Magou Doucouré, la capitaine de l’équipe féminine du Stade de Reims, victime d’insultes racistes lors du match de coupe de France contre le RC Lens, a porté plainte à titre individuel, a annoncé la présidente de la Licra de Reims. Dénoncer et s’engager dans la lutte est essentiel pour l’association rémoise tout comme pour la fondation Lilian Thuram qui dénonce un silence insoutenable.
"Ce que dit Mme Doucouré dans son texte c’est qu’il faut arrêter l’hypocrisie. Il faut arrêter d’être aveugles. En fait, c’est ça la réalité du racisme dans notre pays". Lilian Thuram, président de la fondation Education contre le racisme, s’exprime avec force et indignation face aux insultes racistes dont a été victime la capitaine de l’équipe féminine du Stade de Reims. "La réaction de cette jeune femme est très bien, reprend Lilian Thuram. Il faut une prise de conscience et il faut que les gens qui veulent changer la société n’est plus peur de prendre des positions, de revendiquer, de dire : nous avons les yeux ouverts et nous allons continuer à lutter".
Magou Doucouré a porté plainte à titre individuel
Magou Doucouré, a réagi sur son compte twitter, ce lundi 10 janvier. "Tant que je serai en vie je me battrai corps et âme pour cette cause qui me tient tant à cœur depuis de nombreuses années maintenant. (…) Mais dites-moi, combien de temps vais-je devoir me justifier de ma couleur de peau ? (…) Je comprends encore plus ce pourquoi nos ancêtres ont bataillé et pourquoi je dois me battre 100 fois plus dans ce monde. Le respect de l’homme noir".
"Magou Doucouré a écrit quelque chose de très beau, reprend Lilian Thuram. "On a vu, on a vécu, on va vaincre". Cela veut dire qu’elle connait l’histoire, elle sait dans quelle situation on est aujourd’hui et elle va tout faire pour vaincre. On a besoin d’éduquer les gens à ce concept-là. Cela veut dire que l’on n’accepte pas et que l’on ne ferme pas les yeux. On se met en mouvement pour dire que l’on va changer les choses".
Un individu qui profère de telles insultes au sein d’un stade n’est pas un supporter, mais un délinquant qui doit être jugé et puni en conséquence
Francine Bellour, présidente de la Licra Reims
Francine Bellour, présidente de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme de Reims (Licra) a écrit, ce mardi matin 11 janvier, à la direction du Stade de Reims. Elle aurait souhaité que le club la contacte, comme un geste encore plus fort de soutien à sa joueuse. "C’était quand même dimanche, j’ai attendu en me disant je vais recevoir quelque chose du Stade. Non rien. C’est moi qui démarche envers eux. Et ça c’est vrai, je ne sais pas pourquoi, je trouve cela triste. Le racisme est un délit".
Le Stade de Reims, par l'intermédiaire de son service de communication a réagi aux propos de la présidente de la Licra. "Nous attendions de nous entretenir avec notre joueuse. Nous avons essayé de la joindre lundi (le 10 janvier) sur son jour de repos mais elle n'a pas souhaité nous répondre à ce moment-là. Elle a vécu 24 heures très dures, nous l'avons laissée souffler et mardi matin, lors de son retour à l'entraînement nous en avons parlé. Nous avons évoqué un dépôt de plainte possible et l'avons laissé réfléchir. L'après-midi même, accompagnée du responsable de la sécurité du club et de témoins, Magou est allée porter plainte. Nous voulons le redire, qu'elles soient racistes, sexistes ou autres, les insultes sont affligeantes et nous devons les combattre"
La Licra Reims est partenaire avec le Stade de Reims depuis 16 ans. "16 années que nous signons une convention en commun. Nous sommes présents dans des manifestations sportives et notamment celles qui touchent les jeunes, explique encore la présidente. Au nom de ce partenariat, j’ai envoyé ce mail à la direction du Stade de Reims. Je leur ai dit toute notre indignation et notre soutien à Magou Doucouré parce qu’un individu qui profère de telles insultes au sein d’un stade n’est pas un supporter, mais un délinquant qui doit être jugé et puni en conséquence". Très vite, Francine Bellour a reçu une réponse du club professionnel rémois lui annonçant que Magou Doucouré avait décidé de porter plainte à titre individuel. "La joueuse souhaite s’engager dans cette lutte, dit-elle aussi. Les dirigeants du club précise qu’il serait sans doute opportun que nous nous rencontrions".
