À Villerupt (Meurthe-et-Moselle), une petite ville tranquille du Pays-Haut, il y a un an, le 13 mai 2023, une fusillade a fait cinq blessés, dont trois graves. Règlements de comptes, cannabis, héroïne, cocaïne, ce jour-là dans le nord de la Lorraine, le trafic de drogue a franchi un nouveau palier.
Lorsqu’il revient au pied de l’immeuble, Pierrick Spizak, 37ans, le jeune maire (Parti communiste) de Villerupt (Meurthe-et-Moselle) se souvient du ravage de cette soirée du 13 mai. À Central Résidence, devant l’Hôtel de Ville, à moins d’une centaine de mètres du commissariat de jour, une fusillade éclate, juste à côté de la place principale, samedi soir à 18 heures. Cinq blessés, dont trois graves. Le son des balles dans la petite ville de moins de 10.000 habitants. "Et ce p…. de trafic de drogue". Un garçon de 17 ans est touché à la tête, un autre au thorax, un troisième à l’abdomen.
Les barrettes de shit, le cannabis, la cocaïne, l’héroïne. Tout y est. Le trafic a toujours existé mais aujourd’hui, il s’organise avec les frontières.
Pierrick Spizak, maire de Villerupt
Mercredi 27 mars 2024, à peine arrivé, il nous explique que tous les murs ont été repeints. "Avant ici, il y avait les tarifs des doses de cannabis, d’héroïne et de cocaïne. Maintenant, il n’y a plus rien au pied de l’immeuble. "C’était royal"", comme dit le maire. "Royal dans tous les sens".
Les petites mains
L'endroit est très actif. Il est surtout tenu par des adolescents la nuit. Ce soir-là, cette fusillade a surpris tout le monde. "Nous les premiers. Il y avait un gros point de deal mais rien n’était fait. Il y avait des histoires de vidéos, de carottes - un vol - estimé à 5.000 euros entre deux bandes dans un conflit violent. On savait mais...". Avec l'apparition de ces "fours", ces points de deal, l'environnement s'est modifié dans le quartier.
Dans le Pays-Haut, au nord de la Lorraine, cela fait des années que Pierrick Spizak sonne l’alarme. "Les barrettes de shit, le cannabis, la cocaïne, l’héroïne. Tout y est. Le trafic a toujours existé mais aujourd’hui, il s’organise avec les frontières". Il a même prévenu les services du renseignement intérieur.
Le jour de notre visite, en fin de matinée, à l’heure de l’école, un petit groupe de deux est à nouveau réuni. "Ils sont revenus". Mais les règlements de compte avec arme se banalisent de plus en plus. Même si depuis la fusillade, "on est quand même plus tranquille. Pourtant, ils essayent de reprendre le terrain. Ils ne lâchent rien". Les drogues dites dures sont arrivées ici il y a une dizaine d’années. "Avant, c'était le cannabis, moins dangereux".
La nuit on fait comme on peut.
Jérôme Delabre, SGP Police-FO
Dans une société de plus en plus violente dans cette région, le trafic fait peur. Et lorsqu’il en parle, il ne cache rien. "Une des défaillances de la mairie de Villerupt, c'est la police municipale. On n’arrive pas à recruter. On n’a pas de candidats. Zéro CV. C’est la conséquence des quatre frontières, ils partent". Les habitants, les policiers, les gendarmes. Ils semblent tous impuissants à régler cette banalisation du danger.
Le commissariat est à une vingtaine de minutes de Villerupt, à Mont-Saint-Martin, dans le département de Meurthe-et-Moselle. "L’effet triple frontière". C’est Jérôme Delabre, délégué Syndical SGP Police-FO, qui nous reçoit. Il est enquêteur à l’unité d’investigation du commissariat de Mont-Saint-Martin. On se retrouve sur le parking, au pied du commissariat. On roule doucement dans sa petite citadine grise banalisée. "La frontière est là juste après le virage et quand on doit intervenir, on est tout de suite limité car la géolocalisation ne passe pas. On n'a aucune opportunité pour enquêter à l’étranger et les trafiquants le savent. On est trop limité". Il y a de plus en plus de violence et de guerre de clans. Des règlements de compte.
