Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l'enfance, dénonce mercredi 26 juin des "menaces physiques" sur des jeunes filles en foyer à Obernai (Bas-Rhin). Il en veut pour preuve une vidéo tournée dans l'établissement. L'association dément. Plusieurs plaintes ont été déposées.
Les images sont difficiles à regarder et à écouter. On y voit un encadrant qui semble avoir un violent échange physique avec des filles placées en foyer dont il a la charge. Les faits se seraient déroulés dans la nuit du 11 au 12 juin 2019 au foyer SOS Village d'enfants Alsace de Obernai (Bas-Rhin). Ils impliqueraient cinq adolescentes de 12 à 15 ans. La vidéo a été envoyée à Lyes Louffok, qui l'a alors diffusée sur son compte Twitter (voir ci-dessous), tôt ce mercredi 26 juin 2019.
Lyes Louffok en a profité pour interpeller Frédéric Bierry, le président du département du Bas-Rhin, en charge de la structure. Membre du Conseil national de la protection de l'enfance, Lyes Louffok est lui-même un ex-enfant placé et a écrit Dans l'enfer des foyers. Il exige de Frédéric Bierry une réponse immédiate et appropriée, sous la forme d'une enquête administrative.
Présente sur les lieux, la personne qui a tourné la vidéo est une camarade des deux filles qu'on aperçoit à l'écran. Elle souhaite demeurer discrète et ne veut pas parler à la presse.
[#EnfantsPlacés]
— Lyes Louffok (@LyesLouffok) 26 juin 2019
Vous le savez, je reçois toutes les semaines de nombreux messages d’enfants placés victimes de violences en institutions.
Aujourd’hui c’est une vidéo.
Je suis en colère.
La violence que subissent ces enfants dure depuis bien trop longtemps. ⤵️ pic.twitter.com/QWqWoAfvSr
"Plusieurs familles ont sollicité la justice"
Lyes Louffok explique avoir "reçu cette vidéo ce matin, très tôt. On m'a expliqué que le commissariat [il s'agit en fait de la gendarmerie; ndlr] avait refusé les plaintes des familles, que c'était une violence régulière. Si c'était un acte isolé, je n'aurais pas fait ça... Mais plusieurs familles ont sollicité la justice par leur dépôt de plainte."
"Toutes les doléances ont été prises en compte"
Pourtant, la brigade de gendarmerie de Obernai confirme plusieurs dépôts de plaintes. Une source de la gendarmerie affirme : "Le parquet de Saverne a diligenté une enquête. Des vidéos ont été recueillies et des auditions vont être menées."
"On est au courant, c'est une vidéo détournée"
L'association SOS Village d'enfants Alsace à Obernai dément toute maltraitance : "On est au courant, c'est une vidéo détournée." On nous précise que l'affaire est actuellement gérée avec le département. Nos questions supplémentaires n'obtiennent pas de réponse, mais on nous certifie qu'il n'y a "jamais eu de maltraitance d'enfants ici. Ce sont des situations de familles compliquées..."
"On n'a pas attendu la diffusion de la vidéo pour enquêter"
Barbara Cligny, directrice adjointe de la mission enfance et famille du département du Bas-Rhin, dit avoir été rapidement informée de la situation par le directeur du foyer, dès le jour des faits, et par l'Éducation nationale.
Une élève aurait en effet signalé "avoir été tapée et bousculée". Barbara Cligny rapporte sa version des faits : dans la nuit du 11 au 12 juin 2019, cinq jeunes filles ont commencé à "fuguer et dégrader les lieux". "Au matin, l'éducateur a cherché à les maîtriser. C'était une maîtrise un peu musclée, pas une violence à proprement parler, se défend la responsable départementale. Si vous regardez bien, il tire la jeune fille par la capuche, et non par ses cheveux. La violence doit toujours être prohibée, chez les adultes comme les enfants."
"La violence doit toujours être prohibée, chez les adultes comme les enfants."
Barbara Cligny, directrice adjointe de la mission enfance et famille du département du Bas-Rhin
Deux des employés impliqués (dont celui sur la vidéo) ont été blessés et ont reçu une journée d'interruption temporaire de travail (ITT). "Les parents concernés ont été informés, et certaines des jeunes ont été réorientées dans d'autres foyers pour que la sérénité revienne. Un rendez-vous avec le directeur est prévu prochainement. On n'a pas attendu la diffusion de la vidéo pour enquêter. L'enquête a été confiée aux gendarmes à Obernai, qui vont auditionner toutes les parties et établir la vérité des faits."
"Ce n'est pas le premier département que j'interpelle"
Coïncidence : Lyes Louffok et Frédéric Bierry se trouvaient ce mercredi matin à Paris à la même réunion, présidée par le secrétaire d'État à la protection de l'enfance, Adrien Taquet. Frédéric Bierry, président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée des départements de France, y présentait la restitution d'un travail sur la protection de l'enfance. Mais Lyes Louffok n'a pas pu en profiter car Frédéric Bierry a écourté sa présence pour "raisons d'agenda".
"Il faut une enquête le plus rapidement possible"
Lyes Louffok, lanceur d'alerte sur les violences faites aux enfants placés
Le lanceur d'alerte le déplore : "J'aurais voulu échanger avec lui. Mais pour moi, il n'y a pas à tergiverser : il faut juste déclencher une enquête le plus rapidement possible. Ce n'est pas le premier président d'un département que j'interpelle : je l'ai fait avec la Seine-Saint-Denis, et en général, le délai est long..."
Frédéric Bierry, décrit par son adjointe comme "très engagé pour la protection de l'enfance, et soucieux des enfants comme des professionnels les encadrant", devrait répondre à Lyes Louffok à travers une lettre dans les prochains jours. C'est du moins ce que nous a affirmé le service de communication du département.
La démarche de Lyes Louffok a suscité de nombreuses réactions, notamment celle de la députée Perrine Goulet (LREM). Ancienne enfant placée, elle appelle à "agir contre les éducateurs violents" (voir tweet ci-dessous).
Ce genre de comportement non traité jette le discrédit sur toute une profession qui fait consciencieusement son travail.
— Perrine Goulet (@perrinegoulet) 26 juin 2019
Il faut agir contre ces éducateurs violents.
Bravo aux jeunes de leur courage pour cette dénonciation. https://t.co/kjhkrVSu5M
Membre de la fédération SOS Kinderdorf International, l'association mise en cause a été fondée en 1960 et gère 42 enfants. La structure indique sur son site Internet que leur répartition se fait dans huit maisons (toutes voisines, d'où le terme de "village"), avec à la tête de chaque maison un éducateur ou une éducatrice référent(e). D'autres éducateurs et éducatrices interviennent auprès de ces enfants, qui sont 234 à avoir bénéficié de cette association depuis sa création. C'est l'aide sociale à l'enfance des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin qui place les enfants dans ce foyer.