Pourquoi la Champagne va subir son plus grand bouleversement depuis 1927

Les prochaines années vont devenir importantes pour le monde viticole. L'AOC Champagne, l'aire de délimitation de l'appellation, va être agrandie, ce qui n'est pas arrivé depuis 1927. Des parcelles, qui valent aujourd'hui quelques milliers d'euros, vont se négocier à plus d'un million d'euros.
 

 

Au XIXème siècle, le champagne, c'est un peu tout et n'importe quoi. En Champagne-Ardenne, on produisait du champagne, mais aussi du vin rouge et du vin blanc. Les vignes étaient plantées sur environ 60.000 hectares. Les années passent, la profession se structure. En 1913, 30 millions de bouteilles de champagne étaient produites (source UMC). Mais la guerre ravage cette industrie florissante.  Les vignerons décident de se structurer, de donner une qualité au produit et entament la réalisation d'une délimitation de la zone de production du champagne. L'AOC Champagne (officiellement reconnue en 1936) est ainsi définie en 1927 : 33.105 hectares répartis sur les départements de la Marne, l'Aisne, la Seine-et-Marne, l'Aube et la Haute-Marne.
 
 

  • Pourquoi un bouleversement ?
Cette AOC date un peu. Il faut dire que depuis 1927, les paysages ont évolué, les modes de production aussi et la demande augmente chaque année. Le périmètre doit donc s'agrandir tout en respectant la qualité de production propre au monde du champagne (par exemple, il n'y a que trois cépages autorisés : pinot noir, pinot meunier et chardonnay). C'est en 2008 que la demande de réflexion autour d'une révision de l'aire de l'AOC Champagne a été faite. Mais il faut remonter à 2003 pour entendre dans le vignoble les premiers producteurs en parler. A l'époque, la demande de champagne au niveau mondial est en pleine expansion. Le champagne se porte bien, se vend bien et de nouveaux marchés se développent rapidement, comme celui de la Chine ou du Moyen-Orient.
 
 
  • Qui est concerné ?
L'Institut National de l'Origine et de la Qualité (Inao), en collaboration avec le Syndicat Général des Vignerons, ont dressé une première liste de communes concernées par cette révision en 2008. 357 communes ont ainsi été retenues, en lieu et place de 319 communes aujourd'hui. Concrètement, il s'agit d'agrandir de quelques ares à quelques hectares l'emprise des vignes sur les communes, mais aussi d'en supprimer (voir le chapitre "La guerre" plus bas).
  
  • Comment sont sélectionnés les nouvelles parcelles ?
Ces différentes communes, qui s'étendent sur les cinq départements, ont été choisies en fonction de leurs histoires viticoles. En effet, il ne s'agit pas pour l'Inao de donner des terres viticoles à des communes qui n'ont jamais élaboré de champagne ou de vin. Les experts de l'institution se sont donc basés sur l'histoire des communes et des entreprises humaines.

Le Syndicat Général des Vignerons a ainsi demandé à l'Inao de mener les expertises techniques pour valider ou non la liste des communes et des parcelles qui feront partie de cette grande révision de l'AOC. Depuis 2008, sept techniciens sillonnent donc le vignoble champenois et étudient les terres des communes proposées : il s'agit de connaître la composition exacte des sols, d'avoir une idée précise de l'ensoleillement mais aussi d'être capable de savoir si la vigne sera pleinement opérationnelle sur telle ou telle parcelle. Un travail de longue haleine qui, au moment de l'écriture de ces lignes, est achevé à 75% comme nous l'a confirmé Maxime Toubart, le président du Syndicat Général des Vignerons, joint par téléphone. Ces communes sont une proposition. Il faut donc attendre maintenant les rapports d'études définitifs. Mais le SGV a déjà bien préparé le terrain, il s'agit donc des études de sols et non d'une nouvelle sélection de communes.
 

Imaginez un peu : votre terrain, sur lequel vit tranquillement le cheval de votre oncle, va valoir, en l'espace de quelques temps, de 1.500 euros à 600.000 euros !


