'arrêter. "Il a pu légitimement croire que son action avait porté ses fruits", explique l'avocate.
"On voudrait faire de ce débat un débat sur les huis clos familiaux, trouver un coupable à clouer au pilori […] Ce dossier se doit d'être exemplaire. La décision que vous allez rendre se doit d'être exemplaire", poursuit-elle comme une réponse aux propos d'un des magistrats du parquet général dans la presse en avril 2023 et où il reconnaissait vouloir faire un exemple. "Nous souhaitons une condamnation pour l'exemple", expliquait-il alors. "La société doit le savoir, quand on entend un enfant crier, hurler, il faut dénoncer."
"Est-ce qu'il avait une connaissance suffisante de ce qu'il se passait pour renseigner les autorités ?", interroge Ludivine Braconnier lors de l'audience. "Ce dossier n'a aucun précédent. Je peux vous dire que j'ai cherché la jurisprudence, j'y ai passé des heures."
"S'il n'y a pas assez d'éléments pour poursuivre la directrice [d'école], les proches de Tony, les services de police qui sont intervenus sur place, c'est nécessairement parce qu'il n'y a pas d'éléments pour poursuivre celui-ci", tonne-t-elle en pointant son client du doigt.
L'avocate déroule son argumentaire en baissant de temps en temps les yeux sur ses notes manuscrites. "Est-ce que Monsieur Lautour avait suffisamment d'éléments pour savoir ce qu'il se passait dans le logement ? Clairement non. Est-il resté passif devant une situation qui le dépassait et de très loin ? Clairement non".
Elle réclame, sans surprise, son acquittement. "À mon sens, vous ne pouvez que confirmer la décision de relaxe […] et mettre un point final à l'épreuve de Jonathan Lautour, qui dure depuis maintenant sept ans et qui a envahi toute sa vie." La décision a été mise en délibéré et sera rendue le 4 octobre.