L'Andra veut acquérir des terrains pour le projet de site d'enfouissement des déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse. Les futures expropriations provoquent des résistances locales. Patrice Torres, son directeur, explique la finalité de ces acquisitions.
L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a lancé le 18 mars 2024 des procédures d'expropriation afin d'acquérir les terrains qui lui manquent pour la construction du futur site d'enfouissement des déchets nucléaires (Cigéo) à Bure (Meuse). L'Agence possède déjà 84% des surfaces nécessaires. La première étape consiste en une enquête parcellaire. Elle doit identifier les propriétaires pour leur faire une offre d'indemnisation.
C'est un nouveau cheval de bataille pour les opposants au projet Cigéo. Ils se mobilisent, dénonçant un nouvel accaparement des terres par l'Andra et invitent les propriétaires à engager des recours contre les expropriations. Nous avons interrogé, mardi 26 mars 2024, Patrice Torres, le directeur du Centre de Meuse Haute/Marne de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, afin de comprendre la finalité des expropriations et de recueillir son avis sur le climat d'opposition qui règne à Bure et ses environs.
Quel est l'objet de l'enquête parcellaire en cours, prélude aux futures expropriations ?
Les surfaces qui sont l'objet de la procédure d’enquête parcellaire et plus globalement de la procédure d'expropriation sont les parcelles dont nous n'avons pas encore la maîtrise, c'est-à-dire celles dont nous ne sommes pas encore propriétaires. Il nous reste un petit peu plus de 100 hectares à acquérir. Aujourd’hui, sur les 665 hectares de Cigéo, on maîtrise 84% de la surface nécessaire.
Dans le détail, on a la zone de la descenderie [plan incliné pour descendre les colis de déchets N.D.L.R] qui fait 296 hectares, la zone du puits de 212 hectares et les linéaires, les voies pour relier les sites : 46 hectares ainsi que le terminal embranché [voie ferrée N.D.L.R] de 121 hectares.
Les opposants à Cigéo dénoncent un nouvel accaparement des terres par l'Andra...
Ces surfaces ne sont absolument pas nouvelles puisque nous les avons décrites et rendues publiques dans le dossier de demande de reconnaissance d'utilité publique (DUP) déposé en 2020 et délivré en 2022. Il n’y a pas d’acquisition de surfaces nouvelles par rapport à ce qui a été déclaré. Ce sont des petites parties qui manquent pour majoritairement les liaisons entre sites : la route entre les installations de descenderie, le puits et également l'installation du terminal embranché, c'est-à-dire, les 14 km de voie ferrée privée qui sera reliée au réseau SNCF.
Vous expropriez des parcelles en surface, mais aussi les tréfonds, pourquoi ?
Pour les tréfonds [le sous-sol où seront stockés les déchets radioactifs N.D.L.R] nous avons besoin de 15 km² pour prendre en charge la totalité des déchets. Il y a des endroits où on a besoin de la pleine propriété, c'est-à-dire d'être propriétaire de la surface et du tréfonds. Par exemple, au niveau de ce qu'on appelle la zone puits, il nous faut la surface pour construire nos installations et comme c'est au-dessus de la zone de stockage évidemment, il nous faut aussi les tréfonds.
Les tréfonds sont en moyenne à moins 150 mètres sous la surface. S'il n'y a pas d'installation de surface, le propriétaire pourra conserver la pleine propriété de son terrain jusqu'à moins de 150 mètres. Il pourra continuer ses activités agricoles, sylvicoles ou autres. Nous, nous aurons la propriété à partir de moins 150 mètres jusqu’au centre de la terre.
Des doutes ont été émis concernant la nécessité pour l'Andra d'acquérir les parcelles visées. Que répondez-vous ?
Tout est public et c'est encore en ligne sur notre site et celui de la préfecture depuis 2020, dès que nous avons déposé la demande de reconnaissance d'utilité publique. On y trouve une pièce qui décrit exactement, avec des cartes à l'appui, avec descriptif détaillé, chacun des équipements qui composent les installations de Cigéo. C'est d'ailleurs sur cette base-là que la reconnaissance d'utilité publique a pu être délivrée. Donc, j’insiste encore une fois, il n’y a pas d'ambiguïté sur la possibilité d’accéder au descriptif précis de chacune de ces installations.
Des propriétaires craignent le morcellement de leurs terres et des problèmes d'accès...
Dans la DUP, vous trouverez le descriptif aussi, les principes de rétablissement pour que les utilisateurs de ces terrains, qu’ils soient agriculteurs ou autres, sachent comment ils pourront rejoindre leurs parcelles ou pas. Cela découle de la concertation avec les principaux acteurs du territoire lancée dès 2015, avec une étape importante de concertation en 2018. Il s'agit de savoir à quel endroit les acteurs du territoire préfèrent un ouvrage d'art, c'est-à-dire un pont ou un tunnel ou un passage à niveau et sur quelle capacité en fonction des engins agricoles.
On va continuer à échanger avec les agriculteurs et les ayants droit. Si certains considèrent que le fait de diminuer la surface de leur parcelle ça la morcelle, je ne vais pas porter de jugement sur cette affirmation, c’est leur ressenti. On vise en effet à acquérir une partie de certaines parcelles qu'ils pouvaient exploiter, c'est l'objet de la procédure en cours. Par contre, sur l'accessibilité, il n’y a pas d'ambiguïté : aucune parcelle ne sera rendue inaccessible. Toutes bénéficieront de dispositifs d'accès.
Nous avons aussi des réserves foncières pour leur proposer, si ça les intéresse, soit de racheter des surfaces équivalentes quand ils sont propriétaires exploitants, soit s'ils n'étaient qu'exploitants et qu'ils n'ont pas la volonté ou la capacité d'acheter, de pouvoir devenir exploitant d'autres surfaces.
Les expropriations ouvrent un nouveau champ de bataille entre vous et les opposants, comment abordez-vous cette nouvelle étape ?
Il existe des gens opposés au projet, ce n'est pas nouveau. Ils vont agir. Quand c'est sur le plan réglementaire et légal, on a aucun problème avec ça. Encore une fois, ça fait partie des dispositifs d'un pays démocratique et heureusement. Après, pour le reste, c'est sûr qu'on ne peut pas apprécier que nos réunions qui sont censées transmettre de l'information soient raccourcies et ne soient pas à la hauteur de ce que le public qui vient participer attend, et qu’il ne puisse pas poser ses questions calmement. On préférerait que toutes les réunions se passent dans un climat calme et serein pour ceux qui viennent chercher des informations, plus que pour nous-mêmes.
L’enquête parcellaire permet aussi de venir chercher dans des permanences avec des membres d'une commission d’enquête des informations. Tout le monde peut nous contacter par téléphone, par mail ou en venant sur le site. Nous accueillons des dizaines de milliers de visiteurs par an, que ce soit pour des visites en surface, mais également des descentes. Cela fait partie de nos missions que d’informer sur le projet et on continuera.
L'enquête parcellaire durera jusqu'au 12 avril 2024. Elle a pour but d'identifier les trois cents propriétaires concernés afin de leur proposer une indemnisation à l'amiable. En cas de refus, chaque propriétaire pourra saisir le juge des expropriations. De leur côté, les opposants à Cigéo entendent bien utiliser tous les recours possibles et mener des actions pour freiner, sinon arrêter ce qu'ils appellent "le rouleau compresseur de l'Andra".