Le parquet de Reims organisait ce vendredi 11 juin une reconstitution d'audience du tribunal pour mineurs. Une cinquantaine d'élèves d'école primaire a pu assister à ce faux huis clos. Enseignants et professionnels de la justice vantent l'efficacité pédagogique de cette initiative.

En quelques secondes, le brouhaha des enfants se fait silence. Flanquée de ses deux assesseurs, la présidente vient de pénétrer dans la salle. Les enseignants ont expliqué qu'il fallait se lever, "en signe de respect". Disciplinés (et "impressionnés"), les écoliers s'exécutent. Robes d'avocat, hermines, micros, journalistes : l'illusion est parfaite, renforcée par la solennité naturelle d'une salle d'audience. Deux classes de CM2 des écoles du Petit-Bétheny et Prieur-de-la-Marne s'apprêtent à vivre une reconstitution de procès du tribunal pour mineurs. L'idée provient du parquet de Reims, qui voit dans cette initiative un moyen d'expliquer aux plus jeunes le fonctionnement de la justice.

"Sortez les mains de vos poches ! Ôtez votre capuche !"

Le mis en cause est appelé à la barre. Ce vendredi matin, c'est Jimmy qui sera jugé. L'adolescent, âgé de 17 ans, comparaît pour violence avec arme. Il s'agit d'une véritable affaire, dont l'audience est reproduite sous les yeux des écoliers. Le rôle du prévenu est assuré par un élève de la classe de théâtre du lycée Marc-Chagall. Ses parents et les parties civiles aussi sont incarnés par des lycéens. Seule facétie accordée par les organisateurs, le patronyme du mineur : Crandarrêt, en référence à l'agression au couteau qu'il a commise. Si le calembour peut prêter à sourire, les premiers échanges alourdissent rapidement l'atmosphère : "Sortez les mains de vos poches... Ôtez votre capuche... Ici, on ne dit pas : « Ouais », mais : « Oui »..."

Face à la nonchalance du mis en examen, vêtu d'un survêtement de sport, la présidente perd patience. Il est accusé d'avoir poignardé volontairement la cuisse d'une collégienne. Les faits se sont déroulés dans le tramway, et ont été captés par les caméras de surveillance. "Vous n'avez pas conscience de la gravité de vos actes, déplore la présidente. Le couteau s'est enfoncé sur trois centimètres, rendez-vous compte !" Lui, presque inaudible, marmonne sans cesse : "Je l'ai pas fait exprès."

L'âpreté des débats confronte les enfants à la réalité de la justice. "Cette audience vient conclure un cycle qui a duré toute l'année, raconte l'un des instituteurs. Des avocats, des juges ou encore des enquêteurs sont venus à plusieurs reprises, en classe, pour expliquer de façon très pédagogique leurs métiers. Mais c'est clair que la présence dans cette salle donne une portée supplémentaire." Les rôles des magistrats, du greffier, des assesseurs et des avocats sont tous assurés par de vrais professionnels. Y compris celui de l'éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse : "En discutant avec les enfants, on se rend compte qu'ils se sentent concernés par les problématiques qui surgissent au cours du procès, observe Christelle Segatto. Ils n'ont pas conscience de tout ce qui se joue, mais ils posent des questions sur le rôle des parents, sur la gravité des armes, les violences familiales, etc. C'est une bonne chose pour la sensibilisation aux droits de l'enfant."

Une famille désemparée et une victime traumatisée

Les apprentis comédiens se succèdent à la barre. L'impuissance des parents du prévenu est patente. Elle confine à l'abandon. "Quand je rentre du travail, je suis crevé, j'ai envie de m'poser devant la télé, souffle le père. Mon fils, c'est comme si je le connaissais pas. Il sort souvent la nuit." La victime, elle aussi mineure, livre un terrible témoignage. Depuis l'agression, elle a perdu l'appétit, le sommeil, fait des cauchemars, et ne peut plus approcher un tramway. "Je me repasse la scène en boucle, s'émeut-elle. Je ne comprends pas, je n'ai même pas eu d'excuses."

L'instant le plus attendu arrive : le réquisitoire du parquet. Substitut du procureur en charge des mineurs à Reims, Chantal Biehn joue son propre rôle. Elle rappelle à l'auditoire que le mis en cause encourt trois ans et demi d'emprisonnement. Seulement, au moment d'annoncer la peine qu'elle requiert, elle laisse un blanc et s'adresse aux enfants : "C'est à vous de dire quelle peine serait la plus juste. Nous allons vous faire passer des feuilles et des stylos. Vous avez dix minutes."

Les écoliers s'empressent et se réunissent en groupes de cinq. Cette responsabilité ne semble pas les effrayer. "C'est interdit d'avoir une arme, tranche Elyon, âgé de onze ans. Il faut qu'il aille en prison." Avec ses propres mots, son copain Marlon se soucie de l'accompagnement psychologique : "Il faut l'aider. Il faut qu'il voie un docteur et qu'il aille à l'école." Certains se révèlent implacables : "75 000 euros d'amende", "bracelet électronique pour interdire à Jimmy de sortir la nuit". D'autres, enfin, s'avèrent très attentifs au rétablissement de la victime : "Il doit lui écrire une lettre d'excuses." Chantal Biehn sourit en lisant les papiers laissés par les écoliers. Elle s'exclame : "Globalement, vous avez été très durs !"

Les enfants plus sévères que le parquet

Finalement, la présidente se montrera plus magnanime dans sa condamnation : trois mois d'emprisonnement avec sursis, assortis d'une obligation de formation scolaire et de soins psychologiques. "Le décalage entre la sévérité des enfants et la peine réelle est normal, assure Chantal Biehn. Cela veut dire que les témoignages les ont touchés, qu'ils ont été sensibles aux souffrances de la victime. C'est bon signe ! Cela prouve l'efficacité de l'initiative." Organisée depuis 2017 avec succès, cette reconstitution sera maintenue dans les années à venir. Certains professionnels de la justice plaident même pour l'étendre aux collégiens.

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