Cette année, Boulogne-sur-Mer, Dunkerque, Lens et Valenciennes ont vécu leur première pride. Des mois de travail pour quatre associations qui luttent contre les LGBTphobies, hors des grandes métropoles de la région. Anatomie de trois marches des fiertés et de trois types de lutte pour les droits LGBTQ+.
Le mois des fiertés touche presque à sa fin. Chaque année, le mois de juin célèbre et réaffirme la lutte pour les droits des personnes LGBTQ+ à travers le monde. Pendant 30 jours, drapeaux multicolores sont brandis dans les rues, devant les maisons et les commerces, pour rappeler aux yeux du monde que la culture queer (mot tiré de l'anglais qui désigne l'ensemble de la diversité sexuelle et de genre) existe et continue de se battre pour affirmer ses libertés.
Dans le Nord Pas-de-Calais, le point d'orgue du mois de fierté intervient généralement début juin lors de la pride de Lille, la plus grande de la région. Cette année, la 27e édition de cette marche des fiertés s'est déroulée le 15 et a battu un record de fréquentation avec 30 000 participants selon les organisateurs. Un engagement massif pour cette communauté et ses alliés, encore plus lourd de sens en cette période de montée de l'extrême droite et de violences envers les personnes transgenres, notamment.
Suivant cette ferveur, en 2024, la pride du Nord-Pas-de-Calais s'est exportée hors des grandes métropoles d'Arras et de Lille, pour investir des villes de plus petite stature. Dans ces départements, la marche des fiertés n'a pas encore gagné les campagnes, comme cela peut être le cas ailleurs. Mais peu à peu, la culture queer et le tissu associatif LGBT s'exportent, avec des prides organisées pour la toute première fois cette année à Boulogne-sur-Mer, Dunkerque, Lens ou encore Valenciennes. Des évènements avec une identité propre, mais à l'objectif commun : permettre aux personnes LGBTQ+ de se sentir soutenues et de vivre sereinement sur l'ensemble du territoire.
À Lens, une marche familiale sans étiquette politique
Le 25 mai, c'est le Bassin minier qui ouvrait le bal du mois des fiertés avec une pride récemment née, qui a attiré 1000 personnes selon les organisateurs de l'association Couleur qui n'en attendaient "que" 500. Mickaël Billebault est donc évidemment fier du chemin parcouru par sa jeune association, fondée en décembre dernier.
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Le barman originaire de Lens milite pour les droits LGBT depuis de nombreuses années. Mais les dernières marches des fiertés auxquelles il a participé lui ont laissé un goût d'inachevé, le sentiment de ne plus se rassembler que pour faire la fête, sans visée politique. Car avant de devenir les effusions de joie que l'on connaît aujourd'hui, les prides étaient avant tout des commémorations en hommage aux victimes d'homophobie, notamment celles de la violente altercation de Stonewall aux États-Unis en 1969, entre la police et les personnes présentes dans un bar gay.
"Cette pride voulait revenir à ses origines militantes, sans pour autant s'engager sous une bannière politique", raconte Mickaël, également conseiller municipal de Lens. "La pride et le mouvement LGBTI+ sont vindicatifs et politiques. La seule chose c'est qu'on doit rester neutres vis-à-vis des partis politiques. Moi je suis engagé, mais je ne mets en avant aucun parti au sein de l'association." Selon le militant, les 3/4 des participants étaient justement venus pour militer.
Cette pride voulait revenir à ses origines militantes, sans pour autant s'engager sous une bannière politique
Mickaël Billebault, organisateur de la pride de Lens
Une marche des fiertés inclusive, qui souhaitait mettre l'accent sur les familles et l'accès aux personnes handicapées. Malheureusement, cette ambiance pacifique prônant l'acceptation de soi et des autres n'a pas empêché certains débordements : un jeune homme s'est retrouvé pris à partie avec un groupe de gens extérieurs à la manifestation. Les individus l'ont invectivé en lui criant "ici les PD on les brûle", avant de joindre la parole aux actes, en mettant feu à son drapeau. Choqué, le jeune homme s'est rendu au poste de police pour déposer une plainte en compagnie de Mickaël : "Le Bassin minier est souvent oublié des politiques, ce qui donne un terreau fertile à la LGBTphobie."
C'est justement face à ces actes homophobes que l'on constate l'importance d''exporter la pride hors des grandes métropoles. Le militant le souligne : "il faut couvrir un maximum de territoire avec nos assos pour ne pas laisser de brèche aux groupuscules LGBTphobes, qui surfent sur la fracture sociale du coin pour s'enfermer dans la haine."
Il faut couvrir un maximum de territoire avec nos assos pour ne pas laisser de brèche aux groupuscules LGBTphobes.
Mickaël Billebault
La pride militante du Valenciennois
À Valenciennes, la première pride a également repris les codes des premières marches des fiertés créées en Amérique dans les années 60. Le 1er juin, les 250 personnes présentes lors du défilé ont donc participé à une manifestation revendicative et, contrairement à celle de Lens, portée par certaines couleurs politiques.
