Si je vous dis évolution, vous pensez à quoi ? A Darwin ? A sa théorie de l'évolution ? Savez-vous que cette théorie s'applique aussi bien aux animaux qu'aux plantes ? Au jardin botanique de Nancy, un espace est entièrement consacré à l'évolution des fleurs.
Du 30 mai au 3 juin s'est tenu au jardin botanique Jean-Marie Pelt de Villèrs-lès-Nancy un colloque international sur l'évolution. Passé relativement inaperçu, l'événement, à vocation scientifique, a réuni la crème de la crème des botanistes du monde entier, pour faire un point sur les connaissances liée à l'évolution du monde végétal. Seule une conférence était ouverte au grand public.
Pourquoi Nancy, comme choix d'un tel colloque ? D'abord parce que l'équipe du jardin botanique a fait de l'évolution sa thématique de l'année : "Comment traiter de l'évolution dans les jardins botaniques, les muséums d'histoire naturelle et les centres culturels". Mais aussi et surtout parce que le jardin s'honore d'un vaste espace dédié à l'évolution des plantes à fleurs.
Partons à la découverte de cet espace "jardin de l'évolution" en compagnie de Sébastien Antoine, responsable scientifique du jardin. Le jardinier botaniste qui nous avait déjà guidés dans la collection de lilas, nage comme un poisson dans l'eau pour évoquer le jardin de l'évolution. Il faut dire que cet espace est en quelque sorte tout droit sorti de son esprit. Il revendique le titre de chef d'orchestre du projet d'évolution du jardin de l'évolution. Même s'il n'est pas le dernier à mettre en valeur le travail de tous ses collègues qui ont participé à l'aventure. Car s'en était bien une.
Pourquoi un espace qui parle de l'évolution ?
Les savants botanistes, au fil de leur inventaire des plantes du monde entier ont commencé par donner des noms aux plantes, puis ils ont cherché à les classer par familles. Pour ce faire, ils se sont basés sur l'observation en cherchant d'abord les ressemblances entre les plantes prélevées, puis en se focalisant sur les différences. On déterminait ainsi les familles (par ressemblance) puis les genres et les espèces (par différence). Les premiers systèmes de classement des plantes sont nés au cours du XVIIIe siècle. Trois à quatre types de classements différents, portant le nom de leurs illustres concepteurs, émergent. Ils s'entendent sur une grosse majorité de hiérarchisation de la flore et se différenciaient à la marge. Les jardins botaniques s'emparent de ces classements pour faire rayonner la connaissance botanique. Certains jardins s'en servent de base pour créer des espaces.
Le jardin botanique du Montet, renommé depuis Jean-Marie-Pelt, a choisi son classement systématique : celui d'Arthur Cronquist, classement créé en 1968 et revu en 1988, à l'aune des connaissances scientifiques de l'époque.
Sauf que, patatras, grâce aux recherches génétiques et au séquençage de l'ADN; on s'aperçoit que des plantes de la même famille, selon les classifications en usage, sont parfois de faux frères, voire, même pas des cousins. Les classements s'effondrent et il faut tout revoir. C'est ainsi qu'en 1998, une nouvelle et unique classification apparaît, basée sur l'ADN des plantes, et reconnue par tous les scientifiques : le système Angiosperm Philogeny Group (APG). Système, qui aujourd'hui en 2022, en est à sa version IV.
Si vous m'avez suivie jusqu'ici, bravo !
Là où je veux en venir, c'est que le Jardin botanique, comme tout bon pédagogue qui se respecte, avait un espace consacré aux familles de plantes et à leur évolution. Mais alors, si toute la hiérarchie est modifiée, leur présentation dans le parc est faussée. Ça coince un peu aux entournures, quand le référent présente un système erroné.
Véritable casse-tête chinois
C'est là qu'entre en jeu Sébastien Antoine. Il accepte, non sans un soupçon d'inconscience, de mener à bien le chantier d'évolution du jardin de l'évolution. Il n'imagine alors pas l'ampleur de la tâche. A ceux qui lui conseillent de tout raser pour tout refaire à neuf, il oppose une belle détermination et choisit le compromis. On n'efface pas le monde d'avant, il faut le faire évoluer. Le maître mot c'est s'adapter. Belle mise en abîme.
Commence alors un chantier de plusieurs années, qui mène le persévérant jardinier botaniste et son équipe bien au-delà de leur domaine de compétence. Il faut certes revoir le plan des plantations pour les reclasser, selon la nouvelle classification, mais il faut revoir le balisage, les temps d'arrêts, concevoir les panneaux explicatifs, imaginer et faire réaliser les aménagements (en partenariat avec l'AFPIA Est-Nord de Liffol-le-Grand dans les Vosges, l'ENSTIB d'Epinal, et même la participatio de Cascadeur pour le parcours podcasts botanistes en photos ci-dessous). Le tout avec les contraintes du terrain et les aléas météo.
