Six questions sur l'incendie et la destruction du camp de migrants de Grande-Synthe

La destruction du camp de La Linière à Grande-Synthe (Nord) dans la nuit du lundi 10 au mardi 11 avril a laissé près de 1.400 réfugiés sans hébergement. Retour sur une nuit où la vie de plus d'un millier de personnes a basculé.

Pourquoi un camp à Grande-Synthe ?

Le camp de La Linière a ouvert en mars 2016 à Grande-Synthe, près de Dunkerque (Nord). Le maire écologiste de Grande-Synthe Damien Carême avait pris un arrêté déclarant conformes les conditions de sécurité du nouveau camp, et ce avant que la préfecture du Nord n'ait donné son approbation.

"Je prends mes responsabilités, je les prends depuis le début", avait à l'époque déclaré M. Carême. "C'est hallucinant ce qui s'est passé. C'est un camp dont personne ne veut".
 


Ce camp jugé exemplaire, dont la construction était contestée par l'Etat, était toutefois voué à la fermeture. L'ex-ministre de l'Intérieur Bruno Le Roux voulait son démantèlement "le plus rapidement possible". Le maire Damien Carême préfèrait, lui, un "resserrement" du nombre de migrants.

Car celui-ci avait gonflé bien au-delà de la capacité du camp. Alors que leur nombre s'était stabilisé à 700 résidents, le nombre de réfugiés à Grande-Synthe bondit après le démantèlement de la "Jungle" de Calais. Lundi encore, on comptait 1.400 migrants dans le camp.
 

Que s'est-il passé ?


C'est une rixe entre des migrants Afghans et Kurdes qui est à l'origine du sinistre. Une première bagarre a éclaté vers 18h45, au cours de laquelle six personnes ont été blessées à l'arme blanche.

Selon Emal, un migrant interrogé par l'AFP, "les Afghans étaient en train de jouer au foot. Le ballon a fini par toucher un Kurde, qui a insulté le peuple afghan. Les Afghans se sont attroupés pour attraper le gars, qui a réussi à fuir et rameuter d'autres gens. Du coup, on a dit qu'on voulait discuter et s'excuser, mais les Kurdes sont revenus avec des pistolets et des couteaux et on a vu qu'ils n'en avaient pas l'intention".

Cette bagarre s'est arrêtée vers 20h avec l'intervention des CRS, mais elle a repris de plus belle à 21h00 en impliquant cette fois 600 migrants, soit plus d'un tiers des occupants du camp. Plusieurs feux sont allumés et les pompiers interviennent. 
 


Vers 23h40, ces derniers constatent la destruction de 220 cabanons sur les 300 que compte le camp. Le camp est officiellement évacué vers 0h40, et le préfet du Nord en décrète la fermeture à 1h. À l'aube, il ne reste plus rien du camp de Grande-Synthe. Au total, 21 personnes ont été blessées.
 

 

Pourquoi de telles violences ?

Plusieurs incidents s'étaient déjà produits au camp de Grande-Synthe. En novembre dernier, un homme avait été grièvement blessé à l'arme blanche, mais c'est surtout l'arrivée de réfugiés Afghans après le démantèlement de la "Jungle" de Calais qui a provoqué des tensions dans ce camp majoritairement Kurde.

En mars, cinq personnes ont été légèrement blessées à l'arme blanche et les pompiers sont appelés mi-mars pour un départ de feu

Pour François Guennoc, le vice-président de l'Auberge des Migrants, ces tensions intercommunautaires étaient plus fortes que jamais. "Nos bénévoles nous disaient qu'il y avait des tensions depuis des semaines, liées à la surpopulation du camp. Il est probable que les passeurs kurdes aient relégué les afghans dans les cuisines. Depuis la fermeture de Calais, il n'y a pas de centre d'accueil sur la côte."

Emal avait constaté lui aussi cette différence de traitement. "Je trouvais ça normal que les Kurdes soient ici chez eux, c'était leur camp, et nous on avait Calais. Mais comme Calais n'existe plus..."
 

