La première réunion publique sur les abus sexuels dans l’Église a débuté ce mardi 14 septembre au centre diocésain Saint-Sixte à Reims. Au programme, une pièce de théâtre suivie d’un débat avec le public et l’évêque de Reims. La parole s’est libérée et les témoignages ont été nombreux.
Mardi 14 septembre, Mgr Eric de Moulins-Beaufort, évêque de Reims, a inauguré la première des cinq réunions publiques du diocèse sur les abus sexuels dans l’Église. Une soirée pour libérer la parole des victimes, au centre diocésain Saint-Sixte (voir la carte un peu plus bas).
Pardon ? C’est le nom de la pièce de théâtre autobiographique de Laurent Martinez. Elle s’est jouée en préambule de la soirée débat rémoise. Une manifestation dans le cadre de la publication, en octobre prochain, du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase).
Une centaine de personnes présentes et de nombreux témoignages de victimes d’abus sexuels. La parole se libère dès la fin de la représentation théâtrale avec des témoignages de victimes d’abus sexuels dans l’Église. Le mariage des prêtres était aussi au centre des débats.
La libération de la parole
Parmi les personnes présentes, c’est une dame qui ouvre le débat. “J’accompagne les personnes victimes pas seulement dans l’Église mais aussi dans leur famille. La seule façon de les aider c’est qu’ils puissent parler donc la cellule d’écoute est importante”, explique-elle.
Vous avez tellement bien décrit (ndlr, dans la pièce) la façon dont ils sont dévastés.
Elle souligne le tabou entourant les abus sexuels dans l'Église. "Sortir du secret qui est souvent imposé par l’auteur ou la famille qui ne veut pas en parler."
Un homme s’exprime à son tour sur le silence de l'Église durant de nombreuses années. “Nous sommes dans l’ancienne chapelle du grand séminaire qui a formé tous les prêtres du diocèse. Enfin il y a une discussion qui s’ouvre sur les problèmes qui peuvent se poser au sein de jeunes hommes qui s’engagent dans le célibat et pour la prêtrise. Et qui se retrouvent dans des situations extrêmement compliquées", souligne-il. Le diocèse a communiqué sur les réseaux sociaux sur cette première réunion (voir publication ci-dessous).
“Il bruissait un certain nombre de comportement inappropriés. Il a fallu attendre et attendre encore que la parole se libère et que les personnes abusées soient enfin prises en considération. Quelle est la liberté de parole dans notre Église quand on ose lever des tabous sur les comportements abusifs ?"
Des cas avérés dans l'Église comptabilisés aussi dans la Marne
Dans le diocèse onze cas inappropriés, un cas a fait l’objet d’un procès.
Une victime d’abus sexuels, émue, prend à son tour le micro. “Je fais partie d'une douzaine de personnes de personnes victimes qui avaient accepté de dialoguer avec les évêques”. L’émotion est vive dans l’assemblée. “J’ai déjà vu la pièce et en mai j’ai pu dire à mes enfants ce qui m’est arrivé.”
L’occasion pour cette personne de dire combien il est important de parler à ses proches. “Mon fils m’a dit, tu ne parlais jamais de ton enfance, nous nous doutions qu’il s’était passé quelque chose.”
Beaucoup de personnes n'osent pas parler parce que c’est difficile.
Une dame, qui travaille dans la protection de l’enfance auprès d'enfants abusés, témoigne du bienfait de la libération actuelle de la parole. “Quand un enfant parlait c’est lui qui était éjecté et pas l’abuseur”, raconte-t-elle. Un retournement de situation salutaire mais qui n’est pas possible pour toutes les victimes ou les témoins d’abus sexuels.
Cela demande beaucoup de courage de voir et d’entendre.
Que dit le pape ?