Il faut surtout s'adapter et tenir compte du vivant. Si les fleurs et arbustes peuvent être déplacés, il n'en est pas de même pour les arbres. Leur présence au milieu du grand "déjardinement" en devient même incongrue. C'est un des nombreux défis qu'il a fallu relever. En bon amoureux de la nature, pas question pour Sébastien d'abattre ces témoins de l'histoire du jardin, même s'ils n'ont plus leur place dans la nouvelle partition de l'évolution. Qu'à cela ne tienne, il leur attribue une fonction prétexte et les voilà qui trônent désormais aux quatre coins du jardin de l'évolution, balisant les quatre espaces thématiques et distribuant à l'envi leur ombre protectrice aux visiteurs.
Sébastien Antoine a deux objectifs : faire du jardin de l'évolution un lieu de destination pour le public et proposer un parcours didactique. Le pari est réussi : les visiteurs, qui auparavant, traversaient un peu le lieu sans y prendre garde, désormais s'y attardent et s'y prélassent. Et pour ceux qui le souhaitent, ils viennent glaner juste ce qu'il faut d'information sur l'évolution des plantes pour se sentier éclairés, sans être assommés.
Les Nancéiens, fiers de faire découvrir leur cité aux touristes de passage, les emmènent sur un des plus beaux spots sur la ville, le tout en plein cœur du parc. La fenêtre ouverte depuis le point haut sur le jardin est un incontournable.
Il présente aussi l'avantage de pouvoir reprendre son souffle après la petite grimpette, surtout au rythme énergique de Sébastien Antoine !
Chef d'orchestre ou homme-orchestre ?
Un travail aux frontières entre le jeu de chaises musicales, la direction d'orchestre philharmonique, et la création d'un nuancier complet de couleurs, destiné à la palette d'un peintre. Le tout surmonté d'une note de poésie. Pas étonnant que Sébastien Antoine s'enflamme dans ses explications. Après avoir rappelé tout l'historique de cet imposant projet, il parcourt les allées du jardin de l'évolution. Il montre ici, la zone destinée au repos des visiteurs dans des sièges en forme de chromosomes. Là, les énormes poufs en forme d'édredons parés de planches botaniques et déposés à l'ombre ou au soleil, pour les plus paresseux. Ailleurs enfin, le dôme amphithéâtre, en forme de grain de pollen, où se tiennent expositions, concerts et spectacles au gré des saisons du jardin.
Les confrères botanistes s'étonnent auprès du chef de projet : "comment t'as fait ?" devant l'ampleur de la tâche. Un avant-après, imaginé dans les règles de la science, tout en préservant la nature, qui en a laissé plus d'un pantois. Car, en plus des arbres préservés malgré leur inopportunité, des vastes espaces ont été ré-engazonnés, redonnant protection à la terre, et moins de labeur aux jardiniers, en évitant le désherbage. Des solutions trouvées grâce à un pragmatisme bien trempé doublé d'une passion sans faille pour les plantes, leur histoire, leurs particularités, leur esthétisme,.... "Je pourrais facilement parler un quart d'heure sur chaque plante; il y a de quoi raconter" s'exclame l'infatigable Sébastien Antoine.
Et il ne s'en prive pas me bombardant d'explications sur les Apiales qui regroupent les familles de araliacées et des Apiacées, sur l'histoire du Decaisnea fargesiif, qui porte les trois noms des découvreurs et introducteurs de la plante; sur le Thalictrum lorrain, cédé par le petit fils du généticien nancéien -et néanmoins passionné de botanique- Lucien Cuénot, sur l'élaïosome de cette graine, à la dissémination dite myrmicole, car propagée par les fournis, dupées par la ressemblance de la graine avec leurs larves, ou encore sur le nom de la plante à l'encre qui a conduit nombre d'enfant à écraser ces fleurs pour y déceler l'encre qu'elle était supposé contenir.
Aujourd'hui ce sont 1.200 espèces de plantes qui sont présentées dans cet espace de plus de deux hectares, dédié à l'évolution. 44 ordres de plantes y sont représentés. Des plantes vivaces, mais aussi des plantes annuelles, qui viennent varier les plaisirs du jardinier.
La force du jardin botanique c'est d'avoir à disposition dans les frigos de la graineterie, tout ce qui est nécessaire pour conserver et varier les plantations, à la lueur des connaissances contemporaines. Il suscite ainsi l'intérêt des confrères venu d'ailleurs, qui viennent piocher ici des idées à reproduire dans d'autres jardins botaniques.
La boucle est bouclée. Le cycle du vivant se renouvelle et s'adapte au fil de l'évolution.