Ah les pivoines ! Ce n'est pas pour rien qu'elles sont dans le top trois des fleurs préférées des Français. Superbes avec leurs grosses fleurs odorantes. Les jardiniers les bichonnent dans les coins ensoleillés de leurs jardins. Mais, elles savent se faire désirer et c'est peut-être là le secret de leur succès.
Comme toutes les beautés, elles savent se faire attendre. Et quand leur heure est venue d'éclore, elles se parent de pétales jaunes, blancs, roses ou rouges. Et n'oublient pas de dégager de suaves parfums, qu'elles diffusent pour retenir les amoureux. Pour, quand la pluie tombe, comme en ce printemps 2024, se courber en respectueuses révérences. C'est la parade de dame pivoine.
Il faut bien avouer qu'elles sont irrésistibles, et possèdent un petit côté magique au moment de leur éclosion ; quand les petits boutons se transforment en ces somptueuses grappes de pétales aux couleurs vives ou douces et à l'odeur subtile. Une beauté printanière.
Au jardin botanique Jean-Marie Pelt de Villers-lès-Nancy, elles s'offrent dans l'écrin de la collection labellisée nationale du patrimoine horticole lorrain, parmi d'autres plantes. Et c'est avec Sébastien Antoine, responsable scientifique des collections, sous une pluie de mai, que les présentations se sont faites.
Cette pluie, fatale aux fragiles pétales, a déjà occasionné des dégâts parmi les variétés de pivoines arbustives. Mais les pivoines herbacées sont pour les plus précoces en pleine floraison tandis que les plus tardives sont encore en bouton. C'est le moment idéal pour aller les admirer et tomber sous leur irrésistible charme.
Tout premier conseil délivré par le jardinier botaniste, il faut couper les fleurs de vos pivoines herbacées. Surtout en cas de pluie, pour leur éviter de faner plus vite. Elles sont faites pour ça, pour les bouquets, avec leur parfum prononcé et la bonne tenue de leur tige. C'est ainsi qu'elles sont devenues les fleurs incontournables aux pieds des autels des églises. Ou les tables de communions. Alors dès qu'elles sont écloses, coupez-les sans regret. Cela aidera le pied à se renforcer pour une plus grosse floraison l'année suivante.
Bien sûr, au jardin botanique, comme dans d'autres parcs de la région, où les pivoines se laissent admirer, les fleurs sont laissées sur pieds pour vous laisser le temps de les admirer et de choisir vos préférées. Le jardin fruitier d'Ars-Laquenexy (Moselle) et le parc du château de Joinville (Haute-Marne) vous en mettent plein les yeux et le nez.
Un bref point botanique et étymologique
La pivoine arbustive vient de Chine, où elle est évoquée dans de nombreux mythes millénaires et sont parées de vertus. Elle apporterait richesse, prospérité et honneur. Rien que ça.
Mais les pivoines herbacées viennent aussi des steppes de l'Europe de l'Est. La pivoine doit son nom scientifique à un dieu grec guérisseur, Péon, connu pour soigner les Dieux de l'Olympe, grâce aux propriétés médicinales de notre plante.
Curieusement, elle évoque aussi un autre mythe grec, celui de la nymphe Péone. La belle, qui savait user de sa grande beauté, enfreint les règles de la pudeur olympique pour séduire un dieu. Elle fut alors condamnée à être transformée en fleur aussi belle qu'elle, mais portant haut le rouge, couleur de la honte éternelle. Elle nous laisse à jamais l'expression "rouge comme une pivoine".
Vous le savez tous, amateurs de fleurs, il existe deux types de pivoines : les arborescentes ou arbustives et les pivoines herbacées. Mais première surprise, lâchée par notre hôte jardinier et historien à ses heures, il existe également une espèce dite intersectionnelle, hybride entre les deux espèces : les pivoines Itoh.
La pivoine, héroïne de roman romantique
À elle seule, l'histoire de ces pivoines Itoh est un roman, mais avant de vous en conter l'histoire, un détour par Nancy s'impose. Car sans les pivoines Lemoine, pas de pivoine Itoh. Prêts ? Nous allons voyager.
Un retour dans le passé s'impose et Sébastien Antoine, responsable scientifique des collections botaniques du jardin Jean-Marie-Pelt nous guide dans les méandres de l'histoire horticole. La pivoine est déjà bien installée dans les jardins, quand vers 1870, les horticulteurs lorrains décident de s'en emparer pour créer des cultivars. N'oublions pas qu'à la même époque, de nombreux artistes s'installent à Nancy et créent un courant artistique de l'Art Nouveau autour des plantes et des fleurs : l'École de Nancy. La fleur est alors reine dans la commune lorraine.
Comment la pivoine débarque à Nancy ?
Louis Crousse, horticulteur nancéien de son état, se lie d'amitié avec une famille d'horticulteurs pépiniéristes de Douai (Nord), les Calot. Les deux familles s'apprécient tant et si bien, que le fils Crousse, François-Félix, part faire son apprentissage chez les amis de ses parents.
Or, il se trouve que les Calot sont les spécialistes français de la pivoine herbacée, ayant récupéré la collection de pivoines offertes par l'empereur de Chine à l'impératrice Joséphine de Beauharnais pour son château de Malmaison (Hauts-de-Seine). Gérard Calot a déjà créé plusieurs pivoines et lorsque, quelques années plus tard, François-Félix se marie, il se voit offrir par Jacques Calot une variété de pivoine qui porte son nom, d'un rose éclatant.
