RC Lens : les mises au point de Gervais Martel passées au crible

Le président du RC Lens, Gervais Martel, et son directeur financier, Gilles Deshayes, se sont longuement confiés au journal But! Lens sur les finances du club. Décryptage. 

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Pas de conférence de presse, pas d'entretien avec plusieurs médias. Gervais Martel a choisi le magazine But ! Lens pour s'exprimer au sujet des finances de son club. Pour répondre à des informations parues ces dernières semaines dans la presse sur les comptes des Sang et Or, les salaires... Le directeur financier du RC Lens, Gilles Deshayes, apporte lui aussi ses précisions dans cette interview.


Sur une éventuelle intervention financière de l'Etat azerbaïdjanais

Le 18 mars dernier, sur le site de France 3 Nord Pas-de-Calais, le sénateur UMP André Reichardt, président du groupe interparlementaire France-Caucase pour l'Azerbaïdjan, avait affirmé que l'Etat azerbaïdjanais était intervenu financièrement - à hauteur de 10 millions d'euros - pour "sauver les meubles" au RC Lens mais que selon lui, "maintenant ce n'est plus possible". Une affirmation qui a agacé Gervais Martel qui la dément...  sans vraiment complètement la démentir : "J’en ai marre de tous ces gens qui se font des films, qui ne sont pas à notre place, qui ne sont pas dans les dossiers…. J’ai encore vu un député (sic) dire que le pays avait payé. L’Azerbaïdjan n’a jamais rien payé ! Tous les fonds sont passés par le Baghlan Group. Après, s’il y a eu des interventions là-bas, c’est leur sauce. Je n’ai pas à m’en mêler."  Pour rappel, Baghlan Group, propriété d'Hafiz Mammadov, est actionnaire à 99,99% de RCL Holding, la société qui détient la SASP (Société Anonyme Sportive Professionnelle) Racing Club de Lens.


"De toute façon, on ne pourrait pas recevoir d’argent d’un pays", ajoute Gilles Deshayes, le directeur financier. "Seul l’actionnaire peut verser sur les comptes courants. Après, on a quand même le nom du pays sur le maillot. L’Etat azerbaïdjanais doit certainement se sentir concerné". Il y a six mois pourtant, le RC Lens semblait clairement s'en remettre à l'Etat azerbaïdjanais, face à l'incapacité de son actionnaire à verser les 18 millions qu'il avait promis pour cette saison. "Nous avons rencontré des représentants de l’Etat azéri à l’occasion du lancement des jeux européens qui auront lieu à Bakou en juin 2015. Ceux-ci nous ont assuré de leur souhait de nous aider", pouvait-on lire dans un communiqué du club diffusé le 27 novembre. "Je vais retourner à Bakou incessamment", avait confié Gervais Martel lors d'une entrevue avec les supporters, rapportée par L'Equipe. "L’argent que je vais aller chercher là-bas sera validé par quelqu’un de très haut (...) Les solutions viendront de l’Etat azéri et non de Mammadov".

Quelques semaines plus tard, il disait avoir enfin reçu 2.5 millions d'euros "versés par une grosse société azérie auprès de Baghlan Group". Ce qui indiquerait qu'un tiers - non actionnaire du club ou de sa holding - était quand même parvenu à injecter de l'argent. Selon La Voix du Nord, cette fameuse "société azérie" serait une off shore baptisée Point to Point, liée à un certain Anar Mammadov (sans lien de parenté avec Hafiz), un homme d'affaires proche des cercles de pouvoir azerbaïdjanais, fils de l'influent ministre des transports Ziya Mammadov. Est-ce lui qui a servi de relais entre l'Etat azerbaïdjanais, Baghlan et le RC Lens ? En tout cas, ce qui semblait certain jusqu'ici - si on se fie aux précédentes déclarations de Gervais Martel - c'est que cet argent ne venait pas d'Hafiz Mammadov, dont le Baghlan Group a perdu bon nombre d'actifs l'an dernier (dans la banque, l'extraction gazière et pétrolière, les transports...). Le site internet de ce conglomérat n'est même plus mis à jour depuis octobre 2013. "M.Mammadov, il a envoyé des virements qui ne sont jamais arrivés", ironisait en décembre dernier le président lensois au micro de Canal +.

