Une lettre ouverte au président de la République, publiée samedi 22 octobre, alerte sur la saturation des services pédiatriques à l'hôpital, à l'heure de l'épidémie de bronchiolite. Deux pédiatres hospitaliers, en exercice à Lille et Seclin, expriment leur désarroi.
Manque de lits d'hôpitaux, pénurie de personnel, urgences encombrées... Deux pédiatres du Nord prennent la parole pour raconter la détresse de leur secteur, mise en lumière par l'épidémie de bronchiolite. Il s'agit d'Emmanuel Cixous, président du Syndicat national des pédiatres des établissements hospitaliers (SNPEH) et pédiatre à l'hôpital de Seclin ainsi que de François Dubos, responsable des urgences pédiatriques au CHU de Lille.
Ces deux professionnels de santé font partie des plus de 5.000 signataires de la tribune publiée dans le Parisien, samedi 22 octobre, pour alerter sur la saturation des services pédiatriques hospitaliers. "Nous dénonçons ici la dégradation criante des soins apportés aux enfants qui les met quotidiennement en danger", ont-ils lancé à l'adresse d'Emmanuel Macron.
"On ne sait plus où mettre les enfants"
Comme chaque année, l'épidémie de bronchiolite vient mettre en exergue les carences de la pédiatrie hospitalière. "Après 2 semaines seulement d’épidémies hivernales, habituelles et prévisibles, les services de réanimations pédiatriques partout en France sont saturés", mentionne la tribune. "Tous les hivers c'est l'enfer, lâche François Dubos, du CHU de Lille. Mais cette année, c'est encore plus compliqué."
Le manque de places pour les patients est au cœur du constat partagé par nos deux interlocuteurs. Au CHU de Lille, le service dédié aux épidémies d'hiver est resté "fermé" cette année, regrette François Dubos. Ce qui représente 10 lits en moins pour accueillir des mineurs malades. Il faut ajouter à cela "12 lits de néonatologie qui sont fermés depuis l'été dernier." Au total, "10% des capacités d'accueil en pédiatrie" sont indisponibles actuellement au sein de l'établissement lillois. "Les lits manquent, on ne sait plus où mettre les enfants", résume Emmanuel Cixous, pédiatre à l'hôpital de Seclin.
Si l'épidémie ne semble pas plus importante que les autres années (hors 2020 où le masque et le confinement ont empêché la circulation du virus), la prise en charge de cette infection respiratoire reste particulièrement lourde. Le temps d'hospitalisation d'un patient s'étend entre 2 et 8 jours pour un cas de bronchiolite, soit plus que la durée moyenne en pédiatrie. "Ils prennent plus de place et ils prennent plus de temps." Sans oublier que les autres maladies n'ont pas disparu : appendicite, diabète, gastro-entérite...
Transferts d'enfants, déprogrammations...
Cette saturation des services pèse sur la qualité des soins et pousse le personnel "à prendre des risques". Pour éviter l'encombrement des lits, les patients sont gardés moins longtemps. "On renvoie chez eux ceux dont on se dit "ca va aller", ceux qui ne risquent pas de faire une aggravation majeure, explique Emmanuel Cixous. Alors qu'auparavant on les aurait gardé 12 heures de plus dans nos services." Les durées de séjour aux urgences sont aussi rallongées, car il n'y a pas de lit disponible. "Les enfants stagnent dans des chambres ou sur des brancards", illustre François Dubos. "Il faut trouver des lits, sinon il y aura des morts", alerte Emmanuel Cixous.
Les transferts de patients mineurs, parfois lointains, sont également plus fréquents pour trouver des lits en cas d'urgence. "On s'est retrouvé à transférer des enfants de la métropole de Lille au service de Boulogne-sur-Mer, raconte Emmanuel Cixous. C'est la double peine pour les parents."
Autre conséquence de cette surcharge hospitalière : les déprogrammations. Comme ce fut le cas pour le Covid. Avec la même problématique induite, à savoir que les patients "traînent leur pathologie plus longtemps", comme l'explique Emmanuel Cixous. Des "petites déprogrammations" ont déjà eu lieu au service de Seclin, concernant des troubles alimentaires, des cas d'allergies ou des soucis d'ordre ORL. Dans d'autres établissements, d'autres activités et opérations plus lourdes de médecine ou de chirurgie peuvent aussi être repoussées.
"Pas assez d'infirmières et de pédiatres"
Comment expliquer cette pénurie de lits, responsable de la crise en pédiatrie ? "Le manque de personnel", répondent les intéressés. "Il n'y a pas assez d'infirmières, ni de pédiatres, assure Emmanuel Cixous. Ils s'en vont de l'hôpital, car les conditions de travail sont difficiles." François Dubos confirme : "à cause de ce manque de moyens, on a l'impression de ne pas pouvoir offrir le meilleur soin."
Alors que faire ? "Il faut revaloriser ces professions, mieux les rémunérer et faire des quotas d'effectifs par nombre de patients", avance Emmanuel Cixous. Pour François Dubos, s'il y a également un "manque d'investissement dans la pédiatrie", il y a aussi un problème "d'éducation des Français qui ne consultent pas de façon approprié". Il avise la population à consulter leur médecin généraliste ou le Samu avant de se rendre aux urgences. Enfin, le pédiatre lillois recommande le port du masque et l'instauration des gestes barrières, surtout pour les personnes en contact avec les enfants, afin d'enrayer la diffuser du virus.
Le gouvernement compte sur la "solidarité entre les hôpitaux"
Face à ce cri d'alarme de la profession, le gouvernement a répondu par la voix d'Agnès Firmin le Bodo, ministre déléguée en charge de l'Organisation territoriale et des Professions de santé. Invitée du "8h30 franceinfo", samedi 22 octobre, elle a reconnu un "problème".
"Nous comptons sur la solidarité entre les hôpitaux, sur la solidarité avec la médecine de ville et travaillons à l’ouverture plus prolongée le soir des maisons médicales de garde", a-t-elle affirmé. Sur la question des lits :"Ouvrir des lits bien sûr, mais avec des personnels, et les personnels il faut les trouver [... ] C'est un travail de fond qui a été engagé depuis le dernier quinquennat."