À 86 ans, Gisèle était porte-drapeau depuis 33 ans à Bertrimoutier dans les Vosges. Ce dimanche 24 avril 2022, à l’occasion de la Journée Nationale de la Déportation, elle a passé le relais à sa fille.
Beaucoup d’émotions ce dimanche 24 avril 2022, à Bertrimoutier dans les Vosges, pour la Journée Nationale de la Déportation.
Gisèle Bertrand, porte-drapeau depuis 33 ans, a passé le relais à sa fille Patricia Antzemberger. Bien loin d’être une page qui se tourne, ce geste à la fois maternel, symbolique et officiel, est le témoin d’une mémoire et d’une histoire qui se perpétue. Gisèle Bertrand, Mougeotte, de son nom de jeune fille, 86 ans, est le maillon de cette transmission.
J'avais six ans, c'était il y a 80 ans et j'étais contente, j'allais faire du bus.
Gisèle Bertrand
La famille Mougeotte est une famille bien connue dans les Vosges pour ses actes de résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. Vingt-six membres de la famille ont été arrêtés par les Allemands en 1942, dont Gisèle qui a alors six ans. Elle se souvient : "Vous allez rire", nous raconte-t-elle, "Le jour de l'arrestation… J'avais six ans, c'était il y a 80 ans et j'étais contente, j'allais faire du bus. J'avais toujours eu envie de faire du bus. Je n'avais pas compris ce qui était en train d'arriver. Mon père, comme d'autres membres de la famille, faisait partie de la résistance. Nous avons été conduits, maman, mon frère et moi au camp d'Écrouves, en Meurthe-et-Moselle. On ne peut pas oublier un tel lieu, entouré de barbelés. J'ai attrapé la gale du pain. J'étais malade quand ils nous ont libérées, elle et moi, après trois semaines. Elle m'a portée dans ses bras. Elle a brisé les scellés sur la porte de la maison, posés par les Allemands. Le lendemain, ils se sont présentés. Ils avaient prévu de la fusiller. Mais l'intervention de l'un d'entre eux lui a sauvé la vie".
Il a tout juste eu le temps de jeter, dans le canal, les armes cachées dans son casier. Mais ils l’ont arrêté.
Gisèle Bertrand
Papa, de son côté, avait déjà été arrêté. Il travaillait dans une entreprise de plomberie à Saint-Dié dans les Vosges. Un de ses collègues lui a crié "Attention Mougeotte, les boches arrivent". Il a tout juste eu le temps de jeter, dans le canal, les armes cachées dans son casier. Mais ils l’ont arrêté ".
Porte-drapeau de mère en fille
Je porterai ce drapeau avec honneur, fierté et respect.
Patricia Antzemberger
En ce 24 avril 2022, Gisèle passe le flambeau à Patricia Antzemmberger, sa fille.
Gisèle porte le drapeau des déportés depuis 33 ans. "Je l’ai à cœur. J’ai été internée avec 25 membres de ma famille. Chaque fois que je dépose la gerbe et que j’entends le chant patriotique, je pleure. Ce sont des cicatrices qui s’ouvrent à chaque cérémonie. Je pense à tous ceux qui ont été déportés. Je suis fière que ma fille Patricia perpétue la mémoire de son grand-père. Avec Jean, mon mari, on continuera de venir à cette cérémonie tant qu’on pourra le faire". Pour Patricia, c’est un cadeau. "Maman devient aussi ma marraine. Je porterai ce drapeau avec honneur, fierté et respect. Dans les guerres, c’est toujours le peuple qui souffre". Patricia a bien réfléchi avant de se décider. Elle mesure la responsabilité qu’elle endosse.
Le drapeau des déportés
"C'est un drapeau avec les trois couleurs de la France sur lequel est inscrit : déportés politiques et résistants, comité des sept communes, secteur de Bertrimoutier. L’autre face, c’est l’emblème des déportés avec le même numéro pour toute la France, 178 284", nous explique Paul Bertrand, mari de Gisèle.
Les quatre frères Mougeotte ne sont jamais rentrés
"Quand les déportés commençaient à rentrer après la guerre, avec maman, on allait à la gare de Saint-Dié, tous les jours, espérant voir papa rentrer. Jusqu’au jour du dernier déporté qui est rentré". Gisèle et sa mère sont restées trois semaines au Camp d’Écrouves. Son père et ses trois frères ne sont jamais rentrés. Une rue de Saint-Dié porte leur nom : la rue des quatre frères Mougeotte.
Gisèle Bertrand-Mougeotte préserve la mémoire de sa famille. Elle a à coeur de transmettre son histoire. Qui fait partie de la grande Histoire. "Nous sommes allés deux fois à Neuengamme en Allemagne pour retrouver la trace de mon père dans les camps. Nous avons retrouvé des archives. Il est passé par le four crématoire, mais il est mort dans une infirmerie. J’ai pu faire mon deuil".
Elle souhaite aussi sensibiliser les plus jeunes : "J’aimerais leur demander de bien réfléchir. Ils ne savent pas l’horreur de cette période. Ils doivent apprendre les leçons de l’Histoire et ne jamais les oublier". Désormais Patricia, sa fille, sera la gardienne de cette mémoire pour les générations futures.