"Si (Mammadov) n'a pas les solutions, il ne va pas nous emmener tous au cimetière", déplorait encore Gervais Martel, début mars, dans une interview à L'Equipe. "Si le club est cédé, ce sera pour 1 euro symbolique. Il doit comprendre qu'on est au bord du précipice et qu'on doit s'en sortir. Avec l'image qu'il a depuis six mois, c'est un moyen pour lui de dire : désolé je n'ai pas pu, maintenant je sors". A en croire Gervais Martel, ce n'est pas Hafiz Mammadov donc qui a déboursé les 4 millions d'euros officiellement versés au RC Lens cette saison (1,5 million en octobre et 2,5 millions en décembre). Pourtant, dans son dernier numéro, But! Lens va jusqu'à évoquer la somme de 8 millions d'euros injectée par le Baghlan Group "cette année"​, soit le double de ce que le club a communiqué jusqu'ici ! Si ce n'est pas Mammadov qui payé, qui a mis la main à la poche ? Qui est donc ce généreux et discret mécène ? Le "mystère" reste entier, même s'il est difficile de croire qu'un dirigeant d'entreprise puisse totalement ignorer qui finance véritablement son activité et s'en laver les mains. 

Notons qu'à cette date, les comptes de RCL Holding - qui a encaissé ces virements - n'ont pas encore été communiqués au greffe du tribunal de commerce de Paris. L'exercice étant clos depuis le 31 décembre 2014, ils doivent être présentés dans un délai de 6 mois à l'assemblée générale ordinaire réunissant les actionnaires (Gervais Martel et Hafiz Mammadov ou un représentant légal de Baghlan Group), qui statueront. Or cette AG n'a toujours pas eu lieu. Le 23 mars dernier, le tribunal de commerce de Paris a même accordé, à la demande de RCL Holding, un report pour sa tenue : désormais, cette assemblée générale doit être organisée avant le 31 juillet 2015 au plus tard.


Sur le salaire d'Antoine Kombouaré

Le 20 mars dernier, L'Equipe avait révélé les salaires de quelques joueurs et de l'entraîneur. Concernant Antoine Kombouaré, le quotidien sportif parlait d'un salaire mensuel de 107 416 euros net au 30 juin 2014. Selon Gervais Martel, le quotidien sportif a fait une erreur en consultant les derniers comptes du club : "Lorsqu’on reprend dans le bilan la ligne « salaire entraîneur », il faudrait préciser que c’est le salaire de tout le staff professionnel. Alors mea culpa, sur notre document, le mot entraîneur est au singulier. A l’avenir, on ajoutera un « s»."


En effet, lorsqu'on lit les derniers comptes du RC Lens (saison 2013-2014), 1 289 000 euros apparaissent bien à la ligne "Salaires entraîneur pro", ce qui fait 107 416 euros mensuels ​si on divise ce montant par 12. Mais d'après le directeur financier, Gilles Deshayes, cette somme ne concerne pas seulement la rémunération de Kombouaré mais aussi celles des cinq autres membres de son staff. Selon But! Lens, le salaire de l'entraîneur kanak se situerait autour de 60 000 euros net mensuels avec une prime de montée de 500 000 euros perçue en fin de saison dernière. Donc une rémunération totale annuelle de 1 220 000 euros... soit environ 101 700 euros net mensuels. Un montant pas si éloigné finalement de celui indiqué par L'Equipe. D'ailleurs, la saison dernière, le RC Lens a dû s'acquitter - pour les émoluments de son coach - de la fameuse taxe à 75% sur les salaires de plus de 1 million d'euros. Cet impôt - calculé sur la tranche supérieure au million - a représenté une charge supplémentaire de 57 000 euros pour les Sang et Or, comme on peut le voir ci-dessous, dans cet extrait des comptes au 30/06/2014.


