L'économiste nordiste souhaite être la candidate des écolos à l'élection présidentielle et présente pour cela un programme écoféministe. Si elle a pour l'instant perdu toutes les élections dans lesquelles elle s'était engagée, localement, elle est qualifiée de courageuse.
En 2022, Sandrine Rousseau aura 50 ans. Pour être certain de ne pas avoir raté sa vie à cet âge-là, certains s'achètent une Rolex, d'autres envisagent un destin politique national. Pour elle, le choix est fait. Avant de fêter son demi-siècle, peut-être dans l'apothéose présidentielle, la Nordiste doit remporter la primaire écologiste dont le premier tour va se dérouler du 16 au 19 septembre. Les deux préférés des militants, parmi Sandrine Rousseau, Eric Piolle, Yannick Jadot, Delphine Batho et Jean-Marc Governatori, accéderont au second tour, ultime stade de départage pour savoir qui portera les couleurs vertes au mois d'avril 2022.
Après Marine Le Pen (RN), Fabien Roussel (PCF), Xavier Bertrand (ex-LR) et sans doute Emmanuel Macron (LREM), Rousseau pourrait être la cinquième candidate à l'élection présidentielle issue des Hauts-de-France. Elle n'est pas native de la région et ne la rejoint qu'au mitan des années 2000 pour prendre un poste d'économiste à l'université de Lille. De front, elle grimpe alors les échelons dans l'académie et dans son parti, EELV (Europe Ecologie Les Verts). Jusqu'à endosser le rôle de vice-présidente de la faculté et le costume de candidate :
- pour la députation en 2012 et 2017 dans la 9e et 21e circonscription du Nord ;
- pour la mairie de Villeneuve-d'Ascq, en 2014 ;
- et pour les régionales en 2015, où elle avait combattu, déjà, Le Pen, Roussel et Bertrand.
Toutes ces tentatives ont échoué.
Il faut attendre 2016 pour que le nom de Sandrine Rousseau commence à être connue en dehors des cercles militants d'EELV (elle est alors porte-parole du parti), des professionnels de la politique et des habitants de la région, pour son rôle dans ce qui sera plus tard appelé "l'affaire Baupin". Son témoignage, ainsi que celui de trois autres élues, a mis en lumière les agissements de Denis Baupin, député écolo, qu'elles ont accusé de harcèlement sexuel. Les faits dénoncés étaient, pour certains d’entre eux, susceptibles d’être qualifiés pénalement, mais ils étaient cependant prescrits, avait à l'époque répondu le procureur de la République, François Molins, après le dépôt de plainte. Denis Baupin, lui, l'avait ensuite attaquée pour diffamation : il a perdu son procès et a même été condamné pour procédure abusive.
"Sandrine est reconnue dans les associations féministes étudiantes : elles nous parlent d'elle avec beaucoup d'admiration pour l'ensemble de son parcours"
Dans ce ping-pong judiciaire, Rousseau a trouvé le coup gagnant : transformer son traumatisme en livre, Parler. : Violences sexuelles : pour en finir avec la loi du silence et en association, En Parler, qu'elle a montée pour favoriser l'entraide des femmes agressées. C'est cette parade qui est louée dans son entourage : ils sont plusieurs à témoigner de "son courage" et de "sa force de caractère". "Sandrine est reconnue dans les associations féministes étudiantes : elles nous parlent d'elle avec beaucoup d'admiration pour l'ensemble de son parcours", affirme Katy Vuylsteker, secrétaire régionale EELV dans la région et soutien de Yannick Jadot à la primaire. Dans son parcours, justement, elle a mis en place, en tant que vice-présidente de l'université de Lille, la distribution de 30.000 kits de protections hygiéniques en 2019. "Grâce à elle, l'université a été pionnière dans l'aide aux étudiantes en situation de précarité menstruelle. Ça a été la première à organiser la distribution des protections périodiques", continue-t-elle.
L'épisode peut être compris comme une illustration pratique de ses engagements théoriques : Sandrine Rousseau se revendique écoféministe, un mouvement qui pense que les maux qui accablent l'environnement sont les mêmes que ceux qui discriminent les femmes dans la société. "Nous sommes dans une société où «on prend, on utilise et on jette» : le corps des femmes, des personnes précaires et des personnes racisées ! Cela n’est plus possible !", répète-t-elle au cours de ses différents discours ou prises de parole dans les médias.
Le système capitaliste s'est nourri de 3 prédations majeures, à savoir celle du corps des personnes noires, des femmes et de la nature.
— Sandrine Rousseau ?? (@sandrousseau) August 30, 2021
Il va nous falloir revoir en profondeur le système économique et social pour le mettre au service du climat et de la justice sociale. pic.twitter.com/k0h2MNhIKF
Pour remporter les primaires écologistes et l'élection présidentielle, elle devra réussir à porter d'autres thèmes que celui de la cause des femmes. "Elle porte un programme féministe, mais il ne doit pas nous enfermer. Sa candidature est également sociale", explique, stratège, Stéphanie Bocquet, conseillère municipale de Lille, présidente du groupe écolo au département du Nord et membre de la #teamRousseau, comme se désignent ses soutiens sur les réseaux sociaux. Y arrivera-t-elle ? Prendre connaissance de sa date de naissance, c'est se poser la question de la place du destin dans une carrière politique : la Lilloise est née le 8 mars 1972, journée internationale des droits des femmes.
