Un collectif de sept associations turques dénoncent des détournements de l’aide humanitaire et appellent les pays européens à contrôler la bonne utilisation de leurs dons. Il appelle à manifester mercredi 1er mars 2023 à Nancy afin de protester contre le manque de moyens déployés par leur Etat pour venir au secours des victimes du tremblement de terre.
Le rendez-vous est fixé à 18h30 mercredi 1er mars 2023 place Maginot à Nancy. Sept associations turques de Nancy et des environs appellent à manifester contre la politique actuelle du gouvernement turc en matière d’aides et de soutiens aux populations touchées par le séisme.
Il y a un gros scandale autour du détournement de l’aide humanitaire qui est en train d’enfler en Turquie. Plusieurs quotidiens d’information sont en train de révéler l’affaire.
Jacques Rossignol, le président de la Maison Culturelle d'Anatolie de Nurhak-Nancy
Dans un communiqué, le collectif nancéien dénonce notamment le rôle trouble joué par la Croix Rouge turque (Kizilay) dans la gestion de la crise : "Kizilay a été fondé en 1868 pour apporter de l'aide sans discrimination. Le gouvernement turc a nommé des proches de ces électeurs à la tête de KIZILAY. Celui-ci est totalement sorti de sa fonction et humilie l'Etat turc. Nous demandons la démission immédiate de ses dirigeants et aussi la démission du gouvernement turc qui est incapable de surveiller les dirigeants qu'il nomme dans les différentes institutions de l’État. Nous invitons les Etats qui apportent des aides financières au gouvernement turc de bien veiller à son utilisation réelle car ces aides viennent des contribuables comme vous et nous".
Selon le quotidien turc Cumhuriyet, Kizilay aurait vendu 2000 tentes destinées à des réfugiés à une autre association humanitaire, Ahbap, alors qu’elle aurait dû, selon ses statuts, les donner gratuitement. Dans un tweet, cette dernière a reconnu les avoir achetées. Kizilay est une association, mais elle bénéficie du soutien de l’Etat turc, et organise régulièrement des campagnes de dons dans le pays.
Un article d'un autre quotidien turc, Birgun, non traduit, a lui aussi longuement enquêté sur la Croix Rouge turque et ses dérives.
Les associations nancéiennes, dans le même communiqué fustigent le rôle réel joué par Kizilay dans les secours aux victimes du séisme : "au lieu de courir pour aider les gens qui ont souffert dans le tremblement de terre du 6 février dans notre pays, elle a commencé à courir après les rentes au lieu d’aider l’association caritative AHBAP créée par des personnalités publiques pour venir en aide au peuple".
Jacques Rossignol, le président de la Maison Culturelle d'Anatolie de Nurhak-Nancy, dénonce "un gros scandale autour du détournement de l’aide humanitaire qui est en train d’enfler en Turquie, plusieurs quotidiens d’information sont en train de révéler l’affaire".
Des critiques qui enflent avant l'élection présidentielle
Les associations culturelles turques de Nancy qui appellent à manifester se situent pour la plupart d’entre elles dans l’opposition au Président Erdogan, notamment les Alévis. Elles se joignent aux nombreuses protestations qui s’élèvent en Turquie contre la gestion de la crise par le gouvernement, et plus largement contre la corruption d’une partie de ses élites. Ces critiques se tiennent même pendant les matches de football. Ainsi, pendant le match Beşiktaş-Antalyaspor qui s’est tenu dimanche 27 février 2023, des slogans "Gouvernement, démission" ont été plusieurs fois entendus des tribunes.
Nail Aras, doctorant en sociologie à Paris, est originaire d'Antakya (Antioche en français). Il travaille actuellement dans la zone du séisme. Il fustige lui aussi la gestion de la catastrophe par les autorités turques : "ce n'est pas seulement l’effondrement de la ville auquel nous avons assisté. Nous assistons également à l'effondrement de l'une des formes les plus dépravées de régime autoritaire : celle où les populations ont échangé leurs libertés contre la sécurité. Or, il s'est avéré que c'est l'État qui mettait activement leurs vies en danger, sans parler de son incapacité à les sécuriser (...) Le régime de l'AKP a passé des décennies à essayer de saper l'emprise de l'armée sur l'organisation politique, mais il n'a pas réussi à l'appeler à l'action au moment où elle est le plus nécessaire".
Face au tollé provoqué par l’affaire Kizilay, le président Erdogan a fustigé ses opposants, les traitant de "vils et malhonnêtes". Ces critiques s’amplifient dans un contexte difficile pour le président sortant, qui sera candidat à sa succession lors des prochaines élections présidentielles du 14 mai 2023.
Stéphane de Tapia, professeur des universités au département d’études turques de Strasbourg, s’interroge sur la possibilité que ces élections se tiennent : "il est difficile de répondre, tant la Turquie n’est plus un pays démocratique… les élections prévues dans peu de temps sont matériellement impossibles dans la zone du séisme". Le Président Erdogan, cité par le Cumhuryiet, affirme pourtant que les élections se tiendront bien à la date prévue.
La communauté turque de Nancy et des environs compte plus de 10.000 personnes.