La sécurité, un enjeu de campagne qui concerne également les lycées, un des domaines de compétence de la Région. Entre développement de la vidéosurveillance et embauche de personnel, le sujet fait apparaitre de sérieuses différences entre droite et gauche.
C'est en février 2021 à Nancy. Des individus cagoulés pénétrent dans l’enceinte du lycée professionnel Jean Prouvé. Après avoir frappé un élève, ils tirent deux coups de feu avec une arme de poing chargée avec des balles à blanc. Le président de la région Grand Est, Jean Rottner, se rend sur place pour rencontrer le personnel et des élèves sous le choc.
Il promet immédiatement des moyens pour revoir le système de vidéosurveillance. Installé à l’entrée, il n'a pas enregistré la scène, ni l’intrusion des personnes extérieures. La défaillance a pourtant été signalée à plusieurs reprises depuis trois ans par l’établissement public aux services de la Région en charge des lycées. "S’il y a des caméras supplémentaires à mettre en place, nous les mettrons" déclare alors Jean Rottner en promettant également un poste de surveillant supplémentaire.
Des caméras, il y en a mais ça ne sert à rien
Si les lycées sont une compétence de la région, la sécurité n'en est pas une. Mais dans cette campagne, des candidats n'hésitent pas à brouiller les pistes. C'est en tout cas sur ce mélange des genres que surfe par exemple Laurent Jacobelli, la tête de liste du Rassemblement national. La sécurité est un argument clé de sa campagne. Dans ce registre, il est passé maître. En tant que porte-parole du mouvement lepeniste, il a bien révisé ses gammes et les récite à merveille : "Le conseil régional n’a pas la compétence seule de vidéosurveillance la sécurité mais il peut agir dans les transports, dans les lycées, et aider financièrement les communes." Tout est possible pour Laurent Jacobelli qui souhaite mettre en place des brigades de sécurité non armées autour des lycées, comme dans les gares, dont le dispositif de vidéosurveillance serait renforcé.
"Des caméras, il y en a mais ça ne sert à rien" affirme Bruno Henry, secrétaire académique du Snes-FSU, "on enregistre, mais personne ne regarde les écrans. Ce dont on a besoin, dans et aux abords des lycées, ce sont des personnes. On peut avoir avoir besoin de policiers ou de vigiles mais ponctuellement, pas tous les jours. On a besoin d'agents d'accueil et de personnels de vie scolaire, pour assurer une vraie présence. Pas de caméras. Il y a une illusion de la technologie."
Les caméras contribuent à la sécurisation des établissements mais on ne peut pas s'en contenter
Une affirmation nuancée par Isabelle Begin-Mansuy, secrétaire académique du SNPDEN-UNSA Nancy-Metz, le Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale, "c'est une bonne mesure, même essentielle, dans et au dehors de l'établissement. Les caméras contribuent à la sécurisation des établissements mais on ne peut pas s'en contenter. L'essentiel pour nous, c'est le contrôle d'accès. On ne veut pas faire des établissements des prisons. Pour nous, tout repose sur une combinaison de facteurs : un contrôle d'accès à l'entrée de l'établissement, des systèmes d'alerte et la vidéosurveillance."
Isabelle Begin-Mansuy confirme que, depuis quelques mois, ce projet fait état de réunions sur cette thématique avec la Région où son syndicat propose également "la présence de personnel. Pour nous, les caméras ne sont pas la seule solution. Ce n'est pas parce qu'il y a des images qu'elles sont toujours exploitables surtout en cas d'intrusion. Lorsque quelqu'un porte un masque une cagoule ou un bonnet, c'est très difficile de l'identifier. Les images, souvent, on ne revient dessus que s'il y a eu un problème."
Un usage rétroactif et même actif qui pose problème pour Bruno Henry : "un agent d'accueil ne peut regarder en permanence un écran, il a d'autres tâches à assurer. En Rhône Alpes, Laurent Wauquiez voulait mettre des portiques. On sait que ça ne sert à rien et que ça empêche de gérer les flux d'élèves. Attention, je ne souhaite pas que n'importe qui, n'importe quand puisse entrer dans un établissement scolaire mais encore une fois, la technologie ne remplace pas la présence des personnels pour gérer et contrôler."
Davantage de caméras dans les lycée, l'actuel président, Jean Rottner y travaillait déjà. Sur le site de la région, on peut lire : "afin de garantir la sécurité des élèves, l’ensemble des lycées publics du Grand Est sera progressivement équipé de caméras de vidéoprotection. Une équipe d’experts travaille dès à présent à la réalisation de ce projet d’envergure qui comporte plusieurs phasages. Les conclusions préalables au lancement des consultations publiques seront livrées en juin 2021 pour un déploiement en 2022." C'est donc, tout naturellement, une promesse de campagne pour le candidat Rottner. "La sécurisation des lycées, des gares et des TER par la vidéoprotection, notamment" est également une proposition de la part de Brigitte Klinkert (Divers centre). "Tous les lycées ne sont pas équipés" confirme Isabelle Begin-Mansuy, "on a bien conscience qu'il y a des priorités mais on constate aujourd'hui que les établissements en zone rurale sont moins équipés."
"Ce n'est pas le travail du Conseil régional d'embaucher des policiers ou des vigiles pour assurer la sécurité autour des établissements" explique Bruno Henry, "je préférerais qu'on nous parle du nombre d'agents à affecter dans les lycées en remplacement de ceux qui sont parfois absents. Dans certains lycées, pour l'accueil et l'entretien, il y a un surplus de travail et en même temps de sérieuses difficultés pour faire face à la sécurité sanitaire. Celle-là, on n'en parle pas."
A gauche, la pose de caméras ne suscite guère d'enthousiasme. Aurélie Filippetti (LFI, Génération.s, Place publique) mise sur l'équivalent d'emplois jeunes pour prévenir et renforcer la sécurité. Et dans le programme d'Eliane Romani (EELV, Génération écologie, PCF, PS), pas un mot sur le sujet. On préfère parler des lycées comme "des vrais lieux de vie respectueux de l’environnement et résilients au changement climatique."
Un coup de peinture plutôt que des caméras
"Que des partis politiques souhaitent instrumentaliser les questions de sécurité dans les lycées, ce n'est pas nouveau mais c'est totalement éloigné des conditions de travail dans les lycées" ajoute Bruno Henry, "dans mon lycée, je préfèrerais que la région nous change les fenêtres ou les stores de certaines salles de classe. Investir dans la rénovation, ne serait-ce qu'un coup de peinture, ça ne ferait pas de mal au regard de l'état de certains bâtiments."
Les caméras dans les lycées, leur efficacité reste à démontrer. Dans une étude parue en 2007, l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile de France (IAURIF), avait réalisé un comparatif en Ile de France. Conclusion : placées à l'entrée des lycées, les caméras n'empêchent pas les intrusions. Placées à l'intérieur, elles n'empêchent pas les vols ni le trafic de stupéfiants.
Côté chiffrage, difficile d'avancer un montant. Mais une chose est déjà certaine, les industriels se la sécurité peuvent déjà se frotter les mains. Entre les installations, les dégradations, les SAV, le marché s'annonce juteux. Et pas seulement dans le Grand Est où la Région a en charge 353 lycées. Ces propositions sont reprises dans la plupart des régions lors de cette campagne des régionales où parfois, certains candidats souhaitent même déployer des caméras dans les cars scolaires pour lutter contre le harcèlement et le racket. C'est le cas en Auvergne-Rhône-Alpes avec Laurent Wauquiez.