Solitude, problématiques suicidaires, besoin de parler… Des personnes composent le numéro de SOS Amitié continuellement. De l’autre côté du combiné : des écoutants. Retour sur l’engagement de ces bénévoles – dont l’antenne lilloise a particulièrement besoin.
TW : cet article aborde la question du suicide
Au treizième étage d’un immeuble lillois, en toute confidentialité, ils décrochent le téléphone 24 heures sur 24. Dans cet appartement de quatre pièces, les bénévoles de l’association SOS Amitié se succèdent pour offrir une oreille attentive aux personnes qui les appellent.
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Baudouin Tiberghien, retraité et président de l’association à Lille, s’installe dans l’une des deux cellules d’écoute – une chambre. Dans la pièce, un bureau sur lequel trônent un ordinateur, un téléphone, un pot à crayons… Et un lit, doté de draps blancs. “Quand on vient faire des sessions de quatre heures ou de huit heures la nuit, on prend le temps de se reposer”, explique Armelle Delevallé, coordinatrice de l’antenne, elle aussi à la retraite. “On fait une pause, on dort, on boit un café… Ou on mange un biscuit, du chocolat ou un petit bonbon.” Une cuisine est d'ailleurs à disposition des bénévoles.
Une dizaine de bénévoles recherchés à Lille
Un moment de répit parfois nécessaire, car le rôle d’écoutant peut s’avérer intense sur le plan émotionnel. Ici, le téléphone sonne en continu, assure Armelle. L’équipe des 55 écoutants qui se relaient n’est pas assez nombreuse : “Il nous manque une dizaine de bénévoles”, confirme Baudouin.
En moyenne, à l'échelle nationale, le réseau SOS Amitié réussit à prendre un appel sur trois. Les gens ont l’habitude : ils rappellent en général jusqu’à tomber sur un écoutant. Sauf les plus jeunes – de plus en plus nombreux à composer le numéro depuis la crise du Covid – qui renoncent après le premier échec de leur appel.
Ce sont avant tout des personnes qui estiment qu’elles ne peuvent pas parler en dehors de SOS amitié.
Armelle Delevallécoordinatrice de l’antenne lilloise de SOS Amitié
Au bout du fil : “beaucoup de solitude”.“On a des personnes seules qui essaient de résoudre un problème, quel qu’il soit : financier, affectif, de santé, de voisinage…”, raconte Armelle. “Ce sont avant tout des personnes qui estiment qu’elles ne peuvent pas parler en dehors de SOS amitié.”
Les appels sont parfois tout ce qu’il y a de plus banal, avec un simple besoin de compagnie au réveil par exemple. “Certains appellent le matin, pour dire ‘Bonjour, je me prépare mon café !’, et la conversation dure à peine dix minutes”, sourit la bénévole. D’autres appels, surtout au début de la nuit, entre 22 heures et 3 heures du matin, sont plus difficiles.
Être confronté à des problématiques suicidaires
Les personnes qui téléphonent présentent “presque tout le temps des problématiques suicidaires”, précise Baudouin. “Elles cherchent quelque chose qui leur redonne envie de vivre.”
Le président de l’association en a bien conscience : la peur de tomber sur une personne qui tente de mettre fin à ses jours de l’autre côté du combiné peut freiner ceux qui voudraient devenir écoutants. Des situations d’urgence rares : “Des appels comme ça, on en a peu. Trois ou quatre par mois.”
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Deux profils de personnes se distinguent parmi ceux qui parlent de suicide. “Des suicidaires et des suicidants”, précise Armelle. “Les premiers envisagent de mettre fin à leur vie, parce qu’ils souffrent, ils disent qu’ils en ont marre. Les seconds sont déterminés, déjà dans le passage à l’acte – ils peuvent par exemple avoir déjà pris des médicaments.”
La parole est libératrice. Dans un entretien SOS Amitié, l’écoutant écoute beaucoup plus qu’il ne parle. Il y a un vrai besoin de s’exprimer chez les personnes qui nous appellent.
