Décédé d'un cancer du rectum en 2018 après 9 ans de combat contre la maladie, François a laissé Odile poursuivre un important combat : la reconnaissance de "préjudice d'irradiations" après avoir assisté à 13 essais nucléaires sur l'atoll de Mururoa, en Polynésie française, dans les années 1980.
Son mari François a beau être décédé en 2018, Odile Degliane continue de faire vivre son combat et sa mémoire. Il lui aura d'ailleurs fallu 10 longues années pour voir peut-être enfin aboutir leur combat judiciaire débuté en 2013.
Engagé dans la légion étrangère, le défunt militaire est parti deux fois en mission sur l'atoll de Mururoa, en 1984 et en 1991, pour des séjours de 18 mois. Là-bas, il a assisté à 13 essais nucléaires.
"C'est Mururoa qui m'a tué"
Dans sa maison à Corcy (Aisne), Odile sort d'une étagère un album photo qui retrace les deux missions de François. Elle feuillette les pages et pointe du doigt certaines photos en particulier. "Tout ça, c'est des déchets suite au nucléaire qui arrivent avec la mer, explique-t-elle. Après, dans les autres photos, c'est une plage où il n'y a pas d'eau, c'est des taches noires de produits nucléaires".
Sur place, François et ses collègues n'avaient pas le droit de se baigner. Mais les raisons restaient flous. "Lui, il savait mais une fois, il s'est baigné et il avalé la tasse, il a senti et il le savait", relate Odile. Selon elle, son mari était "heureux" d'être là-bas. Mais "les photos me font penser à tout ce qu'il a vécu et je pense toujours que s'il n'avait pas été là-bas, il serait encore là". Lui même le lui a dit : "c'est Mururoa qui m'a tué".
Son cancer a été diagnostiqué vingt ans après son dernier retour, très exactement en 2009. "Ça a commencé par du sang au niveau des selles, il a fait les examens et ça a été diagnostiqué cancéreux". Il s'est ensuite soigné mais "il y a eu récidive, il n'en a jamais guéri, on ne guérit pas de ça", regrette la veuve.
"La maladie se déclare toujours 10 à 20 ans après"
François a très rapidement fait le rapprochement avec ses années passées à Mururoa. "La maladie se déclare toujours 10 à 20 ans après, il savait, ajoute Odile. Et puis, il a eu pas mal de connaissances, de collègues à lui qui sont décédés de la même façon et qui étaient là-bas avec lui".
Elle regrette néanmoins qu'aucune procédure commune n'ait été lancé à ce moment-là. De leur côté, le combat judiciaire a commencé en 2013. "On a monté le dossier" avec preuves à l'appui pour faire reconnaître le cancer de François comme une conséquence des essais nucléaires. "Et ça a mis des années et des années, et ça dure encore parce qu'on arrive peut-être au bout".
Toutefois, le comité d'indemnisation des victimes a rejeté tous les dossiers envoyés. "Il y a eu énormément de dossiers de rejetés pour cause de négligence, pour eux, c'était de la négligence de la part des personnes", détaille-t-elle.
Il a quand même poursuivi. Au début, les dossiers étaient à Paris, de Paris ça basculait à La Rochelle. De La Rochelle, quand on téléphonait, ils n'avaient pas d'ordinateur, pas de ci, pas de ça. Il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas. Ils ont toujours reculé les choses, tout le temps.
Odile Degliane
"On lui avait fait la promesse qu'on ne lâcherait rien"
En 2017, l'avocate plaide l'inversion de la charge de la preuve et François est enfin reconnu victime. Néanmoins, il décède en 2018. Sur son lit de mort, Odile et leur avocate lui font la promesse qu'elles ne lâcheraient rien. "Et puis, il y avait suffisamment de preuves, il y avait des photos que l'avocate possède".
En décembre 2022, elles ont pu accéder à un rapport d'expertise médicale dans lequel il est mentionné que François "avait abandonné son combat pour se soigner. Et en même temps, l'état dans lequel il était, il en avait marre de supporter tout ça." Pour déterminer la somme de l'indemnité, le rapporteur public s'appuie dessus, "donc normalement, ça ne doit pas être énorme, c'est tout ce que je sais".
Ce dernier a proposé moins de 20 000 euros. Rien de mirobolant, certes, mais la promesse sera tenue pour Odile. "Je voudrais qu'il y ait quelque chose au bout, une reconnaissance parce qu'il n'y en a pas eu". Elle note qu'au moment de son décès, elle a téléphoné "pour qu'il y ait un drapeau militaire le jour de son décès" mais que personne ne s'est déplacé. C'est un autre organisme, l'Association des Vétérans des Essais Nucléaires (AVEN) qui lui a rendu hommage bien après son enterrement.
Et même si le combat est difficile, Odile tient bon à la fois pour son mari à qui elle a promis d'obtenir une reconnaissance mais aussi pour sa famille. "J'ai mes petits enfants qui me font tenir", confie-t-elle avant de conclure : "je ne pouvais pas me permettre de dire : j'en ai marre, je vais tout arrêter. Il n'aurait pas voulu, il n'aurait pas aimé non plus".
Avec Camille Di Crescenzo / FTV