C'est un mouvement artistique qui ne dura qu'une trentaine d'années. Juste avant la Première Guerre mondiale. L'École de Nancy, courant de l'art nouveau, fédère des artistes et petits industriels autour d'un thème qui les inspire, la nature. Avec la monnaie du pape, Louis Majorelle se fait plaisir en s'offrant une somptueuse villa ornée de toutes parts par cette fleur porte-bonheur.
S'il existe un lieu qui met en valeur la monnaie du pape, c'est bien la Villa Majorelle à Nancy. Commandée par son propriétaire Louis Majorelle, l'une des têtes de file du mouvement artistique de l'École de Nancy, elle est construite entre 1901 et 1902 par le jeune architecte Henri Sauvage, 25 ans au moment de la commande.
Elle se niche dans une petite rue de Nancy, la rue Louis Majorelle, que les connaisseurs d'Art Nouveau connaissent bien. Le céramiste Bigot, le vitrailliste Gruber, Majorelle lui-même, les peintres Francis Jourdain et Henri Royer, la villa recrute le gratin de l'École de Nancy et des artistes parisiens de l'Art Nouveau pour sa construction.
Un brin de botanique
Un nom bien évocateur pour cette plante reconnaissable entre toutes : la monnaie du pape, autrement appelée l'herbe aux écus. Un nom qui semble tout droit sorti de l'imagination d'un poète rêveur. Comme le romantique amour en cage ou le sympathique et néanmoins invasif arbre à papillons.
C'est une plante bisannuelle, à fleurs mauves qui éclosent au printemps et à fruits décoratifs qui apparaissent ensuite : des fruits ronds, qui ressemblent à des pièces mordorées et qui laissent deviner en transparence les graines. Rustique, elle supporte aisément les rudes températures de nos régions. Autre avantage, pour le jardinier un brin paresseux, elle se ressème toute seule. Enfin, elle est extrêmement décorative et orne souvent les bouquets de fleurs séchées.
Un concept total look, la Villa Majorelle
Je vous invite à suivre la visite virtuelle de la Villa Majorelle. Vous pourrez y découvrir à votre rythme l'ambiance de cette envoûtante villa. Une immense porte vitrée recouverte de ferronneries aux motifs de monnaie du pape nous accueille pour nous faire pénétrer dans un vestibule lui-même recouvert d'une frise au décor de monnaie du pape. Probablement un gage de bonne fortune ?
Ce qui est sûr en revanche, c'est que Louis Majorelle se plaisait à faire — longuement – patienter ses hôtes dans le salon adjacent ; leur laissant à loisir observer et admirer son mobilier et ses objets tout droit sortis de ses ateliers : le tout premier showroom en quelque sorte. Il n'était pas rare, qu'à force d'admiration, ses hôtes passent commandes de meubles. La fameuse marque suédoise d'ameublement n'a donc rien inventé. Et après la visite virtuelle de la Villa, je vous invite à feuilleter l'album de photos de la famille Majorelle. Et surtout, il faut se représenter la Villa dans son contexte de l'époque : pas de hauts murs d'enceinte, mais un grand parc tout autour.
Découvrons les motifs restaurés sur les murs et les sous-pentes, les ferronneries de la monumentale porte d'entrée.
Le motif de la monnaie du pape se retrouve partout sous toutes les formes et dans toutes les matières possibles.
Après la porte d'entrée et ses ferronneries, l'escalier éclairé par le vitrail en verre américain de Gruber.
Une parenthèse biographique
On ne peut pas évoquer la Villa Majorelle, sans évoquer un tant soit peu la vie de l'artiste. L'homme est impressionnant par son savoir et son éclectisme. Né à Toul en 1859, il meurt à Nancy en 1926. Comme Émile Gallé, il est le fils de commerçants. Cristal et porcelaine pour la famille Gallé, fabrique de meubles et de faïence pour la famille Majorelle. Il entreprend des études aux Beaux-Arts de Nancy puis de Paris, études qu'il doit interrompre au décès de son père en 1879. Il prend alors la succession du magasin et de l'entreprise paternelle et apprend son métier d'ébéniste auprès des ouvriers de l'atelier. Très influencé par son ami Émile Gallé, il va donner une tonalité différente à la production de ses ateliers.
Il se fait remarquer lors de l'Exposition universelle de Paris de 1889 où il gagne une médaille d'argent. Puis devient membre du jury lors de l'Exposition universelle de Paris en 1900 et y connaît un triomphe. Il ouvre des boutiques à Paris, Lille et Lyon, Londres, Berlin et même Oran. Il recevra des commandes des maisons de haute-couture, des grands cafés parisiens, des grands magasins et même d'ambassades. Majorelle ou le comble du luxe à la Belle Époque.
À Nancy, il diversifie les savoir-faire de ses ateliers : après le meuble, le métal, les bronzes et les luminaires, viennent enfin la céramique et le verre.
En 1901, il fonde avec Émile Gallé l'Alliance provinciale des industries d'art, communément appelée École de Nancy et en devient un des vice-présidents jusqu'à sa dissolution en 1914. Profitant d'un réseau parisien, acquis au cours de ses études et des expositions universelles, c'est par son entremise que la renommée de l'École de Nancy se fait à Paris.
Côté familial, il fonde une petite famille avec Jane Kretz (Jika) avec qui il aura un fils Jacques, futur architecte et artiste peintre.
Quittons la Villa Majorelle, pour le siège de la BNP Paribas, rue Saint-Jean à Nancy qui recèle aussi des écus de monnaie du pape. Logique pour une banque, me direz-vous ! La porte du bureau du directeur, la magnifique rampe d'escalier signée Majorelle, les vitraux, mais aussi des frises en plâtre représentent la monnaie du pape qui fait écho à l'activité banquière. Voici un exemple de ferronneries signées Majorelle, qui ressemblent à celles qui se trouvent à l'intérieur de la banque nancéienne, la rampe d'escalier "Monnaie-du-pape" exposée au musée des Arts décoratifs à Paris, où une salle complète lui est consacrée. Bien d'autres musées dans le monde accueillent ses œuvres, comme le musée de Tolède qui possède une rampe d'escalier.
La villa Bergeret, rue Linois à Nancy, recèle également des trésors de monnaie du pape : une autre rampe d'escalier en ferronnerie de Majorelle, une grille et une porte d'entrée, ainsi que des motifs de carrelage dans le hall.
Sans oublier un superbe vitrail de Gruber. Une fois encore, c'est un artisan, un patron, un imprimeur de cartes postales, Albert Bergeret, qui se fait construire une magnifique villa, rivalisant de beautés avec celles des autres notables de la ville.
Et puis admirons encore cette lampe exposée au Musée des Beaux-Arts de Nancy, qui montre la fleur cette fois plutôt que le fruit de la plante.
Monnaie fait poids, beauté fait joie. (Vous avez quatre heures).
Finissons avec la planche botanique revisitée par Florence Houvet
Article initialement publié le 11 novembre 2021