Témoignage. Affaire Vincent Lambert : "En choisissant la sédation, mon père nous a fait un énorme cadeau"

Publié le Mis à jour le Écrit par Thomas Millot

Alors que le cas de Vincent Lambert et la bataille judicaire autour de son maintien en vie font débat en France, Charlotte Demettre, une quadragénaire nordiste, témoigne du choix de son père, décédé en septembre 2017 d'une sédation longue et profonde permise par la loi Léonetti.

"Il avait réfléchi avant, mais il n’en avait jamais parlé. Il est entré en soins palliatifs un mardi, le mercredi il a annoncé sa décision… Le jeudi, la commission s’est réunie et l'a validée. Vu que son pronostic vital était largement engagé, ils ont entamé la sédation longue et profonde le lundi matin suivant".

Charlotte Demettre, enseignante lilloise âgée de 40 ans, témoigne de cette semaine de septembre 2017, lorsque son père a demandé aux médecins de la polyclinique de Grande-Synthe (Nord) de lui appliquer le protocole permis par la loi Léonetti. Un texte qui a pour objectif d'éviter l'acharnement thérapeutique, sans euthanasie.



Yves Demettre, médecin généraliste à Saint-Pol-sur-Mer, a appris en 2014 qu'il était atteint d'un cancer du colon. "On lui avait annoncé en 2014 qu’il lui restait entre 6 mois et 2 ans à vivre… Il a tenu trois ans", explique sa fille. 

Alors qu'il semble encore en pleine santé, Yves Demettre apprend ce mois de septembre 2017 que son cancer s'aggrave très sérieusement, les tumeurs se propageant partout, notamment au cerveau : "On lui a dit que c’était compromis, qu’à tout moment il pouvait devenir paraplégique ou avoir la maladie de Charcot". Hors de question, pour cet homme de 65 ans, de subir la maladie et de perdre ses facultés.
 

"Mourir dignement"


Yves Demettre a demandé son admission au service de soins palliatifs de la polyclinique de Grande-Synthe, et a tout de suite fait part de sa volonté à l'équipe médicale.

Après réunion d'une commission dans les 48 heures qui ont suivi, deux médecins ont donc validé le protocole de sédation longue et profonde. "C’était difficile pour ces deux médecins parce que mon père était pleinement conscient. On était à la limite de l’application de la loi, mais il était tellement déterminé" se souvient Charlotte Demettre. "Il ne voulait pas que la tumeur entame ses fonctions, et ne voulait pas d’un quelconque handicap. Il voulait mourir dignement, bien", ajoute-t-elle. 

M. Demettre est décédé une semaine plus tard, après quatre jours de sédation.
 


"Un énorme cadeau"


Malgré la soudaineté de cette décision irréversible, Charlotte Demettre raconte avec beaucoup de sérénité la fin de vie de son père, estimant même qu'il avait en cela fait "un énorme cadeau" à elle et au reste de la famille, leur évitant d'assister "à son agonie et à ses souffrances". "Nous, cela nous a tellement apaisés… Je ne conçois pas qu’on puisse laisser quelqu’un de sa famille souffrir", dit-elle.

"On a passé quatre jours avec lui dans la chambre, c’était irréaliste. Quatre jours hors du temps, avec une grande horloge sur le mur. Il était extrêmement serein, tout le monde est venu lui dire au revoir. On a même bu du champagne et mangé des merveilleux", se souvient-elle. 

"Mon père était très catholique, et il a fallu lui trouver un prêtre en dernière minute, qui a validé sa décision parce que la sédation n’est pas un suicide ou une euthanasie. Et il est parti en paix avec ça", raconte l'enseignante.

 


Directives anticipées


L'expérience de la famille Demettre est à l'extrême opposé du déchirement qui fait rage dans l'entourage de Vincent Lambert, le principal intéressé n'étant plus en mesure aujourd'hui d'exprimer sa propre volonté. "Cette affaire me donne envie d’en parler pour que quelque chose soit fait, afin que les gens écrivent leurs directives anticipées et désignent une personne de confiance. Et que ce genre de situation ne puisse plus se produire", souhaite Mme Demettre. "Lui était infirmier, il a dû voir plein de gens vivre ça ! Il est fort possible qu’il ait émis un jugement ou une décision par rapport à ça", ajoute-t-elle.

Charlotte Demettre ne comprend pas le combat mené par la mère de Vincent Lambert pour son maintien en vie : "Je n’arrive pas à me mettre à sa place. Je ne comprends pas comment elle peut vouloir ça, c’est complètement égoïste, juge-t-elle. Quand on repense aussi à l’affaire Vincent Humbert, avec une maman qui s’est battue pour faire arrêter les souffrances de son fils… C’est aussi grâce à elle qu’on a la loi Léonetti".

 



"Un premier pas"


Selon Charlotte Demettre, l'affaire Lambert "ne peut que relancer le débat" sur la fin de vie, même si elle pense que le protocole de sédation longue et profonde n'est qu'un "premier pas". "Ça dure cinq jours. Je ne vois pas l’intérêt de passer quatre ou cinq jours en étant assoiffé et affamé, alors que ça pourrait être plus doux", estime-t-elle, favorable à l'euthanasie, question taboue en France. "Les médecins dosent le produit pour qu’il ne tue pas, alors qu’il peut tuer. Pourquoi s’acharner encore durant ces jours-là ? C’est finalement plus dur à vivre pour les proches, que le moment où la personne s’endort".

Charlotte Demettre souligne par ailleurs, dans ce genre de circonstances, "l’importance de la structure qui accompagne. Mon père a eu la chance d’avoir autour de lui une équipe médicale extraordinaire, ce qui nous a aidés aussi". "Il a eu eu des massages aux mains et aux pieds jusqu'au bout, c'était bien fait. Je suis sûre qu’il n’a pas souffert", conclut-elle.

 
 
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