Témoignage. Le centre "Ophtalmologie Express" soupçonné d'escroquerie, "c'étaient des journées effroyables" témoigne une ex-secrétaire médicale

Publié le Écrit par Eric Molodtzoff
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Soupçonné d'escroquerie au préjudice de la Sécurité sociale et des patients, le centre "Opthtalmologie Express" de Metz est temporairement fermé. Interviewée par une de nos équipes, une ex-secrétaire médicale témoigne de son quotidien "effroyable".

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Le centre "Ophtalmologie express" de Metz (Moselle) est fermé temporairement après une perquisition menée mardi 30 janvier 2024 dans le cadre d'une enquête judiciaire, révèle le magazine "Le Point". Dans un contexte de pénurie de spécialistes, le centre propose des rendez-vous ophtalmologiques en seulement dix jours. Actes médicaux injustifiés, voire fictifs, la justice soupçonne un réseau d'escroquerie à la Sécurité sociale. Du personnel paramédical aurait aussi pratiqué des actes médicaux sans être habilité. 

Elodie [le prénom a été changé] a travaillé quelques mois comme secrétaire médicale dans le centre messin. Son témoignage, édifiant, a été recueilli en exclusivité mardi 6 février 2024 par nos journalistes Valentin Piovesan et René Elkaim.

Pouvez-vous nous raconter votre quotidien dans ce centre ?

Ce n'était pas de tout repos. On avait une fréquence de patients vraiment phénoménale : trois à cinq toutes les cinq minutes. On les enchaînait sans pause, il fallait être à fond puis les faire partir le plus vite possible. C'était invivable. Il n'y a aucune secrétaire médicale qui est restée plus de quelques mois. Il y avait un gros turn-over.

Quelles étaient vos relations avec la direction ?

C'était vraiment du harcèlement. Quand quelque chose n'allait pas, c'étaient des hurlements, des remontrances devant les patients. C'était une pression permanente et ils n'étaient jamais contents. C'étaient des journées effroyables.

Il y a aussi le système des cotations que vous étiez obligée d'appliquer. Vous pouvez nous l'expliquer ?

La cotation se fait via la carte Vitale. On rentre dans notre logiciel des codes qui correspondent à une prestation remboursée par la Sécurité Sociale. Les moins de 50 ans avaient une cotation, les plus de 50 ans, une autre cotation. Peu importe la raison médicale pour laquelle le patient venait. On entrait les mêmes cotations de facturations pour un remboursement intégral des actes.  

Vous faisiez aussi fonction d'ophtalmologue ?

J'aimerais bien ! Mais j'étais simplement secrétaire pour accueillir les patients, entrer les cotations avec les cartes Vitale et les encaisser. Mais on nous demandait de faire bien autre chose : utiliser les appareils pour prendre la tension, prendre en photo l'intérieur des yeux, contrôler la vision périphérique. Celles qui m'ont formée, ce sont les autres secrétaires médicales. Je n'ai pas eu de formation par un ophtalmologue ou un orthoptiste.

Et vous prescriviez aussi ?

On nous a demandé de prescrire des lentilles. Normalement, on reçoit les mails des patients pour nous indiquer quels types de lentilles ils utilisent. Ensuite, on les envoie aux orthoptistes qui, eux, font la prescription. Comme ça leur faisait perdre du temps, on nous a demandés à nous, secrétaires médicales, de rédiger les ordonnances. Comme je n'étais pas habilitée à le faire, j'ai refusé. C'est très mal passé. On m'a imposé de le faire et heureusement, je n'en ai jamais rédigé. 

Le médecin était présent au centre ?

Le médecin était rarement présent, mais il était au courant, c'est sûr et certain. C'est lui qui gérait tout et qui donnait les ordres avec la responsable des centres [le réseau "Ophtalmologie express"compte dix centres en France. NDLR] 

Des patients se sont plaints, comment ça se passait ? 

On avait beaucoup de patients qui se sont plaints sur les réseaux sociaux qu'ils ne voyaient plus clair, mais on les envoyait balader. Le suivi des patients ne les intéressait pas [les responsables du centre NDLR]. On devait les envoyer directement vers la sortie.

On avait aussi des appels d'autres orthoptistes extérieurs au cabinet pour nous dire qu'ils ne comprenaient pas nos ordonnances, qu'eux ne trouvaient pas du tout les mêmes degrés de myopie pour les lunettes de leurs patients. On devait leur répondre qu'on allait les rappeler, qu'on allait voir ça. C'était tout pour l'argent, tout pour le profit. Il fallait accueillir à la chaîne le plus de patients possibles. Vous pouviez obtenir un rendez-vous en dix jours, mais la qualité n'était pas au rendez-vous...

Une enquête en cours

L'enquête est confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Reims. Elle devra établir la réalité des soupçons qui pèsent sur le centre et s'ils relèvent de la délinquance en bande organisée au préjudice de la Sécurité sociale, des patients et des salariés.

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