Que vont devenir les migrants ?

La plupart des migrants n'ont rien pu emporter et ont erré toute la journée dans les rues de Grande-Synthe. Environ 500 migrants ont passé la nuit dans l'un des trois gymnases mis à leur disposition par la mairie, mais beaucoup ont dormi dans la rue. 

De ce fait, les migrants sont inquiets et craignent pour beaucoup de se retrouver seuls ou de devoir repartir de zéro. "C'est le bazar, témoigne Patrick, un volontaire, à l'AFP. Certains ne sont pas hébergés et trainent à Auchan, en ville... Beaucoup sont inquiets de ne pas retrouver leurs proches".
 


Toute la journée,les associations "historiques" comme Salem ou l'Auberge des migrants distribuaient des repas aux migrants sinistrés tandis que Médecins du monde soignait les personnes blessées dans les rixes du lundi.

Selon Christian Salomé de l'Auberge des migrants, "plusieurs camions tournent autour de Grande-Synthe et sur la route de Calais pour trouver le millier de migrants errants et leur fournir vêtements, nourriture et couchage. On en a déjà trouvé plusieurs dizaines sur des parkings de centres commerciaux, et il y en a probablement des centaines en ville".

Un responsable de l'Afeji estime à 700 le nombre de migrants accueillis dans les gymnases, contre 400 à 500 la nuit dernière.
 

Que fait le gouvernement ?

Le camp ne sera pas reconstruit. "Il n'y aura pas de reconstruction ici" a confirmé le ministre de l'Intérieur Matthias Fekl. "Il sera impossible de remettre des cabanons à la place de ceux qui existaient auparavant" expliquait lundi soir le préfet du Nord, Michel Lalande à son arrivée sur place.

Michel Lalande a tenu avec le maire Damien Carême une conférence de presse commune, ce mardi matin. Pour le préfet, la priorité des autorités est de "mettre à l'abri les migrants qui errent sur les grands axes routiers de cette région en direction de Calais ou Paris" et de "consolider un accueil d'urgence". Il s'agit pour lui de "les rassurer et les conduire vers des lieux de répit".

Le ministre de l'Intérieur Matthias Fekl et la ministre du Logement Emmanuelle Cosse se sont rendus cet après-midi à Grande-Synthe. Dans un communiqué, ils ont déclaré que "trois unités de forces mobiles sont déployées en renfort dans la région afin de prévenir les troubles à l'ordre public". Ils ont également salué "le travail mené cette nuit par les forces de sécurité et les secours et leur mobilisation".

L'objectif est d'évacuer dans les jours qui viennent les trois gymnases ouverts hier soir pour rediriger leurs occupants vers des centres d'accueil d'orientation (CAO).

Y a-t-il eu des réactions politiques ?

L'incendie nocturne et la destruction du camp ont suscité ce matin plusieurs réaction politiques sur Twitter et dans les médias, notamment de la plupart des candidats à l'élection présidentielle.

La présidente du Front National Marine Le Pen a jugé "urgent de remettre la France en ordre", affirmant que "l'immigration massive et incontrôlée conduit au chaos et à la violence." Le socialiste Benoît Hamon a quant à lui rendu hommage à Damien Carême, "mortifié par l'anéantissement du camp de Grande Synthe et des efforts de sa ville pour les réfugiés."


Interrogé pour sa venue à Lille ce mardi après-midi, le candidat de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a déclaré : "le camp de Grande-Synthe était en quelques sortes l'honneur de notre pays puisque c'était un élu local, une équipe locale qui avaient donné une image de la France dont on était fiers".

La maire (LR) de Calais Natacha Bouchart a elle aussi réagi en estimant dans un communiqué que "les événements survenus à Grande-Synthe me donnent une nouvelle fois raison et démontrent qu'il fallait impérativement démanteler 'la jungle' à Calais""

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