Sur son salaire de président

"Moi, je veux bien donner mon salaire. Je m’en fous. J’impacte la SASP (Société anonyme sportive professionnelle) à hauteur de 12 500 euros. Voilà, c’est dit et puis c’est tout." Gervais Martel dit vouloir jouer la transparence mais... il ne dit pas explicitement qu'il ne touche pas 50 000 euros par mois, salaire qui lui a été attribué par L'Equipe. Le président lensois ne parle en effet que de la SASP, c'est-à-dire le club. Or dans une récente interview au journal Le Parisien, parue début mars, il déclarait : "Je me débrouille, je suis en partie salarié de la SASP, je ne serai pas SDF demain".  En partie salarié de la SASP donc...


Il semble en effet que Gervais Martel soit également rémunéré en sa qualité de président de RCL Holding, la société parisienne qu'il a montée avec le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov et qui détient aujourd'hui le club. L'article 12.3 des statuts de cette société indique que "la rémunération du président est fixée par décision des associés ou de l'associé unique. Il peut également percevoir le remboursement de se frais de déplacement et de représentation, sur présentation de justificatif" (voir document ci-dessous).

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Mais le montant de cette rémunération n'est pas indiqué dans les statuts. Il devrait normalement figurer dans les comptes de RCL Holding qui n'ont pas encore été publiés à ce jour.


Sur l'augmentation des charges de personnel

Le 18 février dernier, dans un article consacré aux comptes du RC Lens, nous avions relevé que les charges de personnel étaient passées, entre le 30 juin 2013 et le 30 juin 2014, de 12.9 millions d'euros à 20.3 millions, soit une hausse de 57%. Les comptes indiquaient notamment que les salaires du personnel administratif (hors charges, cotisations, impôts, 13e mois et congés payés) étaient passés de 470 000 d’euros  à presque 2 millions (+325%) sur cette même période, avec des primes elles aussi en hausse, de 13 800 euros à 406 750 euros (+2847%). Dans son interview à But! Lens, Gervais Martel explique qu'"avant (son) retour à la tête du RCL, des gens étaient payés en freelance (ils facturaient des honoraires au club). Ce n'est plus le cas aujourd'hui." Mais lorsqu'on consulte les comptes, les honoraires (code 62260020) ont eux aussi augmenté lors du dernier exercice passant de 566 412,80 euros à 1 009 035,55 euros (+78%).    


A la ligne "prestations groupe"  - au code 61100000 qui regroupe en comptabilité la sous-traitance de certains services - on note en revanche une nette diminution : 985 062,29 euros au 30 juin 2014 contre 1 707 614,22 euros (-42%) un an plus tôt. Mais la différence est inférieure à la hausse constatée dans les charges de personnel administratif. "A l'époque où le Crédit Agricole m'a viré, ils ont rebaptisé Gervais Martel Finance (GMF, l'ex-holding ou "maison-mère" du club) en Financière Sang et Or (FSO), une entité qui regroupait la nouvelle direction et le personnel administratif", poursuit Gervais Martel dans cette interview. "Comparer des liasses fiscales qui ne correspondent pas aux mêmes entités revient à faire des comparatifs entre des carottes et des petits pois". "Toutes les charges qui étaient dans cette Financière Sang et Or ont été intégrées dans la SASP", ajoute son directeur financier, Gilles Deshayes.

Le Racing Club de Lens et FSO - rachetée à l'été 2013 par Hafiz Mammadov et son Baghlan Group, via RCL Holding - ont fusionné l'an dernier avec effet rétroactif au 1er juillet 2013. Et cette fusion a bien conduit à une "internalisation" de certaines compétences jusqu'ici externalisées, ce qui a mécaniquement alourdi les charges de personnel du club. L'ex-"maison mère" rémunérait en effet plusieurs cadres administratifs travaillant pour le RC Lens. Si on se fie à l'attribution des véhicules de fonction détaillée dans les comptes de FSO au 30 juin 2013, il y avait au moins parmi eux le directeur financier (Gilles Deshayes), le secrétaire général (Didier Roudet), la responsable juridique, le responsable d'exploitation du stade, le responsable RH, le comptable, le responsable des systèmes d'information et le responsable marketing. 12 salariés étaient ainsi recensés au 30 juin 2013.