En réalité, depuis plusieurs années, elle est montée au front sur plusieurs autres sujets étiquetés de gauche quitte à politiser sa vie privée pour, selon certains, servir ses ambitions : en 2013, la longue agonie de sa mère, confrontée à une longue maladie, lui fait prendre la parole dans les médias pour débattre du suicide assisté ; en 2017, souffrant de sinusites chroniques, elle attaque l'Etat en justice pour dénoncer son inaction concernant la pollution. Avec elle, tout est politique : "J'ai énormément de mal à accepter ses prises de position", constate avec déception Pierre Mathiot, élu directeur de Sciences Po Lille en 2019, justement devant Sandrine Rousseau. C'est peu dire que les deux ne partagent pas les mêmes idées politiques : Mathiot s'est présenté aux élections sénatoriales en 2017 avec les couleurs présidentielles. Mais il finit lui aussi par placer le mot "courage" dans l'un de ses rares compliments : "Elle a eu du courage quand elle a été vice-présidente du conseil régional du Nord Pas-de-Calais, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche. Notamment, quand il a fallu gérer le dossier de la crise financière de l'ESJ (l'école de journalisme de Lille, ndlr)".
"Je la trouve radicale et cela me plaît. Face à l'urgence climatique et démocratique, c'est nécessaire. Il faut en finir avec la politique des petits pas"
C'est que jongler avec les budgets, Rousseau sait faire : elle est dans sa première vie économiste de l'environnement. "Compétente et engagée", selon François-Xavier Devetter, un enseignant-chercheur de Lille avec qui elle a travaillé. "Il est cohérent qu'elle ait voulu donner une traduction plus concrète et politique aux travaux académiques qu'elle a menés", constate-t-il. Electoralement, cette fonction pourrait compenser les clichés accolés aux Verts, selon Anne Mikolajczak, conseillère départementale EELV du Nord et membre du bureau fédéral : "on reproche toujours aux écolos d'être de doux rêveurs et de ne pas avoir les pieds sur terre, ce qui est faux. Mais nous avons besoin de convaincre et cette compétence peut nous aider." Les deux femmes se sont rapprochées quand le personnel de l'université de Lille a donné plusieurs représentations de la pièce féministe Les Monologues du vagin, un peu avant le 8 mars 2019.
Ce n'est pourtant pas cette note de pragmatisme qui ressort de la musique médiatique qui accompagne sa campagne, pour l'instant : "Le monde crève de trop de rationalité, de décisions prises par des ingénieurs. Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR (des réacteurs nucléaires, ndlr)", a-t-elle commenté il y a peu dans les médias. "Je la trouve radicale et cela me plaît. Face à l'urgence climatique et démocratique, c'est nécessaire. Il faut en finir avec la politique des petits pas", argumente Anne Mikolajczak. Une position qui peut plaire parmi les militants écologistes. Mais la difficulté des primaires, c'est qu'il faut convaincre par cercle concentrique : d'abord les plus proches politiquement, et dans un second temps, tous les Français.
"J'ai le sentiment que Jadot, qui bénéficie de la plus grande notoriété, pourra rassembler plus largement. C'est un constat qui n'est pas inhérent à leur personnalité respective"
Et dans son parti, des militants ne la croient pas capable de réussir la deuxième phase, même s'ils le disent tout bas : "Les candidats EELV défendent des approches très similaires. J'ai le sentiment que Jadot, qui bénéficie de la plus grande notoriété, pourra rassembler plus largement. C'est un constat qui n'est pas inhérent à leur personnalité respective", avoue Katy Vuylsteker qui insiste pour ajouter : "mais j'ai énormément de respect pour Sandrine. Elle a une approche singulière et représente quelque chose de différent dans la campagne."
Au départ peu prise en compte dans les possibilités de victoire à la primaire, et moins identifiée qu'Eric Piolle et Yannick Jadot, Sandrine Rousseau a réussi depuis le début de la campagne à faire entendre ses idées. "Quand on part dans ce genre d'aventure c'est pour gagner, pas pour faire de la figuration", tient à rappeler Anne Mikolajczak. Elle a également fini par se faire connaître, notamment à coup de polémiques sur les réseaux sociaux. La dernière en date, son tweet d'hommage à Jean-Paul Belmondo, le 6 septembre : "Merci Jean-Pierre (sic) Belmondo d'avoir porté haut le cinéma français. Une dernière cascade, en espérant qu'elle n'ait pas été difficile". Son équipe de communication explique que ce n'est pas Sandrine Rousseau en personne qui a écrit le message, que le correcteur automatique est à l'origine de la faute d'orthographe et que, même une fois corrigée, l'erreur avait été montée en épingle par ses opposants. Il a alors été retiré. "Qu'importe ce que nous écrivons, nous sommes harcelés sur les réseaux sociaux", se plaint un membre de son équipe.
Rousseau s'y connaît sans doute mieux en littérature qu'en cinéma : elle-même est l'autrice de deux polars, Épluchures à la lilloise. Un bien étrange inspecteur mène l'enquête, en 2007, et deux ans plus tard, Qu'est-ce qui fait pleurer les flics ?. Et dans le roman de sa vie, elle a décidé de passer au chapitre présidentiel.