Témoignages. "Pour une justice à l'image du peuple", à Douai, une classe prépa ouverte aux boursiers afin de diversifier le métier de magistrat

Publié le Mis à jour le Écrit par Baptiste Mezerette

Chaque année, depuis 2008, une quinzaine d'élèves issus de familles modestes intègre la classe prépa talents de Douai pour passer les concours de l'Ecole nationale de la magistrature. Une alternative aux formations privées coûteuses, qui vise à renforcer la mixité sociale au sein d'une profession élitiste. Nous les avons rencontrés.

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Ils sont issus de familles modestes et ont grandi à Saint-Etienne, Bayeux, à la Réunion ou encore dans le bassin minier. Rien, ou presque, ne les prédestinait aux métiers de la magistrature, dont la formation est coûteuse et l'image élitiste. Mais grâce à la classe préparatoire talents (CPT) de Douai, la condition sociale n'est plus un frein rédhibitoire pour intégrer la profession.

Cette prépa pour l'"égalité des chances" - il en existe cinq autres de la sorte en France - a ouvert ses portes en 2008 avec l'ambition de diversifier le recrutement au concours de l'Ecole nationale de la magistrature. "On nous reproche d'être monocolore en termes de classe sociale, observe Pascal Marconville, premier avocat général à la Cour d'appel de Douai. Cette classe préparatoire doit contribuer à avoir une justice à l'image de sa population."

Chaque année, l'établissement accueille une quinzaine d'élèves de niveau master, recruté sur dossier et critères sociaux. Au-delà d'une aide financière, les élèves bénéficient d'un accompagnement personnalisé avec un tuteur magistrat, juge ou procureur. Ce dernier offre, bénévolement, un soutien méthodologique et moral à son mentoré, qui s'engage dans une année de travail intense. 

Mercredi 4 janvier, une rencontre entre les élèves et les parrains ou marraines était organisé dans la salle Merlin du tribunal judiciaire de Douai. Les 17 recrues de la promotion 2022-2023 y étaient, nous avons recueilli le témoignage de trois d'entre elles.

Théo Grincourt : "je suis le premier à avoir le bac dans ma famille"

Théo Grincourt compte bien échapper au déterminisme social. Né à Roost-Warendin, dans l'ancien bassin minier, le jeune homme de 24 ans est le "premier à avoir le bac dans sa famille". Or, dans la plupart des magistrats viennent des milieux aisés. Près de 63% d’entre eux ont des parents chefs d’entreprise, cadres de la fonction publique, ou exercent une profession libérale ou intellectuelle. Devenir juge ou procureur serait donc un pied de nez aux statistiques.

"Ce dispositif ouvre les portes de l'ascenseur social", assure ce Nordiste. Lui, c'est au fil des études qu'il a découvert l'univers de la justice. "C'est grâce à ma professeur d'histoire, qui m'a enjoint à entrer à Khâgne puis à Sciences-Po, raconte-t-il. Ensuite, j'ai fait un stage au parquet de Douai." Un déclic pour le jeune homme qui, depuis, rêve d'embrasser la profession de magistrat.

Pour cela, il compte sur la "méthodologie" et "l'aide financière" offertes par la prépa de Douai. A l'issue des épreuves écrites puis orales, il espère être admis au concours de l'ENM, qu'il a raté l'an dernier. Il faut dire que cette école est l'une des plus sélectives de la fonction publique, avec un taux de réussite entre 5% et 8% selon les années.

Théo Grincourt a déjà une vision très claire de la manière dont il souhaiterait exercer son métier de juge. "Avec un recul nécessaire et une certaine humilité, explique-t-il. Il faut savoir s'effacer derrière la robe et savoir se faire petit."

Léa Ducatez : "je n'ai pas à penser à l'argent, je suis sereine"

Comme ses autres camarades, l'année a débuté en octobre dernier pour Léa Ducatez. Cette Iséroise de 23 ans a choisi la classe préparatoire de Douai, où siège la Cour d'appel du Nord, car "elle préfère la ruralité aux grandes villes".

Avec une mère professeur de français et un père élagueur, la jeune fille "n'aurait pas eu les moyens" de suivre une formation privée, souvent chère, pour se préparer au concours de l'ENM. "Ou bien j'aurais dû travailler à côté, explique-t-elle. Là, je n'ai pas à penser à l'argent, je peux travailler sereinement."

Au-delà des avantages financiers de la prépa, Léa Ducatez vante les mérites de son fonctionnement. "Nous sommes en petit groupe et il n'y a pas de concurrence entre nous, se réjouit-elle. Puis avec le tutorat, les magistrats nous donnent des conseils de méthode et nous permettent de cerner l'esprit des concours et de la fonction."

Inès Fouron : "une justice à l'image de la société"

Originaire de Bayeux, avec une mère commerciale et un père informaticien, Inès Fouron n'avait pas de modèle d'identification dans le monde de la justice. "Je suis très différente de mes parents, j'ai un profil plus littéraire", explique-t-elle.

C'est un stage de 3ème auprès d'une avocate, à Caen, qui sera le déclencheur. L'adolescente demandera à son père de l'emmener voir des procès au tribunal de Bobigny. "Des après-midi entières", raconte-t-elle. "Devenir magistrate est devenu un rêve qui m'anime depuis dix ans maintenant."

En mai prochain, elle tentera les concours de l'ENM pour la deuxième fois de suite, après avoir réussi les écrits mais échoué aux oraux l'an dernier. "C'est l'année la plus importante de ma vie", assure la jeune normande. Redonner une chance aux recalés est aussi une des missions de cette prépa talents de Douai.

"Pour moi, c'est important d'avoir une justice qui représente le peuple et la diversité au sein de celui-ci", conclut l'étudiante.

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