En voiture, on passe devant les trafiquants. Cachés derrière leurs foulards, leurs casquettes noires. Ils nous reconnaissent. "Là, ils vous prennent, vous aussi, pour un flic. Moi, ils m’ont déjà reconnu". Ils sont là tous les après-midis et la nuit au pied des barres HLM. "Il y a un point de deal pas très loin de la mairie". Souvent ce sont des Tunisiens et des Nigérians. Il y a aussi des "locaux". "Pour la plupart, ils se servent des consommateurs. Ils s’installent chez eux. Ils installent leur trafic. Ils mettent en place un point de deal. Puis, ils repartent". La circonscription compte environ 65.000 habitants, "aujourd'hui, nous sommes à peine 90 agents, contre 114 il y a sept ans." Avec seulement trois officiers des “stups". La nuit, sur un secteur plus large, "il y a seulement deux patrouilles à Longwy et une à Villerupt".On arrive au Luxembourg. "Pour eux, c’est facile. Ils prennent la fuite en deux minutes et là, ils tournent à droite. En face, là, c'est Belgique". On repasse devant un endroit bien connu des trafiquants, sur le mur le tag : "Justice pour "Nael"", et puis les petites rues. "Comme il y a plusieurs sorties, ils repartent de l’autre côté, à droite, à gauche, tout droit ou encore à droite et plus tard retour en France". Dès que l’on arrive, la première chose que l’on voit, ce sont les stations-service. Le tabac, l’essence et les tarifs en gros. Prix du litre de diesel : 1,56 euro. Essence : 1,74. Il y a des promotions sur les alcools, sur le tabac, les parfums, les cartouches de cigarettes.
Une aggravation
Et donc tout le monde vient des quatre coins du Grand Est. "Je vous montre ?". La balade n'a rien de touristique. On arrive dans une zone commerciale et en moins de cinq minutes, on est à l’étranger. "Vous allez voir, on est juste aux trois Frontières, au bout de la rue. Après, c'est là qu’il y a le rond-point de l’Europe. Là, on bascule au Luxembourg. Là-haut en Belgique", répète Jérôme Delabre, pour bien insister. La bataille est-elle perdue ? C’est devenu dangereux ? "Surtout depuis les drogues de synthèse, la kétamine… le business des drogues dures".
Les déloger c’est maintenant presque impossible. "Avant, il y avait des règles entre les délinquants, maintenant, il n’y a plus rien", se désole Jérôme Delabre. "On se fait cracher dessus, on se fait insulter tous les jours. Alors la nuit, on fait comme on peut". Ici ce sont les points de vente les moins chers de France, 20 euros le gramme d'héroïne.
Un trafic omniprésent. Une vaste opération a été menée dans le Grand Est il y a quelques jours, mardi 26 mars. Sept personnes âgées de 22 à 38 ans ont été mises en examen. Elles ont été placées en détention provisoire à Nancy. "Ce que l'on appelle maintenant le trafic des quatre frontières".
Une filière internationale
Dans un communiqué, la Juridiction interrégionale spécialisée de Nancy (Jirs) annonce le démantèlement d'un "vaste réseau d'importation de produits stupéfiants, notamment cocaïne et cannabis sur le territoire national et en Espagne, Belgique et Pays-Bas". L'enquête a permis "d'identifier une vaste structure criminelle d'ampleur dirigée par des malfaiteurs originaires de Nancy et de Metz".
À Villerupt, selon l’INSEE, 22 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. "On vit ici. On entend des choses. Par exemple, en 2022, on a retrouvé un jeune avec une balle dans la nuque dans le coffre de sa voiture. C’était le Pablo Escobar du Luxembourg", dit Pierrick Spizak. Depuis, l’enquête n’avance pas.