Baudouin Tiberghienprésident de l’association SOS Amitié à Lille
Le rôle des écoutants dans ces situations est d’aider la personne à exprimer les raisons de son choix. “Si on arrive à la faire parler, on arrive à empêcher que ça se produise, en tout cas à ce moment-là”, explique la responsable. Le président de l’association abonde : “La parole est libératrice. Dans un entretien SOS Amitié, l’écoutant écoute beaucoup plus qu’il ne parle. Il y a un vrai besoin de s’exprimer chez les personnes qui nous appellent.”
Il arrive d’ailleurs que la conversation n’ait de sens que pour celui qui cherche à soulager sa douleur. “Parfois, à la fin d’un entretien, je me dis que je n’ai pas compris grand-chose…”, raconte Baudouin. “Mais l’essentiel c’est que la personne ait pu se confier et qu’elle ait trouvé un peu d’apaisement.”
Armelle l’assure, cette expérience de bénévolat est “très gratifiante”. “J’aime écouter les gens, donner du temps aux autres… Quand on est dans la cellule d’écoute, on se sent utile. Quand on raccroche, on sent qu’on a aidé.”
Une formation de trois mois
Chaque année, entre trois et cinq écoutants quittent l’association, remplacés par une nouvelle promotion. De 30 à 84 ans, les profils des bénévoles sont variés : hommes, femmes, banquier, infirmière, retraités...
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Pour devenir bénévole, il faut suivre quelques étapes indispensables. Avant tout, il est nécessaire de passer un entretien individuel avec un psychologue de l’association. “Il faut être disponible, avoir suffisamment de sérénité intérieure”, explique Baudouin. “On peut avoir des candidats ou des candidates que ça intéresserait de devenir écoutant mais parfois c’est prématuré.” Armelle confirme : “Parfois, il y a des drames dans la vie qu’on a vécus et qui sont latents : un inceste ou la mort d’un enfant par exemple… Et certaines conversations téléphoniques peuvent être trop difficiles.”
Il faut être disponible, avoir suffisamment de sérénité intérieure.
Baudouin Tiberghienprésident de l’association SOS Amitié à Lille
Après avoir vérifié sa bonne santé mentale, l’aspirant bénévole suit une formation de trois mois. “Il y a trois jours complets de cours théoriques”, explique Armelle. Les thèmes abordés : le deuil, le suicide, les angoisses… “Toutes ces choses auxquelles on peut être confrontés au téléphone”, précise la responsable associative. Surtout, on apprend les piliers de SOS Amitié : l'anonymat et la confidentialité. Ainsi que l’écoute bienveillante et active. “Savoir se taire quand la personne peut parler, la solliciter quand elle n’ose pas dire les choses.”
Un engagement très prenant
Vient ensuite la pratique. Durant trois mois, le futur écoutant va assister à dix sessions de quatre heures avec un tuteur, un écoutant formateur expérimenté. À l’issue de ces 40 heures d’écoute, la personne peut prendre possession de la cellule d’écoute en toute autonomie.
Cet engagement bénévole est “très prenant”, précise Baudouin. “C’est 16 à 20 heures d’écoute par mois, dont 8 heures de nuit et l’engagement se fait pour 3 ans”, explique le président de l’association lilloise. Ce qui explique qu’environ la moitié des bénévoles soient des personnes à la retraite.
Les bénévoles de SOS Amitié reçoivent aussi du soutien. À l’issue d’un appel trop difficile, ils peuvent eux-mêmes appeler Armelle, qui coordonne l’équipe. Toutes les trois semaines, l’association organise aussi des réunions, “pour faire le point” et “voir comment chacun vit ses écoutes, qui peuvent être déstabilisantes”. Un psychologue est présent lors de ces rendez-vous.
Pour contacter SOS Amitié Lille, vous pouvez appeler le 03 20 55 77 77. Pour devenir bénévole, vous pouvez écrire à l'association par mail : sosamitiénord59@orange.fr ou via le site.