Plus tard encore, Jacques Calot transmet à son tour la collection de pivoines de Joséphine, enrichie de ses cultivars à François-Félix Crousse, son ancien apprenti.
L'âge d'or de la pivoine herbacée à Nancy
François-Félix Crousse, décide de poursuivre l'œuvre de son testateur. Il se met à hybrider les pivoines. Alors que les drames se succèdent dans sa vie, il se consacre pleinement à la création de nouvelles variétés. À tel point qu'il possède à la fin de sa carrière la plus grosse collection au monde de pivoines. Et pour voir sa collection perdurer, il la lègue à l'autre grosse famille d'horticulteurs de Nancy, les Lemoine. La maison Lemoine continue l'œuvre de ses prédécesseurs et continue la sélection des pivoines herbacées jusque dans les années 1930.
À elles deux, les maisons Crousse et Lemoine de Nancy ont créé plus d'une centaine de pivoines herbacées. Oui, vous avez bien lu : plus d'une centaine de variétés de pivoines. Leur secret pour réussir les hybridations reste bien gardé. À la mécène américaine, passionnée de pivoine Alice harding, qui l'interviewait sur ses méthodes, François-Félix Crousse répondit : "rien de plus simple : je regardais les plus belles et je récoltais les graines au bon moment !". Comme on dirait de nos jours : "je dis ça, je dis rien, passez votre chemin".
À la fermeture de la maison Lemoine, la collection de pivoines herbacées reste en France pendant quelques années chez un horticulteur de Lapalisse (Allier), les établissements Doriat. La pivoine, reine du bal, continue de valser de maisons en maisons.
Quant aux pivoines arbustives
Elles sont originaires de Chine. Comme beaucoup de plantes exotiques, elles sont introduites en Europe au milieu du XIXe siècle. On les nomme communément les pivoines moutan. Leurs couleurs vont du blanc au rouge en passant par les dégradés de rose.
C'est là qu’intervient un botaniste français, missionnaire en Chine, monsieur Félix-prénom décidément à la mode-Delavaye. Ce monsieur, au cours de ces pérégrinations, découvre une pivoine arbustive à fleur jaune. Grosse nouveauté, succès garanti. Il envoie des spécimens au Museum National d'Histoire Naturelle de Paris (MNHN), en charge alors de la politique d'acclimatation des plantes exotiques. Mais il en fait parvenir également aux établissements Lemoine à Nancy dans le même but.
Et c'est Émile Lemoine qui obtient les premières fleurs, petites et jaunes. Nancy 1 point : Paris 0. Parallèlement, Louis Henry, botaniste du musée et Émile Lemoine cherchent à hybrider cette pivoine arbustive pour obtenir des fleurs plus grosses à meilleure tenue. C'est ainsi que naissent "la Lorraine", "Madame Louis Henry", "l'espérance" ou la pivoine "sang lorrain".
La maison Lemoine crée en tout treize variétés dont la dernière porte le nom de "Eldorado". Puis la collection de pivoine arbustive quitte la Lorraine à son tour pour la maison Rivière dans la Drôme. Maison qui reste le spécialiste de la pivoine en France.
La collection, elle, continuera son voyage vers l'Amérique et l'Australie.
Carnet rose : Itoh née de maman herbacée et papa arbustif
Revenons à notre pivoine intersectionnelle, la fameuse Itoh, qui ne serait pas sans les pivoines de Nancy.
Voici qu'entre dans la danse des pivoines un japonais, monsieur Toichi Itoh. En 1948, il cherche à croiser une pivoine herbacée avec une pivoine arbustive. Parmi les milliers d'hybridations qu'il a tentées, une seule réussit : celle de "Alice Harding", créée par Victor Lemoine, qui a la particularité d'avoir un pollen fertile avec "Kokoden" pour réaliser son croisement à partir de graines. Les plantes obtenues allient les qualités des deux espèces : vigueur et beauté. Malheureusement, l'obtenteur meurt avant de pouvoir admirer le résultat de ses travaux et c'est sa femme qui en verra le fruit, sans en deviner toute la portée.
C'est là qu'intervient un américain, monsieur Smirnoff qui part à la rencontre de la veuve et sauve les plants de l'oubli. Il s'empare de cette réussite pour la faire connaître et leur attribue le nom de Itoh, en hommage au créateur. Le jardin botanique de Villers-lès-Nancy a créé, en 2022, un massif avec les quatre descendants de ces plantes intersectionnelles : "yellow crown", "yellow heaven", "yellow dream" et "yellow emperor".
Un petit conseil pour la fin
Il a déjà été expliqué plus haut que couper les fleurs des pivoines herbacées était très conseillé pour le renforcement de la plante. Mais savez-vous que vous pouvez aussi couper seulement la fleur, sans sa tige ? Notamment quand sur un même tige une fleur est bien ouverte tandis que l'autre reste en bouton. La fleur coupée à ras pourra orner une coupelle plate remplie d'eau tandis que l'autre en bouton pourra gagner en vigueur et fleurir à son tour. On appelle ça un effet gagnant-gagnant.
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Pour conclure, sachez que la variété de pivoine la plus vendue est la "Sarah Bernardt". D'une beauté indémodable.