La Licra aux côtés des victimes
La Licra existe depuis 1927 et n’a cessé, depuis, de combattre racisme et l'antisémitisme. "Cela veut dire que cela a traversé les âges et que cela continue, reprend Francine Bellour. 95 ans que la Licra existe et elle est toujours aussi active au quotidien. Aujourd’hui, les manifestations racistes et antisémites, de haine, sont totalement décomplexées et de plus en plus violentes". Evidemment Magou Doucouré bénéficiera de tout le soutien de l'association rémoise si elle le souhaite. "Nous l’apportons à toutes les victimes. Nous avons une centaine d’avocats bénévoles sur l’ensemble du territoire. On accueille les personnes et on les accompagne pour déposer plaintes, pour se rendre au tribunal. C’est déjà un soutien psychologique de dire que l’on est écouté, compris et assisté. Le premier acte pour une victime c’est d’être écouté. Dans le mail que j’ai envoyé au Stade de Reims, j’ai donc avancé cet accompagnement si elle le souhaite".
Peu ou pas de réactions
Au lendemain de ce match de coupe de France entre le RC Lens et le Stade de Reims, pas de consternation du côté de la fédération française de football, pas de réaction du district de la Marne. Pas d’offuscation particulière en provenance de la sphère des joueurs professionnels. Il faudra attendre deux jours pour que l’Union des joueurs professionnels se manifeste auprès de Magou Doucouré en envoyant un communiqué relayé par le journal l’Equipe et la joueuse. "La bêtise crasse a de nouveau été à l’ouvrage ce week-end, dans l’enceinte d’un stade de l’hexagone, lors de la rencontre de Coupe de France féminine ayant opposé le RC Lens au Stade de Reims, précise l'UNFP. La capitaine du SDR Magou Doucouré a été victime de propos à caractère raciste innommables et inadmissibles de la part d’un pseudo supporter des Sang et Or. Nous apportons tout notre soutien à Magou Doucouré, extrêmement touchée et blessée par ces propos inqualifiables, qui n’ont rien à faire sur un terrain de football, dans cette triste épreuve".
La réaction à chaud, immédiate, on aurait probablement dû ou pu l’avoir. Mais je ne voudrais pas que l’on pense que le district, la ligue, la fédération, ne font rien
René Molle, président du district de football de la Marne
Le district de football de la Marne par l’intermédiaire de son président René Molle, ne réagit que parce que nous le sollicitons. "C’est arrivé dimanche et nous avons eu l’information lundi à travers les réseaux sociaux et les médias, explique-t-il. On n’a pas réagi parce que l’on est face à un problème d’un spectateur qui est géré par la police des terrains, la sécurité du club qui reçoit. On suit l’affaire. On est plus interpellé quand cela se passe sur les terrains. Le club qui reçoit doit s’occuper de ces mots totalement inqualifiables et de ses spectateurs".
"Chacun a son rôle" précise donc le président du district de la Marne. Mais n’est-ce pas celui des instances concernées, quoiqu’il arrive, où que cela se passe, de dénoncer fermement ces violences racistes ? Ces paroles sont-elles si difficiles à exprimer qu’elles mettent plusieurs jours à arriver, voire n’arrive que si on les sollicite ? "Vous avez tout à fait raison, répond René Molle. Mais, tous les mardis matin on recense les problèmes qui ont pu se passer sur les terrains de football du district de la Marne. Il y a un état qui est fait, il y a un observatoire des comportements qui remonte à la Fédération Française de Football. On actionne des commissions de discipline. C’est un vrai travail de fond. Après, la réaction à chaud, immédiate, on aurait probablement dû ou pu l’avoir. Mais je ne voudrais pas que l’on pense que le district, la ligue, la fédération, ne font rien".
Mais vous avez eu raison de m’alerter, de me faire comprendre des choses que je n’avais peut-être pas saisies avec la profondeur que cela pouvait avoir et je ferai un message à Magou Doucouré.
