Naufrage de migrants dans la Manche : "Militariser les frontières, c’est encourager les passeurs"

Selon François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste de la gouvernance des migrations à Sciences Po et à l'université de Liège, la mort de 27 migrants dans la Manche, mercredi 24 novembre, est une conséquence de la militarisation des frontières qui "encourage le business des passeurs".

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Comment réagissez-vous au drame humain dans la Manche avec la mort de 27 migrants ?

C’est une tragédie, mais malheureusement, c’est la suite et la conséquence des politiques mises en place en France et au Royaume-Uni. C’est la tragédie de la fermeture des frontières. Plus les frontières sont militarisées, plus les migrants prennent des risques et sont dépendants des passeurs. Il faut s’interroger sur le sens à mener une politique qui encourage le business des passeurs. Militariser les frontières, c’est encourager les passeurs, qui veulent que les frontières soient les plus fermées.

Pourquoi la France et le Royaume-Uni adoptent-ils une politique dure face à cette crise migratoire ?

Les Anglais sont dans une logique de fermeture depuis le Brexit. Pour les politiques, il faut donner aux électeurs l’impression que le Royaume-Uni se ferme, c’est un trophée idéologique pour affirmer leur fermeté. Depuis le Brexit, il y a eu un très fort renforcement de la sécurité dans les tunnels (où le passage par camion sous la Manche était privilégié par les migrants jusqu'en 2018), avec une surenchère. Le Royaume-Uni a aussi mis sous pression la France, avec plus de murs, plus de contrôles, et cette dernière accepte d’exécuter cette politique comme un sous-traitant.

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Tout ça a poussé les migrants à prendre plus de risques. Il y a aussi beaucoup de populisme et de simplisme, et une politique très influencée par l’extrême-droitisation du discours. On a l’impression qu’une frontière fermée est la seule solution, chacun est convaincu que si on accueille mieux ces migrants, il y en aura plus. C’est faux : ce qui fait que les gens viennent à Calais, c’est la proximité avec l’Angleterre, pas les conditions d’accueil.

Comment sortir de cette impasse ? Faut-il notamment renégocier les accords du Touquet, qui prévoient depuis 2003 le renforcement des contrôles aux frontières, dont la France assume la responsabilité ?

Il ne faut pas casser ces accords, mais les rediscuter, sinon on déplacerait le problème à Douvres (en Angleterre, où les migrants arrivent depuis la France). Le Royaume-Uni doit ouvrir des voies légales d’immigration afin de permettre à ceux qui peuvent demander l’asile de le demander.

"Il faut renégocier des couloirs d’immigrations, et mettre un terme à ces conditions d’accueil à Calais."

François Gemenne, chercheur en sciences politiques et spécialiste de la gouvernance des migrations à Sciences Po et à l'université de Liège

à France 3 Hauts-de-France

Il faut renégocier des couloirs d’immigrations, et mettre un terme à ces conditions d’accueil à Calais. On ne peut pas laisser vivre les migrants comme des chiens. Là, on leur rend la vie impossible, on lacère leurs tentes toutes les 48 heures et leur seul espoir de s’en sortir, c’est de prendre la mer.

Il faut un système plus pérenne, déterminer comment se font les traversées. Tant que le Royaume-Uni offrira des conditions d’accueil et que Calais sera à 20 kilomètres, Calais restera un point de passage (selon les secours, l’embarcation qui a péri dans la Manche serait partie de Loon-Plage, une commune proche de Dunkerque).

Comment voyez-vous la suite ?

Je crains qu’on s’enfonce dans une logique de militarisation des frontières au nom de la lutte contre les passeurs, dont la conséquence sera le renforcement de l’emprise des passeurs sur les traversées. Il y a une influence des courants de pensée de l’extrême droite sur les migrations, et je ne pense pas qu’on parviendra à changer de paradigme.

Les décisions vont suivre un instinct naturel. Mais dans l’imaginaire collectif (des migrants), une personne qui a réussi la traversée sera toujours plus forte que 27 morts. Les traversées de la Manche sont la dernière étape d’un périple où les migrants ont pris mille dangers.

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