Mise en joue, placage et invectives… Deux membres de l’association d’aide aux personnes exilées affirment avoir été agressés par la police ce vendredi 2 août, vers 3 heures du matin lors d’une maraude. L’une des victimes présumées témoigne. La préfecture n’a pour le moment pas réagi à ce récit.
Trois jours après les faits, Eléonore est encore sous le choc. La jeune femme de 26 ans n’a pas réussi à sortir de la maison des bénévoles d’Utopia 56 depuis vendredi. Engagée auprès de l’association d’aide aux exilés, elle affirme avoir été agressée physiquement par deux policiers à l’occasion d’une maraude dans la nuit du jeudi 1er au vendredi 2 août 2024.
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Comme tous les jours ce jeudi soir, une équipe d’Utopia 56 patrouille sur les côtes du Nord. Leur mission : repérer les personnes migrantes en détresse suite à une tentative de traversée de la Manche. Les bénévoles longent ainsi les plages dans leur véhicule et à pied.
“Tout s’enchaîne en deux secondes”
Ce 1er août, Eléonore est en équipe avec Hadi. La “maraude littorale”, comme ils l’appellent, se passe normalement. Ils prennent en charge un groupe de migrants dont la traversée a échoué à Dunkerque, leur distribuent quelques vivres. Ils continuent ensuite à longer la côte.
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À plusieurs reprises, ils rencontrent des gendarmes et des CRS, avec qui ils ont des échanges cordiaux. “On s’arrête pour discuter avec eux, on leur demande s’ils ont vu des personnes en détresse, on poursuit notre chemin”, raconte Eléonore.
Vers 3 heures 30 du matin, ils arrivent à Gravelines et stationnent leur véhicule du côté de Petit-Fort-Philippe. “On se gare et on commence à gérer nos appels d’urgence”, détaille la bénévole. “Et là, tout s’enchaîne en deux secondes.”
Deux personnes arrivent, l’une de chaque côté de la voiture. (...) Tout à coup, on entend trois détonations et on voit ce qui s’apparente à des flammes.
Eléonorebénévole pour Utopia 56
“Deux personnes arrivent, l’une de chaque côté de la voiture. Je suis côté conducteur et je vois une personne avec une arme à la main. Tout à coup, on entend trois détonations et on voit ce qui s’apparente à des flammes”, raconte-t-elle. Éléonore, tout comme son collègue, est formelle : ces bruits ressemblaient bien à des coups de feu. La panique gagne la jeune femme.
Une arme pointée sur eux, plaquée contre le volant
“Puisque moi je n’étais pas touchée, j’étais convaincue que mon collègue était mort. Et je me suis vue mourir aussi. J’ai vraiment cru qu’on allait mourir tous les deux”, relate-t-elle, la gorge serrée. Dans la foulée, on la plaque violemment contre le volant de la voiture. L'un des deux hommes pointe son arme sur les bénévoles. Éléonore entend alors crier : “C’est Utopia, c’est Utopia !” Elle peut se redresser. Elle voit alors son collègue, sain et sauf. “Il m’a fallu un petit temps pour réaliser qu’il n’était pas mort”, souffle-t-elle. Surtout, elle constate avec surprise que les deux hommes qui viennent de les agresser sont en fait des policiers.
J’étais convaincue que mon collègue était mort. Et je me suis vue mourir aussi.
Eléonorebénévole pour Utopia 56
Les forces de l’ordre invectivent les deux bénévoles : “ils nous ont gueulé dessus, en nous demandant ce qu’on faisait là et nous ont dit de dégager”. Les policiers assurent alors les avoir confondus avec des passeurs, comme a pu le constater France 3 en consultant des vidéos et enregistrements d'Utopia 56.
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Confondus avec des passeurs ?
Pourtant, la jeune femme l’affirme : la voiture d’Utopia 56 est identifiée par un logo à l’avant. Hadi et elle portaient également une chasuble aux couleurs de l’association. “Ils voient nos véhicules depuis des années, ils connaissent nos plaques d’immatriculation, ils nous contrôlent tous les jours”, s’étonne la bénévole, qui est dans l’incompréhension totale face à cette violence.
Ils voient nos véhicules depuis des années, ils connaissent nos plaques d’immatriculation, ils nous contrôlent tous les jours.
Eléonorebénévole pour Utopia 56
Les bénévoles et les policiers se séparent. Quarante minutes plus tard, alors que les membres d’Utopia 56 reprennent la route pour rejoindre leur lieu de vie, les mêmes policiers les arrêtent à nouveau pour les contrôler.
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Dans une vidéo que France 3 a pu consulter, Eléonore et Hadi ont filmé les deux policiers lors de cette seconde interaction. On y entend l'un des policiers admettre avoir plaqué la bénévole sur le volant et avoir "sorti et braqué" une arme sur eux. Il nie en revanche en avoir fait usage et avoir tiré.
Contactée, la préfecture du Nord n’a pour le moment pas répondu à nos questions au sujet de cette intervention. L’association Utopia 56 a quant à elle déposé plainte.