Dans le sillage du mouvement social qui touche les urgences adultes partout en France, les urgences pédiatriques de l'hôpital américain de Reims sont en grève depuis ce jeudi 4 juillet. Un arrêt de travail reconductible pour obtenir plus de moyens humains et matériels.
C'est une grève quasi-invisible pour les patients. Continuité du service public oblige, infirmiers, puériculteurs et auxiliaires de puériculture de l'hôpital américain de Reims ont officiellement cessé leur activité depuis ce jeudi 4 juillet…Tout en continuant à travailler. Seuls les mots "en grève" écrits aux feutres de couleurs sur les blouses blanches témoignent de ce mouvement social, suivi par 90% du personnel paramédical, à l'appel d'une intersyndicale CGT-FO.
Parmi les grévistes rencontrés ce matin et qui ont souhaité conserver leur anonymat, des fonctionnaires avec pour certains d'entre eux, plus de 20 ans passés aux urgences pédiatriques. Un service à part dans l'hôpital, prisé du personnel, même si certains avouent aujourd'hui avoir déjà songé à démissionner ces dernières années. En cause, un manque de moyens humains et matériels.
"En 2010, nous avions 20.000 entrées par an. Fin 2018, nous sommes arrivés à presque 30.000, soupire Camille*. On draine des patients de toute la Marne mais également des Ardennes, de l'Aube et de toute l'Aisne. Le problème, c'est que cette hausse du nombre d'entrées, bénéfique pour les finances de l'hôpital, s'est faite à effectif quasi constant!"
Un manque d'effectif doublé d'une gestion de l'absentéisme défaillante selon les syndicats "Certains fonctionnaires, comme tout le monde, tombent malades ou partent en congés maternité", poursuit Valéry, une infirmière. "Pour les remplacer, des agents sont rappelés sur leur temps de repos et cumulent jusqu'à 200 heures supplémentaires, des heures supplémentaires non payées par la direction et transformées en RTT. Mais dans la pratique c'est presqu'impossible de les poser tellement on a besoin de nous au quotidien."
Une situation qui pousse certains soignants à venir travailler même en cas de fièvre ou de maladies. "On ne veut pas laisser nos collègues dans la difficulté donc on est là mais ça nous fait mal de risquer de contaminer les enfants. On est moins efficace, moins souriants."
"Moi je t'ai repéré, je reviendrai avec toute ma famille"
Si le mouvement est populaire auprès des parents d'enfants malades qui comprennent bien qu'une hausse des effectifs réduirait les temps d'attente, les relations entre adultes et personnels de santé ne sont pas toujours idylliques. Même si un interne et un chef de médecine restent disponibles 24 heures sur 24 pour prendre en charge tout ce qui est urgence vitale, les agents s'accordent pour dénoncer un temps d'attente rallongé et donc un surcroît de nervosité de la part des parents.En tant que premier contact avec les familles, l'équipe paramédicale est en première ligne face aux familles. "Des gens font le pied de grue devant les salles de consultation en disant "on nous a oublié", poursuivent les agents. "Les insultes et les menaces sont récurrentes. Un jour un père de famille s'est adressé à un soignant en lui disant 'Moi je t'ai repéré, je reviendrai avec toute ma famille'". Il y a plusieurs années, des infirmiers ont déposé plainte pour menace de mort. L'intervention des gardiens est de plus en plus fréquente.
"On comprend qu'ils soient inquiets et énervés au bout de 7-8 heures d'attente, on est nous-mêmes parents dans notre grande majorité, soupire Camille. "Mais de là à être agressé. On est là pour les aider." Violence verbale ou physique des parents, sans oublier celle des enfants eux-mêmes. Ouvertes aux patients, de la naissance jusqu'aux majeurs de 18 ans, les urgences pédiatriques accueillent parfois des enfants agressifs envers les autres, ou leur propre personne. "On doit prendre en charge des pathologies de plus en plus lourdes comme la pédopsychiatrie, une discipline sur laquelle nous ne sommes pas réellement formés, poursuit Camille. Ce qui induit forcément une baisse de la qualité des soins. On a affaire à des adolescents en mal-être, au milieu des nourrissons. "
1500 euros en début de carrière
Sollicitée, la direction n'a pas donné suite à notre demande d'interview, mais une réunion de négociation s'est tenue mardi 2 juillet avec les syndicats. "La direction a été à l'écoute, reconnaît nos difficultés et nous a promis de revoir certaines choses à la rentrée de septembre", expliquent les grévistes. "L'embauche d'une auxiliaire en puériculture est notamment évoquée", précise Valéry. "Le problème c'est qu'au-dessus d'elle, la direction a un ministère qui ne réfléchit qu'en terme de taux d'occupation des lits et impose aux hôpitaux une feuille de route afin de présenter coûte que coûte un budget à l'équilibre."Malgré leurs difficultés, les soignants l'assurent : ils restent attachés à ce métier qu'ils ont choisi, au plus près des enfants et de leurs pathologies. Un choix, loin d'être payant côté financier. En début de carrière, hors prime, un puériculteur est rémunéré autour de 1650 euros net par mois, un infirmier gagne 1500 euros.
* Les prénoms ont été volontairement modifiés.