La communauté juive de Lorraine organise lundi 30 octobre 2023 un hommage aux 863 déportés juifs qui ont été internés en 1944 au camp de concentration de Thil dans le nord de la Meurthe-et-Moselle. En raison de la présence sur le même site de prisonniers russes, la mémoire de ces victimes a longtemps été oubliée.
La stèle pèse 800 kilos, et elle a été réalisée dans un impressionnant bloc de granit. Impossible de la voir avant la cérémonie. Financée par la communauté juive de Nancy, elle ouvrira un nouveau chapitre sur le site du camp de concentration de Thil, où se trouve déjà depuis 1984 une nécropole nationale, mais la présence des déportés juifs pendant la Seconde guerre mondiale y était invisible.
"Il n’y avait rien sur le site pour rappeler cette histoire importante" explique Alain Lefebvre, président du consistoire régional de Lorraine. Le camp de concentration de cette commune du Pays-Haut est bien connu des habitants : "c’est le seul camp de concentration situé en dehors du Reich allemand, il est unique en Europe" poursuit le représentant de la communauté. Il est considéré aujourd'hui par les historiens comme une annexe de celui du Struthof en Alsace annexée, où les premiers déportés sont arrivés dès 1941.
En 1943, après la destruction des sites allemands de construction des V1 et V2, ces bombes volantes qui terrorisaient l’Angleterre, les autorités nazies veulent reprendre la production sur des sites disséminés un peu partout en Europe, et notamment à Thil. La ville possède sur son territoire des mines de fer à flanc de coteau, qui pouvaient permettre l’assemblage des engins à l’abri des raids alliés.
Les nazis y déportent donc en juin 1944 plus de 800 juifs en provenance d’Auschwitz et de Dora : "c'étaient des jeunes hommes hongrois et roumains, pas plus de 35 ans, qui avaient tous une expérience dans le domaine de l’aéronautique ou de la métallurgie" raconte Alain Lefebvre qui s’appuie sur les travaux de deux historiens, Juliette Brangé et Michaël Landolt. Ces derniers ont entrepris depuis plusieurs années de dresser la liste des déportés juifs présents à Thil. Auparavant, dès mars 1944, plusieurs milliers de prisonniers russes et biélorusses sont déjà à proximité de Thil, où ils viennent travailler tous les jours en train.
C’est leur mémoire qui est honorée depuis sur le site du camp de concentration où tous les ans les autorités des pays concernés viennent célébrer la libération du camp, en présence des élus locaux. Pourquoi les déportés russes et pas les juifs ? Peut-être parce que le Pays-Haut, bastion communiste depuis un siècle, a préféré honorer en priorité depuis 1945 la mémoire des prisonniers soviétiques…
Le début d'un travail de mémoire
Le 1ᵉʳ septembre 1944, les nazis évacuent le site, et 557 juifs prennent la direction de Coblence. Selon les historiens cités par le site gouvernemental Chemins de mémoire, "l’importance réelle de la production faite sur place reste incertaine, mais elle semble mineure". Une quarantaine de déportés seraient morts pendant leur passage à Thil.
De nombreuses questions historiques se posent toujours : le four crématoire installé dans le camp a-t-il servi à brûler des corps ? "Nous savons que des bûchers en plein air ont permis de se débarrasser des dépouilles, puisqu’on en a trouvé la trace, mais concernant le four, on ne sait pas encore et les recherches se poursuivent" explique Alain Lefèbvre.
La communauté juive veut, avec la pose de la stèle, engager un travail de mémoire à destination notamment des plus jeunes : "nous espérons la construction d’un bâtiment pour les accueillir, et nous travaillons avec l’Éducation Nationale et les autorités locales pour ça. Ils y sont très favorables".
Lundi 30 octobre 2023, la stèle sera dévoilée à 11 heures en présence de Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale, d’Elie Korchia, président du Consistoire Central et de Haïm Korsia, Grand Rabbin de France. La ministre des Anciens combattants Patricia Miralles sera également présente. Des représentants des consistoires de tout le Grand Est sont aussi invités.