Une dame prend la parole. “Je ne suis pas croyante, (...) J’ai bien entendu qu’il y avait de l’écoute... mais que dit-on à la papauté au niveau de ce problème ?”, interroge-elle. “Ces questions d’abus d’enfants, on les retrouve dans d’autres secteurs de la société et une grande partie dans les familles”, répond l’évêque. “Mais depuis 2016 on sait ce que l’on ne voulait pas voir.”
Nous ne pouvons pas nier le traumatisme que subissent les enfants.
Le mariage des prêtres ?
Un sujet régulièrement abordé lorsque l'on parle des abus sexuels dans l'Église, celui du mariage des prêtres. La question n'a pas tardé à venir dans l’assemblée au cours du débat.
Le mariage n’est pas la solution aux problèmes de perversion des uns et des autres.
Des abus présents dans tous les pans de la société selon l’Église.“Dans le rapport de la Cias, il y aura des résultats effrayants dans l'Église mais aussi dans toute la société française. Le mariage n’est pas la solution suffisante à ce problème”, précise Mgr Éric de Moulins-Beaufort. Pour les prêtres, il s’agit de “comprendre pourquoi nous sommes amenés au célibat et à l'abstinence", ajoute l’évêque.
Il faut avoir une compréhension de la sexualité plus juste.
La privation de la sexualité
Laurent, victime, auteur et acteur de la pièce Pardon ? intervient à son tour sur le mariage de prêtres. Pour lui, “il n’y a pas de réponse absolue” mais il s’interroge sur autre chose. “La pédophilie, qui est une déviance sexuelle, peut-elle être exacerbée dans un contexte où l’homme se trouve privé de sexualité ?” Une vraie question à se poser selon l’auteur. “Cela peut amener des personnes qui auraient cette déviance (la pédophilie, ndlr) à y penser, car l’enfant est une proie facile.”
J’avais été repéré comme étant le faible du troupeau et c’est moi qui ai été violé.
“Des pédophiles qui se retrouvent dans d’autres contextes”, tient à nuancer l’auteur. Tous les pans de la société seraient concernés, une réponse soulignée lors de plusieurs prises de parole.
On ne peut pas avoir une vision globale avec des solutions catégoriques. C’est un sujet extrêmement compliqué, par contre on peut se poser des questions.
L’abstinence en question
L’auteur de la pièce Pardon ? revient sur le terme employé dans la pièce de “pédophile abstinent". Il souligne que “c’est le premier passage à l’acte qui entraîne une espèce de cercle terrible dans lequel le pédophile est empêtré. Et si on arrive à le bloquer avant on aura fait un travail magnifique.”
Empêcher que l’abus sexuel n’arrive en restant abstinant ? L’évêque n’exclut pas que de jeunes hommes “qui ont découvert qu’ils avaient de drôles de fantasme” aient envisagé comme solution la prêtrise.
Il n’est pas à exclure que certains aient pensé que devenir prêtres, vivre dans l’abstinence, cela allait les sauver du poids de leurs fantasmes.
D’autres religieux se seraient volontairement rapprochés des enfants les chassant. Des proies faciles, reconnaît-il. “D’autres peut-être se sont laissés attirer soit en étant prêtres, professeurs, instituteurs, éducateurs, dans des chorales. Parce que de manière plus ou moins claire ils savaient qu’ils allaient trouver aussi des proies", souligne Mgr Eric de Moulins-Beaufort.
Quel est le degré de conscience ? je suppose qu’il n’y a pas grand monde qui soit devenu prêtre pour trouver des proies.
Une question en suspens et le débat n'en finit pas tant les témoignages sont nombreux.
La cellule diocésaine a pour mission “d’écouter les personnes abusées dont la parole est lourde de conséquence pour elles, libératrice et permettant le retour à une vie normale par la suite”. Des témoignages retranscrits et signalés au procureur.
Quand quelqu’un appelle à la cellule d’écoute nous recevons la personne pour l’écouter le mieux possible.
Les prochaines réunions publiques vont s’étaler sur tout le mois de septembre. Les dates et lieux sont listés sur le site du diocèse Reims-Ardennes.