De quoi faire rêver quelques propriétaires. En effet, qui dit révision, dit extension. Certaines parcelles, qui sont aujourd'hui exploitées en céréales par des agriculteurs, vont demain devenir des parcelles de vigne. Une véritable manne financière car en 2018, l'hectare de vigne se négocie en moyenne au sein de l'AOC à 600.000 euros. Certains coteaux voient leur prix à l'hectare grimper à plus de 1,2 million d'euros.

Pour éviter une éventuelle spéculation et éviter que d'opportunistes hommes d'affaires mettent leur nez dans le vignoble, la
Safer, organisme qui gère le foncier agricole, a signé en 2013 une convention pour éviter toute spéculation. Il s'agit d'éviter, lors d'une vente avant l'officialisation de la révision de l'AOC Champagne, qu'une terre agricole se vende au-dessus du prix du marché. La Safer intervient donc en qualité d'autorité régulatrice.
  

  • La guerre
Malheureusement, il n'y aura pas que des gagnants dans cette révision de l'AOC Champagne. Il y a bien une extension du périmètre de production du champagne, mais aussi une diminution dans certains secteurs. Des zones, qui sont considérées comme non favorables à l'exploitation de la vigne. Deux communes ont ainsi été sélectionnées en 2008 pour sortir du périmètre : Germaine et Orbais-Labbaye dans la Marne. Contacté par téléphone, le maire d'Orbais, Henri Guinand, ne cache pas son inquiétude :

On ne peut rien contre eux. Pourtant, on a des vignes plein sud, je ne vois pas pourquoi on les déclasserait.

Des interrogations qui n'ont aujourd'hui pas encore de réponse. Les 40 hectares de vignes d'Orbais risqueraient donc de disparaître d'ici quelques années. "Ça fera quand même quelques emplois en moins", nous confie Henri Guinand.

A quelques mètres de la mairie, on trouve la parcelle de 65 ares de la maison de Champagne familiale Moussy. Pascal Moussy, vigneron, est loin de baisser les bras : "On a des avocats qui travaillent dessus, on a monté un groupe avec d'autres vignerons." En clair, il y a un risque pour cette maison de Champagne de perdre une partie de son patrimoine foncier. Pascal Moussy finit par nous dire qu'il ne se laissera pas faire et utilisera tous les recours existants si la décision est négative pour la commune d'Orbais-Labbaye.
Mais ces vignerons peuvent se rassurer, l'Inao et le SGV prévoit d'autoriser l'exploitation des vignobles concernés par leur sortie de l'AOC Champagne pendant encore 30 ans.
 
 

On peut très bien faire avorter le projet si toutes nos demandes ne sont pas entendues.

Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons
 

  • Quand la décision finale interviendra ?
Il va encore falloir s'armer de patience. Le Syndicat Général des Vignerons, qui a lancé ce vaste chantier, nous a indiqué au téléphone que rien ne devrait bouger avant 2023. Mais les experts de l'Inao ont réalisé 75% du travail d'étude et commencent déjà à rendre leurs rapports. Certaines communes, nouvelles entrantes, sont déjà confirmées après les diagnostics techniques, comme nous l'a confié un vigneron haut-marnais, qui souhaite rester anonyme :

On va plus que doubler notre surface : c'est une excellente nouvelle pour nous et pour l'emploi.

Mais là encore, il faut s'armer de patience avant de sabrer le champagne. Le SGV, qui a demandé cette extension, est aussi l'entité qui validera définitivement l'extension. Son président, Maxime Toubart le dit : "On peut très bien faire avorter le projet si toutes nos demandes ne sont pas entendues". Le président des vignerons attend de son coté des garanties au niveau européen concernant les droits de plantation. C'est un dossier épineux pour le monde viticole : l'Europe souhaite libéraliser la plantation des vignes alors que la profession souhaite que ce soit encadré, afin de garantir la pérennité de la production mais aussi de la qualité des produits vinicoles. Si la Commission Européenne ne reconnaît pas l'exception française en matière de droit de plantation, il n'y aura aucune extension de l'AOC Champagne, nous explique Maxime Toubart.
 

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