René Molle, président du district de football de la Marne
Cela reste de "l’entre soi", comme le dit Lilian Thuram. Mais, pour que les mentalités changent, le grand public, les supporters de foot, les millions de joueurs, de jeunes qui pratiquent, et surtout la victime elle-même, ont besoin d’entendre la parole de la fédération et de toutes instances concernées. Une parole dénonçant fermement. "On le fait ailleurs, reprend René Molle. On forme des éducateurs, on participe aux journées événementielles avec la Licra notamment. Là on n’a pas réagi à chaud… mais je ne voudrais pas que l’on dise que les instances du football ne traitent pas du sujet. Je ne sais pas quels ont été les soutiens reçus par la joueuse. Le district, nous ne sommes pas intervenus auprès d’elle. Je ne sais pas si la fédération est intervenue ou pas. La difficulté c’est qu’on a affaire à quelqu’un qui n’est pas un acteur du terrain, mais un spectateur. Mais ce n’est pas un sujet que nous mettons sous la table, on ne fait pas ça. Ce sont des sujets qui nous préoccupent. Mais vous avez eu raison de m’alerter, de me faire comprendre des choses que je n’avais peut-être pas saisies avec la profondeur que cela pouvait avoir et je ferai un message à Magou Doucouré".
Depuis cette interview, sur le site internet du district de la Marne, on peut lire "Soutien à Magou Doucouré".
Sexisme ou pas
Et si ce dimanche, Kylian Mbappé avait été à la place de Magou Doucouré, victime de ces mêmes insultes racistes ? Que ce serait-il passé ? "Quand vous recevez ces insultes, c’est une violence raciste, explique encore Lilian Thuram. Il faut dire aux gens qu’il n’y a pas de neutralité possible en fait. Beaucoup de personnes pensent que parce qu’ils se taisent, ils sont neutres. Non, cela veut dire que quand vous êtes dans le silence vous cautionnez le racisme".
C’est évident qu’il y a derrière tout cela le fait que cela soit une joueuse de foot et pas un joueur. Et donc si nous voulons aborder ces sujets de façon intelligente, on doit questionner nos héritages culturels.
Lilian Thuram, ancien joueur de football professionnel et champion du monde en 1998
"Je suis triste de ce constat, explique Francine Bellour de la Licra. Je suis consternée de voir que les réactions par rapport à ce qui s’est passé contre Magou Doucouré reste dans un petit cercle. Il y a bien quelques réactions du staff de Lens de certains élus, mais à titre individuel. Si Kylian MBappé avait été la victime, il y aurait eu des cellules psychologiques mises en place. Là, on a l’impression que cela reste un petit acte individuel. On l'étouffe. Le fait de minimiser ce qui s’est passé, ce dont a été victime Magou au sein du football, c’est la Ligue professionnelle de football dont il s’agit, ce n’est pas rien. J’en suis déçue, triste et consternée".
"Il y a un problème quand même, pourquoi cette information n’est pas relayée ?, se demande Lilian Thuram. C’est évident qu’il y a derrière tout cela le fait que cela soit une joueuse de foot et pas un joueur. Et donc si nous voulons aborder ces sujets de façon intelligente, on doit questionner nos héritages culturels. Et si vous ne le faites pas, vous ne pouvez pas comprendre et vous ne pouvez pas dénoncer".
Un racisme culturel et ordinaire
Comprendre et donc enrayer toute forme de violence, de racisme et de discrimination, ne peut se faire sans appréhender la culture des hommes. D’où l’on vient, avec quelle histoire, quelle éducation et pourquoi cette violence ne cesse de passer les générations et ne s’arrête jamais. Pourquoi l’homme ne peut-il pas réfréner ses élans haineux ?
"Nous sommes le fruit d’une histoire et nous héritons d’une façon de penser que nous ne questionnons pas, explique l’ancien joueur professionnel, champion du monde en 1998. Et dans ces façons de penser, il y a le racisme, le sexisme, l’homophobie et on les accepte comme si c’était quelque chose de normal. Tant que l’on n’a pas pris conscience de cela on ne s’en sortira pas. Cela veut dire que culturellement mépriser certaines personnes, ce n’est pas bien grave et c’est cela le problème. C’est facile de tourner le regard. Non, regardez ! Vous verrez que vous acceptez l’inacceptable et que si les choses continuent… nous avons tous notre part de responsabilité", dit encore l'auteur de La pensée Blanche paru en octobre 2020.
