Ils sont nés sous l'occupation de l'Allemagne par les Alliés, de mères allemandes et de pères français. Retirés à leur mère, certains ont été adoptés en France. Voici l'histoire de Marie et de Claudine sur les traces de leurs origines et de leur passé.
Mai 1945, capitulation de l'Allemagne nazie. Les forces alliées se répartissent et occupent l'Allemagne. Le premier été de cette période d'occupation est beau et chaud. Neuf mois plus tard, commencent à naître des enfants, désirés ou non, de mères allemandes et de pères venus des nations alliées. La France, qui manque cruellement d'enfants décide d'un plan pour eux.
Voici trois bonnes raisons de regarder le documentaire Enfants d'Etat de Anja Unger et Renaud Lavergne.
1. Pour rendre leur histoire à ces enfants
Il aura fallu l'ouverture totale des Archives nationales datant de la Seconde Guerre mondiale pour faire resurgir des secrets jusqu'alors bien gardés. Des secrets difficiles à comprendre sans le décryptage d'historiens pour nous éclairer. Yves Denéchère, historien spécialiste de l'adoption internationale replace cet épisode dans son contexte. "Est-ce que la France a les moyens de laisser à l'étranger des enfants conçus de pères français et de mères étrangères ?"
Clairement, au vu des pertes démographiques, et des enjeux de reconstruction la réponse est non. Et au mépris des sentiments des uns et des droits des autres, l'Etat dans sa vision populationniste va imaginer un moyen de "capter" ces enfants considérés comme français. L'enfant vu comme une ressource nationale.
Fernand Rumpler, retraité, s'est lancé à corps perdu depuis quinze ans, dans les recherches de l'origine de ces enfants adoptés. Bilingue, il fait l'interface entre les archives allemandes et les archives françaises et s'est penché sur 850 dossiers d'enfants allemands adoptés en France. "On a dépassé les 850 recherches et sur ces dossiers, il y en a entre 650 et 700 sur lesquels on ne trouvera jamais rien par manque d'élément." L'affaire est tellement sujette à caution que les dossiers ont parfois été détruits.
2 . Pour rendre leur dignité à ces enfants
L'histoire de Marie et celle de Claudine sont symboliques. Nées toutes deux en Allemagne pendant la période d'occupation par les forces alliées, elles ont été adoptées en France dans leur prime jeunesse. En soi, toute adoption soulève déjà une série de questionnements auprès des enfants adoptés, quand ils découvrent le paradoxe existentiel de leur filiation : leurs parents qui sont bien leurs parents tout en ne l'étant pas. Mais quand, à cela, vient s'ajouter un quasi-secret d'Etat, le questionnement devient puits sans fond.
Marie raconte : "J'ai toujours su que j'avais été adoptée, car ma mère me l'a dit très jeune. Si elle ne m'avait pas prise, j'aurais été envoyée dans les fermes, et je lui devais reconnaissance. (...) Un jour, j'ai vu des papiers de mon adoption et je me suis dit (...) il faudra que je retrouve ma mère pour savoir pourquoi elle m'avait abandonnée."
Elle va donc, avec l'aide de Fernand tenter de retrouver les documents qui viendront compléter ce qu'elle sait déjà de sa mère biologique. Elle veut mettre un terme à ses souffrances. Claudine, qui s'appelait initialement Margarethe mène aussi ses recherches et veut faire valoir ses origines. Elle veut avant tout voir sa mère. Elle explique : "J'entendais : ta cousine, qu'est-ce qu'elle ressemble à ta grand-mère ! Mais vous, vous ne ressemblez à personne. J'avais besoin de voir quelqu'un à qui je ressemblais." Les parcours sont différents, les embûches aussi.
3. Parce que le recul historique nous permet une autre approche
Un point commun relie pourtant la plupart de ces histoires : des officiers sont envoyés pour convaincre les jeunes mères d'abandonner leurs enfants. C'est parfois simple, car ces jeunes femmes, tantôt violées, subissent outrages et insultes pour avoir donné naissance à des "Französische Kinder". Elles ont du mal à nourrir leur petit et l'abandon leur apparait comme une issue de secours, aussi bien pour elles que pour eux. Il sont alors envoyés dans des pouponnières et notamment celle de Nordrach (Forêt Noire).
Là, se met en place un véritable système de "sélection" pour trier les bons candidats à l'adoption. Les enfants en bonne santé d'une part, qui deviendront le plus vite possible de bons petits français facilement assimilables. Les enfants métisses et handicapés, d'autre part, qui n'auront pas cette "chance". Un petit air d'eugénisme que la France à la fin des années cinquante a bien du mal à assumer. Une infirmière de la pouponnière se souvient : "Je me souviens d'un couple, à la peau mate, venu du Sud de la France. Ils avaient le choix entre deux fillettes, l'une blonde, l'autre brune. Ils ont choisi la blonde. Ma collègue m'a donné un coup de coude et m'a dit : c'est la race aryenne qui l'emporte à nouveau."
Les enfants inaptes à l'adoption seront rendus à l'Allemagne ou envoyés dans des orphelinats. L'urgence sera donc d'étouffer les parallèles et le scandale possible. Une dernière question incongrue et anachronique probablement : quid des pères, qui, une fois rentrés au pays, ont choisi de ne pas assumer leurs responsabilités en ne reconnaissant pas leurs enfants ?