Les orthodoxes d'Ukraine et de Russie fêtent traditionnellement la naissance du Christ le 7 janvier, avec douze jours de retard sur notre calendrier grégorien. Mais la tendance est de plus en forte chez les Ukrainiens pour célébrer la naissance du Christ en même temps que les autres chrétiens, notamment depuis le début de la guerre. Illustration en Lorraine.
"Pour les orthodoxes, la veille de Noël est surtout une fête familiale. On reste à la maison, et on chante". Le prêtre Ilarion Keim, qui s’occupe de plusieurs paroisses en Lorraine, a été ordonné en 1983 : "je suis né et j’ai grandi à Metz dans le quartier de l’église Sainte Ségolène. En passant devant, j’étais surpris de la façon dont était célébrée la messe. Mes copains ukrainiens y participaient, je les ai questionnés et puis j’ai fait mon chemin".
Aujourd’hui, il parcourt la Lorraine, et même le Luxembourg, au rythme des célébrations et des fêtes orthodoxes. Il s’adresse aussi bien aux Serbes, aux Roumains, aux Bulgares, qu’aux Ukrainiens… et "aux Russes".
Dans la vallée de la Fensch, la paroisse orthodoxe de Nilvange compte quelques dizaines de personnes, des descendants de prisonniers ukrainiens de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi de Russes blancs arrivés après la révolution d’octobre. La fréquentation du lieu de culte varie beaucoup, "d’une dizaine de personnes à près de 80" selon le père Keim qui se considère "comme un prêtre missionnaire, j’emporte avec moi mes livres et mes objets de culte, pour célébrer la messe là où on m’invite".
Un seul Noël, deux calendriers
Ce vendredi 6 janvier 2023 au soir, il sera à Valmont près de Saint-Avold (Moselle), pour deux cérémonies "à destination de la communauté serbe, qui est de rite grec, avec une entrée dans la soirée de Noël à 20h30, et une liturgie à 22h30". Pour les membres de la paroisse de Nilvange, une messe aura lieu dimanche 8 janvier 2023 à 9h30, selon le rite byzantino-slave, "en slavon, en français et en ukrainien".
Dans la vallée de la Fensch, la communauté s’est enrichie avec l’arrivée des réfugiés depuis février 2022, même si "beaucoup sont déjà repartis" selon le prêtre, "il n’y a pratiquement plus de descendants de Russes blancs aujourd’hui dans la vallée, même s’il y a beaucoup de croix orthodoxes au cimetière d’Algrange".
Fêter Noël le 25 décembre selon le calendrier grégorien n’est pas tout à fait une nouveauté pour les croyants ukrainiens : "c’est une tendance depuis plusieurs années. D’ailleurs pendant l’existence de la République populaire ukrainienne entre 1918 et 1921, on y fêtait déjà Noël selon le calendrier grégorien… pour se démarquer des Russes, on fête aujourd’hui de plus en plus Noël le 25 décembre" affirme Ilarion Keim. Le prêtre célèbre d’ailleurs les deux dates, selon les communautés et les habitudes : "nous voulons vivre en harmonie avec les autres, donc je fais les deux".
La récente décision de l'Eglise orthodoxe autocéphale d'Ukraine "d’autoriser" les croyants à fêter Noël selon le calendrier occidental n’est pour rien dans la décision du père Keim, même s’il la comprend. En 2018, l'Eglise autocéphale est née de la volonté de ses croyants de prendre son autonomie vis à vis du patriarcat de Moscou.
D’autres croyants ukrainiens rencontrés à Nancy n’adhèrent pas forcément à ce changement : "on a l’impression qu’il y a une volonté politique derrière, même si nous soutenons notre pays, nous préférons garder la date de notre calendrier et fêter comme nous avons l'habitude de le faire" explique cette étudiante installée depuis dix ans en Lorraine.
Changement de date et de langue
Pour Antoine Nivière, professeur à l'Université de Lorraine et spécialiste de l'histoire culturelle et religieuse russe, cette décision du patriarcat autocéphale "est une décision politique, qui s'inscrit dans une démarche de distanciation avec l'Eglise orthodoxe russe. L'existence même de l'Eglise autocéphale est une décision politique. Elle veut se rapprocher de l'Europe et des Occidentaux".
L'universitaire précise qu'il s'agit pour l'heure "d'une mesure spéciale", mais qui pourrait s'installer durablement "si l'Eglise autocéphale le décide, mais il faudra du temps, des débats, avant qu'une décision soit prise. On sent qu'il y a un mouvement qui semble bien engagé en tous cas pour que les orthodoxes ukrainiens rejoignent le calendrier grégorien. D'ailleurs l'archevêque grec catholique de Lviv a rencontré les autorités autocéphales récemment pour discuter de l'opportunité de le rejoindre ensemble. La grande majorité des orthodoxes grecs, bulgares, roumains... fêtent déjà Noël le 25 décembre".
La langue utilisée dans la liturgie a aussi changé depuis la création de l'Eglise autocéphale : "auparavant en Ukraine, elle se faisait majoritairement en slavon, qui pourrait être l'équivalent de notre latin. Depuis 2018, c'est l'ukrainien qui est préféré, le slavon a été abandonné" explique le directeur du Cercle de Recherche sur les Cultures et les Littératures Européennes (CERCLE).
Au menu du Noël ce soir pour les adeptes du calendrier julien : les douze plats, "qui peuvent faire penser aux douze desserts que l’on trouve en Provence à Noël" sourit le père Keim, et la koutia, un plat fait de graines et de crème, exclusivement servi pour cette occasion.