Trois gilets jaunes étaient jugés en comparution immédiate ce jeudi devant le tribunal de grande instance de Strasbourg. Ils avaient été interpellés samedi 12 janvier lors de la manifestation à Strasbourg. La veille, un autre gilet jaune avait écopé de 6 mois de prison ferme.
De mémoire d'huissier, "il y avait vraiment du monde" ce jeudi dans la salle 101 au premier étage du tribunal de grande instance de Strasbourg. Sur les six dossiers étudiés, trois concernaient des prévenus interpellés lors de la manifestation des gilets jaunes du 12 janvier à Strasbourg. Leurs familles, leurs amis et leurs soutiens occupaient trois bancs; les deux restant étaient, quant à eux, occupés par une école d'avocats.
Momo le légionnaire
"Qu'est-ce que je faisais samedi ? Je gilet-jaunais monsieur le Président!"
Mohamed B. est le premier à comparaitre. Il a été interpellé samedi avec dans son sac à dos, quatre canettes de bière entourées de rubans adhésifs, assortis d'un pétard pour une éventuelle mise à feu, un cocktail Molotov en quelque sorte.Deux policiers l'encadrent derrière la vitrine des prévenus. Crâne rasé, l'homme, 46 ans, n'est pas très grand, plutôt trapu. Le président du tribunal rappelle son parcours: un service militaire dans la marine, un engagement dans la Légion étrangère ( "Momo" devient son nom de guerre), puis un peu plus tard chez les pompiers. Souffrant d'un problème à la hanche, il vit aujourd'hui avec 800 euros par mois chez son frère à Haguenau... ou parfois en forêt. Momo a un autre problème: "Je suis alcoolique, je le dis : 20 cures, 5 comas éthyliques et un arrêt cardiaque... je bois jusqu'à dormir".
Ce samedi, lors de son interpellation, Momo avait 1,15 gramme d'alcool dans le sang... "de la vodka au petit-déjeuner", reconnaît-il. "Que faisiez-vous avec ces bières dans votre sac?" interroge le président. Momo s'explique. Gilet jaune de la première heure, il avait, samedi, retrouvé ses camarades du QG de Brumath. Plein d'aplomb, il répond: "J'ai posé mon sac vide. Je suis allé repérer l'itinéraire et quand je suis revenu, j'ai bien senti que mon sac faisait bling-bling mais je ne l'ai pas ouvert. Je pensais que c'était les copains qui m'avaient fait un cadeau. Ils savent que j'aime boire."
"Si c'était vraiment vos copains, connaissant votre problème, ils n'auraient jamais dû vous offrir de l'alcool Monsieur B!", s'exclame la procureure de la République. Son avocat enfonce le clou un peu plus tard, lui suggérant de mieux choisir ses amis. Maître Muller explique néanmoins que son client est "bourré à longueur de journée", que "quelqu'un ait pu glisser des canettes à son insu est une explication, pas une excuse". Il note qu'il n'y a pas eu d'empreintes recherchées sur les canettes et qu'en conséquence, sa responsabilité pénale n'est pas prouvée.
Le tribunal le relaxe au bénéfice du doute. Faute de certitude à 100%, Momo ressort libre et lâche, bravache, un dernier mot à l'assemblée : "gilet jaune!" Le parquet a fait appel.
Patrick A.
"Si je l'avais fait, j'aurais dit la vérité"
Ce Mulhousien s'avance, tête baissée dans le box des prévenus. Sa mère est dans la salle. Grand, un collier de barbe et une fine moustache, le trentenaire n'est pas très à l'aise. Sa voix est faible. D'entrée de jeu, il bredouille quelques excuses: "Je suis désolé de tout ça, je regrette." Le président du tribunal rappelle en préambule que le 8 décembre 2018, le prévenu était monté à Paris pour participer au grand rassemblement des gilets jaunes. Porteur de fumigènes, il avait fait l'objet d'un contrôle et d'un rappel à la loi.
Patrick A. a été interpellé samedi place Kléber. Quelques minutes auparavant, il aurait été aperçu vers la rue du 22 novembre par deux policiers de la BAC (brigade anticriminalité) en train de jeter des pierres en direction des forces de l'ordre. Lui nie : "j'ai toujours assumé mes actes. Si je l'avais fait, j'aurais dit la vérité. Honnêtement, j'ai pas tiré." Et d'ajouter : "je travaille, je paie des impôts, je ne suis pas là pour casser. Ils ont dû confondre avec quelqu'un d'autre."
La procureure de la République, elle, a l'intime conviction qu'il est coupable, sans doute, "pris dans l'ambiance". Elle se refuse par ailleurs à mettre en doute la parole de deux policiers. Maître Muschel, l'avocat de la défense, justifie la position de son client: "c'est un gilet jaune pacifique. Il est venu à Strasbourg pour manifester, pas pour en découdre." Il rappelle que Patrick A. est aujourd'hui chauffeur livreur, qu'il s'occupe de sa mère, malade du coeur, à laquelle il verse 200 à 300 euros chaque mois. A l'évocation de sa maman, le prévenu essuie furtivement quelques larmes.
Le tribunal prononce sa relaxe, là aussi au bénéfice du doute. Les éléments ne sont pas assez probants. Patrick A. quitte la salle en murmurant "merci, au revoir, bonne soirée." Le parquet a fait appel.
Laurent*
"Je ne suis pas violent, je suis calme et réfléchi"
Ce Strasbourgeois de 34 ans, fonctionnaire à l'Eurométropole et père de deux enfants comparait libre. Samedi 12 janvier, il participe à la manifestation des gilets jaunes. A 17 heures, il est vu par un policier de la BRI en train de lancer en cloche un pavé de 1, 376 kg sur un groupe de de la BAC en pleine interpellation. Au moment où le pavé quitte sa main, un bus passe, le pavé atterit de l'autre côté de la rue, ne touchant heureusement personne. Steve E. ramasse le pavé et va s'asseoir dans un bar voisin où il est interpellé.Les neuf policiers, choqués, se sont portés parties civiles. De taille moyenne, faisant face au tribunal en jeans et en baskets, Laurent* parle très calmement. Il raconte que c'était "sa première manifestation des gilets jaunes. Je partage leurs revendications et je voulais voir à quoi cela ressemblait de près. J'ai été choqué de voir des gens se faire gazer, j'étais mal à l'aise. C'était un trop plein d'émotion, je regrette mon geste. je n'avais pas l'intention de tuer ou de blesser."
"Avez-vous conscience de la gravité de votre geste? tonne le ministère public, votre comportement est honteux. Vous auriez pu mal gérer votre panier à trois points et tuer un policier! Et vous en connaissez le prix? C'est 30 ans! C'est la chance qui vous sauve..." La procureur s'étonne: "pourquoi avez-vous ramassé ce pavé?!" La réponse du prévenu est plutôt évasive. Colère du ministère public: "vous l'avez ramassé pour en faire votre trophée!" Excédée, la procureur requiert 6 mois d'emprisonnement avec aménagement de peine. Ce sera 8 mois de prison avec aménagement de peine.
*prénom modifié