Et de comparer le racisme au sexisme. Même processus culturel, mêmes effets terrifiants. "C’est pareil que le rapport homme femme. Le sexisme est lié à l’histoire culturelle. Depuis trop de siècles on a expliqué que l’homme était supérieur à la femme. Dans le racisme c’est exactement la même chose. Depuis des siècles, on a expliqué que l’homme blanc était supérieur à l’homme noir. Ce sentiment de supériorité se traduit par le mépris, verbalement, dans le comportement, dans le non-dit mais je peux aussi te mépriser en ne relevant pas la violence que l’on te fait. S’il y a bien un phénomène très répandu dans nos sociétés c’est la violence faite aux femmes. Quand vous regrouper ces attitudes culturelles, sexisme et racisme, vous comprenez pourquoi il y a un tel silence autour de l’agression de cette jeune femme. Encore une fois, les gens oublient que le racisme c’est avant tout une violence".
Cela veut dire que culturellement mépriser certaines personnes, ce n’est pas bien grave et c’est cela le problème. C’est facile de tourner le regard. Non, regardez ! Vous verrez que vous acceptez l’inacceptable
Lilian Thuram, président de la Fondation "Education au racisme"
Le silence des institutions et haine dans les discours politiques
"Beaucoup trop de personnes, notamment dans les institutions acceptent le racisme, précise encore Lilian Thuram. Et dans toutes les institutions. Certaines vont nier ou minimiser et la meilleure façon de le faire c’est de ne pas en parler. Je suis très content d’apprendre que Magou Doucouré porte plainte. La première des choses à faire c’est de dénoncer".
Ne jamais laisser s’installer l’indifférence. Etre toujours celui ou celle qui va empêcher le silence de s’installer. C’est le rôle et la mission de Lilian Thuram. C’est aussi celle de tous les bénévoles de la Licra. "Nous devons dénoncer toutes formes de violence dans la société car, dans les médias, on les normalise. Normalement, le racisme est puni par la loi. Et pourtant quand vous regardez la télévision, lorsque vous entendez des politiques, le discours raciste est présent dans l’espace publique et ça ne choque personne. D’ailleurs il y a même des journalistes qui disent qu’il faut leur laisser la parole, alors que ces gens-là ont des propos racistes. Cela veut donc dire que le racisme est quelque chose qui est accepté et totalement assumé dans l’espace publique en France. Ne pas le dénoncer, c’est continuer de le rendre normal. Notre culture s’est construite ainsi, le racisme est dans nos sociétés parce que c’est un héritage culturel. Il faut arrêter cette hypocrisie et voir cette réalité".
Former les jeunes et éveiller les consciences
Chaque année, la Licra à Reims intervient dans les clubs de football, mais aussi dans les écoles, les collèges, les lycées, à l’université. Le travail est impressionnant et ces bénévoles ne ménagent pas leur énergie. "Nous intervenons pour expliquer aux jeunes les mécanismes du racisme, explique Francine Bellour. Cet esprit moutonnier, cette paresse intellectuelle, l’influence, les réseaux sociaux où il est encore plus facile de passer à l’acte. Nous leur parlons aussi de la loi". Car évidemment toute forme de violences racistes, insultes verbales, écrites, à travers les réseaux sociaux et bien au-delà parfois, est punie par la loi. Lorsque l'injure n'est pas publique, la peine encourue est une amende de 750 euros maximum (contravention de 4e classe) (art. R.624-4 du code pénal). Lorsqu’elle est publique, son auteur encourt jusqu'à 6 mois d’emprisonnement et 22 500 euros d'amende (art. 29 alinéa 2 et 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881).
"Très souvent dans pareille situation, dit encore Lilian Thuram, on oublie d’aller parler à la personne qui subit le racisme pour simplement lui dire : c’est le raciste qui a un problème, ce n’est pas toi. Ne jamais l’oublier".
"J’ai vu qui était qui, qui faisait semblant, qui soutient réellement cette cause et ceux qui ont peur de se mouiller, désormais on ne rigole plus". Magou Doucouré s’est exprimée ainsi, le 10 janvier sur son compte twitter.
Elle est victime d’un acte odieux, où le silence n’a pas sa place.