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Parmi les organisateurs figuraient notamment les Jeunes Communistes (JC) de Valenciennes : "il n'y a pas beaucoup d'associations dans la ville, et encore moins LGBT", relate Camille Edouard, secrétaire des JC de Valenciennes et membre du comité de création de la pride. Les organisateurs ont donc décidé de tracter auprès des jeunes et dans l'Université de Valenciennes, pour trouver de l'aide et faire parler de leur projet.
Quand on prenait le train pour aller à celle de Lille, les wagons étaient pleins à craquer. Et on sait qu'il manquait des gens.
Camille Edouard, membre du comité d'organisation de la pride de Valenciennes
"On savait qu'il y aurait un public", souligne Camille, qui était certain de voir naître une pride à l'est de la MEL cette année. "Quand on prenait le train pour aller à celle de Lille, les wagons étaient pleins à craquer. Et on sait qu'il manquait des gens comme des lycéens et des étudiants qui ne pouvaient pas se déplacer, souvent à cause des parents." Et puis, l'étudiant en informatique souligne que ce n'est pas à Lille que les membres de la communauté LGBTQ+ de Valenciennes ont subi des violences, mais bel et bien dans leur commune, où une légère réticence s'est faite sentir lors de la création du projet. "Ils s'attendaient à une techno parade alors que nous, c'était vraiment manifestation", rit Camille, en grinçant un peu des dents.
Il était donc primordial de rendre un espace aux personnes queer dans des lieux publics, pour briser certaines peurs. "Il faut faire en sorte que les LGBT de Maubeuge, Avesnes ou Cambrai sortent de chez elles, se rencontrent et s'organisent."
Il faut faire en sorte que les personnes queer de Maubeuge, Avesnes ou Cambrai sortent de chez elles, se rencontrent et s'organisent.
Camille Edouard
Un objectif qui a d'ailleurs été atteint, puisque des serveurs ont été créés sur la plateforme Discord pour concocter d'autres évènements culturels et populaires.
La joie d'être ensemble, à Dunkerque
"C'est fou que Dunkerque n'ait jamais eu de pride alors que Calais et Boulogne en ont une." Un constat qui a lancé toute la construction du projet Iris, association LGBTQIA+ à l'origine de la première marche des fiertés du Dunkerquois. Et il faut dire que, selon le coorganisateur de la pride Fabien Mequignon, élaborer cette marche des fiertés n'a pas été de tout repos.
"On a beaucoup attendu les réponses de la mairie, qui tardait souvent à nous répondre. Surtout pour ce qui est de la création d'un village associatif sur la place." Une longue attente et de l'espoir pour finalement pas grand-chose puisque, la semaine dernière, Fabien a finalement reçu un refus catégorique concernant ce fameux village. La Ville explique dans son mail que les espaces publics sont réservés à des évènements municipaux, le maillage associatif de Dunkerque étant particulièrement conséquent, accepter le projet d'une association reviendrait à devoir accepter toutes les autres demandes. Ce qui deviendrait vite ingérable.
Déçus, les membres du projet Iris font fonctionner leurs méninges depuis plusieurs jours pour trouver une alternative à ce village, qui devait permettre de faire de la prévention et des dépistages contre les IST, ou de donner de la place au CEGIDD, SOS Homophobie et au Planning familial pour parler de sexualité et de consentement ou de violences de genre. Des dj sets et des shows de drag queens étaient également prévus. "Mais on ne se laisse pas abattre, on espère qu'avec le succès de la marche et des demandes concernant le village la mairie change d'avis l'année prochaine."
Même si la période politique tombe à pic, on ne veut pas politiser la pride. On veut que ça reste un truc festif comme celle de Lille.
Fabien Mequignon, coorganisateur de la pride de Dunkerque
Il reste donc un peu de chemin à parcourir à Dunkerque pour que la culture queer puisse pleinement imprégner la ville. Ce qui n'empêchera pas les participants de faire la fête le 6 juillet prochain, à la veille du second tour des élections législatives. Contrairement à ses sœurs de Lens et Valenciennes, la marche des fiertés de Dunkerque affiche clairement son côté festif : "Même si la période politique tombe à pic, on ne veut pas politiser la pride. On veut que ça reste un truc où on fait la fête comme celle de Lille."
Ce gérant de brasserie considère que, justement, en ces temps incertains pour la politique française et les droits LGBTQ+, ramener un peu de bonheur à la communauté ne peut pas faire de mal. "Ok il faut revendiquer que nous existons et que nous sommes-là. Mais c'est un moment où les gens se rassemblent, discutent et c'est là que tout le monde peut cohabiter dans la bienveillance et la bonne humeur." Et puis la ville de Jean Bart est une cité de fête, connue pour son carnaval titanesque... Et sa tolérance.
Des commentaires homophobes à Boulogne
La ville de Boulogne-sur-Mer figurait également parmi les communes où une première pride était organisée cette année. Celle-ci était organisée par le Centre LGBTI du Pas-de-Calais - qui n'a pas donné suite à nos sollicitations - le 1er juin dernier.
Un évènement malheureusement victime d'une vague de commentaires homophobes sur les réseaux sociaux, qui assombrit un peu la rétrospective de ce mois des fiertés dans les Hauts-de-France.