Comme pour tous les alcools issus des vignes, le processus de fabrication du champagne implique parfois des produits d'origine animale, comme de la colle de poisson. Mais les vignerons qui ne les utilisent pas commencent- à le revendiquer. Un argument précieux pour séduire les pays anglophones.
L'expression semble presque incongrue : un "champagne vegan". Et pourtant, même si peu de gens le savent, comme pour beaucoup d'alcools, la fabrication du champagne peut parfois impliquer l'utilisation de produits d'origine animale.
Tous les champagnes ne sont donc pas forcément végans (ou vegan, selon que l'on utilise l'adjectif francisé ou son homologue anglophone).
-Lorsqu'elle a obtenu le label, la maison Marie Copinet n'a pas hésité à le mettre en avant -
Des produits d'origine animale dans le champagne
Comme pour les autres vins, c'est au cours de l'étape de la clarification que ces produits - gélatine, blanc d'œufs, des protéines de lait, ou encore de la colle de poisson - peuvent être utilisés. Une pratique tout à fait conforme au cahier des charges de l'AOC Champagne. "Pour clarifier les vins, on peut utiliser des produits d'origine animale ou non" confirme un membre du Comité Interprofessionnel du Vin Champagne (CIVC).Concrètement, après les vendanges et le pressage "on laisse reposer les vins pour les nettoyer. C'est une méthode par sédimentation. Pour la parfaire, on peut ajouter des outils de collage, qui vont entraîner les particules indésirables qui auraient pu rester après le pressage au fond de la cuve". Les vins peuvent également être clarifiés une deuxième fois, avant la mise en bouteille et après une première fermentation et une nouvelle étape de repos.
Des alternatives possibles
Mais tous les vignerons n'ont pas les mêmes méthodes pour clarifier leur vin. La Maison Copinet, par exemple, n'utilise pas ces produits. Aussi, lorsqu'en 2017, en quelques jours plusieurs clients demandent à Marie-Laure Kowal, la gérante de la marque, si ses bouteilles sont véganes, elle prend conscience que son champagne correspond à leurs critères.
- La maison Copinet annonce l'obtention de son label vegan sur Facebook -
De fils en aiguille, elle se renseigne sur les labels de végans. En avril 2018, elle obtient la certification Eve Vegan. "C'est un concours de circonstances, sur deux-trois demandes" raconte-t-elle. Aujourd'hui, elle en est convaincue, "c'est un avantage. Ça suscite un intérêt croissant, et on a des demandes qui se sont déclenchées suite à cette certification".
Un seul organisme de certification français
Ce label Eve Vegan, est le seul délivré en France. Et son histoire est encore très récente. L'organisme de certification qui le gère, Expertise Vegan Europe, n'a été fondé qu'en septembre 2016, avec le soutien de l'association Vegan France. "C'est une association qui œuvre pour le développement des alternatives véganes. C'est une sorte de chambre de l'industrie pour soutenir les innovations et les initiatives véganes" explique Hélène Modrzegiewski, directrice d'Expertise Vegan France.Car si les végans seraient de plus en plus nombreux en France, le véganisme n'en est qu'à ses débuts. "Aux Etat-unis, le marché des produits vegans est plus développé et on trouve plus facilement des options vegans dans les villes" concède Hélène Modrzegiewski.
La maison de champagne n'est pas la seule à être labelisée végane. D'autres vignerons ont eu recours à des organismes de certifications étrangers. C'est le cas de la Maison Legret, certifiée par l'Associazione Vegetariana Italiana depuis 2016, ou des champagnes Leclerc Briant, certifiés auprès de la Vegan Society, à Londres.