Les salaires supportés par FSO s'élevaient au total à 2,3 millions d'euros (3.2 millions avec les charges sociales). Reste à savoir si tous ces postes ont été réintégrés au sein de la SASP lors de la fusion. Car les compétences de FSO dépassaient à l'origine le seul cadre du RC Lens. Cette entité chapeautait aussi toutes les anciennes activités de Gervais Martel, notamment la société de gardiennage Agora Protection, l'hôtel-golf d'Arras et le fonds de commerce du restaurant L'Infini jouxtant le golf (ces deux derniers ayant été vendus courant 2012 à la société Marlimon Capital).


C'est d'ailleurs en raison de la fusion avec FSO que la SASP RC Lens s'est retrouvée, l'an dernier, à devoir assumer dans sa comptabilité des charges exceptionnelles liées au golf d'Arras​, aujourd'hui placé en liquidation judiciaire : une saisie de caution "emprunt Golf" d’un montant de 227 065 euros et une échéance de crédit vendeur d’une valeur de 500 000 euros, non payée par Marlimon Capital. Soit près de 730 000 euros au total. Cette fusion a donc pesé - à différents niveaux - sur les charges supportées par le club.

Vers une dilution des parts du Baghlan Group ?

Ce n'est pas Gervais Martel qui le dit dans son interview mais l'article de But! Lens qui l'annonce : les parts d'Hafiz Mammadov pourraient être "diluées" à hauteur de 30% du capital et permettre ainsi l'arrivée d'un nouvel actionnaire. Le terme "diluées" a son importance car cela signifierait que Mammadov et le Baghlan Group conserveraient l'intégralité de leurs actions mais que leur part relative dans le capital diminuerait. Or seule une augmentation de capital pourrait permettre une telle dilution.

Elle semble difficilement réalisable au niveau de RCL Holding, dont le capital - détenu à 99.99% par le Baghlan Group de Mammadov - s'élève à 12 001 000 euros. Pour faire passer ses parts à 30%,  il faudrait en effet augmenter le capital de la holding de 28 millions d'euros pour qu'il atteigne 40 millions. Difficile d'imaginer un nouvel investisseur aligner d'entrée une telle somme. L'autre option, plus crédible, serait que l'augmentation de capital se fasse au niveau de la SASP Racing Club de Lens. Mais la dilution ne concernerait pas directement les parts de Baghlan et Mammadov mais celles de RC Holding, la "société-mère" au sein de laquelle Gervais Martel est lui aussi partie prenante (il détient 0.01% du capital mais 40% des voix au conseil d'administration). RCL Holding est aujourd'hui actionnaire à 99% de la SASP dont le capital s'élève à 2 136 222 euros. Pour que cette part descende à 30%, il faudrait mathématiquement une augmentation de capital d'environ 5 millions d'euros. C'est déjà plus jouable pour un potentiel investisseur.

Seul problème et de taille : rien de tel ne peut se faire sans l'aval du Baghlan Group, donc d'Hafiz Mammadov. Certes, Gervais Martel, en tant que président de RCL Holding, est bien le représentant légal de cette société et peut à ce titre valider une augmentation de capital au sein du conseil d'administration de la SASP Racing Club de Lens. Mais les statuts de la holding le contraignent à obtenir l'accord préalable de son conseil d'administration, donc de son actionnaire azerbaïdjanais. L'article 12.5 est très clair : "le président ne pourra accomplir seul (...) toute décision stratégique pour la Société ou ses filiales". Hafiz Mammadov donnera-t-il son accord ? Rien n'est moins sûr à ce jour. 
Trois investisseurs potentiels pour le RC Lens ?
Le site Made in Lens a révélé vendredi qu'au cours du dernier conseil d'administration de l'association RC Lens, les intérêts de trois investisseurs pour le club ont été évoqués. Leur identité n'a pas été dévoilée, mais il y aurait parmi eux deux français et un étranger.

"L'intérêt de ces repreneurs est clairement lié à une renonciation d'Hafiz Mammadov à ses parts du RC Lens", explique le site qui apporte aussi un léger bémol. Selon Made in Lens, plusieurs membres du conseil d'administration se seraient montrés très sceptiques quant au réel intérêt de ces prétendus repreneurs.
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