Le label, surtout utile à l'export
En un an et demi, près de 500 références ont été labélisées par Expertise Vegan France. En majorité… dans le domaine viticole. "Presque 60% de nos demandes sont liées aux vins et aux alcools" explique Hélène Modrzegiewski "principalement parce que le vin est un produit qui s'exporte beaucoup, et les pays qui achètent le vin français sont en avance sur le véganisme".En effet, les producteurs de champagne déjà certifiés vegan reconnaissent que le label est surtout utile à l'export. C'est d'ailleurs la raison qui a poussé la Maison Leclerc Briant à le demander auprès de la Vegan Society, il y a déjà quelques années. "Certains importateurs m'ont demandé si mon vin était vegan. Quand je leur ai dit que c'était le cas, ils m'ont dit qu'il fallait absolument que je demande la certification" raconte Frédéric Zeimett¸ directeur général de la marque.
Ce sont principalement ses revendeurs aux Etats-Unis, en Allemagne et dans les pays scandinaves qui mettent le label vegan, bien imprimé sur les étiquettes, en avant. En France, "je ne le mets pas sur le site, car je le considère comme très accessoire" reconnait Frédéric Zeimett. Mais le label lui permet tout de même d'entamer la conversation avec les clients qui le remarque.
Quand j'annonce que le champagne est vegan, ils me demandent "comment est-ce qu'un vin peut ne pas être vegan ?" Et ça me permet d'expliquer comment je fabrique mon vin, de parler de biodynamie
Frédéric Zeimmett - Vigneron labelisé vegan
Frédéric Zeimett n'utilise pas d'intrants d'origine animale, car il ne clarifie pas son vin. "Je le fait juste décanter beaucoup plus longtemps. Les intrants ne servent qu'à accélérer ce processus, moi, je prends le temps". Il l'affirme d'ailleurs "la plupart des collègues qui travaillent en biodynamie sont aussi végans, même s'ils ne le disent pas".
Tous les champagnes végans ne sont pas connus
Tous les champagnes végans sont loin d'être certifiés. Le site anglophone Barnivore recense les alcools végans, en se basant sur les questions envoyées par ses internautes aux différents fabricants et sur leurs réponses. On y apprend ainsi que certaines bouteilles de Taittinger, Moet , ou de la Veuve Clicquot seraient véganes. Une liste très empirique donc, mise à jour de façon aléatoire, au grès des prises de contacts des internautes, et des réponses des maisons de champagne.Le champagne 100% végan ?
En revanche, ces informations ne concernent pas l'ensemble du processus de fabrication du champagne, du travail de la vigne jusqu'à la vente. Les labels ne couvrent d'ailleurs pas forcément ces aspects de la production. Ce n'est par exemple pas le cas du label de la Vegan Society.
Dans la Maison Legret, on a fait le choix d'une production entièrement véganne. La vigneronne, Sandrine Legret, est elle-même véganne depuis 2016. "Pour vous dire, une anecdote : j'ai un lapin de compagnie, je suis incapable de le mettre dans une cage" explique-t-elle. Alors forcément, ses convictions se retrouvent dans son travail.
- Sur Instagram, la maison Legret n'hésite pas à mettre en avant son label vegan -
La maison de champagne ne clarifiait déjà pas son vin, lui préférant une simple filtration. Mais 2016, les étiquettes ne contiennent plus de produits d'origine animale. Le papier ne contient pas de caséine ou d'albumine, l'encre est végétale, et le bouchon est aggloméré avec une colle végétale.
C'est une question de souffrance que je ne tolère pas. On travaille en bio végétalien, on n'utilise que des produits bios et des produits végétaux et minéraux. On travaille en biodynamie mais uniquement ce qui est végétal.
Sandrine Legret, vigneronne véganne
Pourtant, lorsque la vigneronne fait ces investissements, elle ne pense pas immédiatement à demander un label. Pour elle aussi, c'est le hasard qui l'amène à contacter un organisme de certification. C'est une stagiaire italienne qui leur dit un jour "vous avez ce style de vie, vos champagnes le respectent, et vous le gardez pour vous. Il faut le mettre en avant!".
A l'époque, l'organisme français n'existait pas encore, d'où le choix de se tourner vers l'association italienne. Une preuve supplémentaire, que les mentalités commencent à changer.