Le 16 novembre 2019, un policier éborgnait Manuel Coisne lors d'une manifestation de gilets jaunes avec une grenade lacrymogène lancée par un "tir tendu". Cinq ans plus tard, un procès criminel a été ordonné contre l'agent de police. Nous sommes allés à la rencontre de ce gilet jaune, marqué pour toujours.
Cinq ans se sont écoulés depuis l'accident, mais pour Manuel Coisne, le traumatisme est toujours aussi vif. Le 16 novembre 2019, ce Valenciennois et gilet jaune de la première heure, recevait une grenade lacrymogène en plein œil alors qu'il manifestait Place d'Italie à Paris.
Depuis ce choc d'une violence inouïe, il a définitivement perdu l'usage de son œil gauche malgré dix opérations pour le sauver. "Je la vois arriver, mais très rapidement, se remémore-t-il, je n'ai pas eu le temps de bouger la tête. Pendant cinq ans, ce sont des passages à l'hôpital, des allers-retours chez l'oculiste pour faire des prothèses. Mais j'attends surtout d'avoir justice."
À ce parcours du combattant médical s'ajoute un marathon judiciaire. Fabrice T., le policier auteur présumé du tir qui l'a blessé, vient de se faire renvoyer devant une cour criminelle, a-t-on appris le 25 octobre 2024.
Un accident documenté
Pour se remémorer les circonstances précises de l'accident, Manuel Coisne a pu compter sur un travail d'orfèvre réalisé par les journalistes du Monde, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous.
Cette vidéo, qui reconstitue image par image le lancer en "tir tendu" de la grenade lacrymogène par l'agent de police, est une ressource qui a permis de documenter l'incident, et qui lui permet aujourd'hui de défendre son dossier devant la justice.
Il y a quatre ans, nous l'avions déjà rencontré pour visionner ce travail d'enquête avec lui.
"Qu'il soit sorti de la police, qu'il n'exerce plus"
Depuis cinq ans, c'est un désir profond de justice qui s'est emparé du Valenciennois. "Quand je dis justice, c'est qu'au moins, il soit sorti de la police, qu'il n'exerce plus. Ou au minimum faire de la prison."
Dans ce combat, il peut compter sur le soutien de Séverine. De toutes les manifestations avec Manuel, elle l'a accompagné dans les épreuves. Impossible pour elle de laisser tomber. "Ça fait cinq ans qu'on se bat, qu'on ne baisse pas les bras. On voit d'autres gilets jaunes mutilés baisser les bras, ils se disent que ça ne sert à rien, « la justice, on ne l'aura pas ». C'est une façon de leur montrer qu'il ne faut rien lâcher et continuer de se battre."
Au cours de la procédure, Fabrice T., actuellement âgé de 49 ans, a contesté les faits qui lui sont reprochés. Il conteste également "les conclusions de l'expert judiciaire qui a déterminé son angle de tir." Confronté aux vidéos, il a concédé que son tir était "quasi tendu", mais nie "être l'auteur des blessures de Manuel Coisne", tout en précisant que si l'enquête démontrait son implication, "cela ne (pouvait) être alors qu'involontaire." L'auteur présumé du tir avait été mis en examen le 30 mars 2023 et laissé libre.
Renvoi devant la cour criminelle
Sur l'ensemble des manifestations de gilets jaunes, près d'une trentaine ont été éborgnés lors de confrontations avec la police. L'avocat de Fabrice T., Me Laurent-Franck Liénard, a déjà fait savoir auprès de l'AFP qu'il fera appel de ce renvoi devant la cour criminelle. "Cette décision est incompréhensible, alors que le parquet avait pris des réquisitions inverses parfaitement fondées en droit", s'est-il exprimé, avant d'annoncer "relever appel de ce renvoi qui semble répondre à d'autres impératifs que la stricte application de la loi."
De son côté, Me Arié Alimi, avocat de Manuel, salue l'avancée de l'affaire. "C'est à mon avis le début d'une succession de procès très importants. Ce sera également un procès de l'histoire. L'histoire du mouvement des gilets jaunes et la façon dont l'État français a réagi face à une mobilisation sociale", estime-t-il. "La poursuite criminelle de ce policier qui a éborgné Manu Coisne avec une grenade est un soulagement."
Dans l'attente de la décision de justice, la flamme gilet jaune de Manuel et Séverine n'est pas près de s'éteindre. "On ne regrette pas de faire partie de ce mouvement, d'avoir commencé et de continuer. On est en « stand by », on attend, on ressortira", assure-t-elle.
Ce procès criminel serait parmi les premiers concernant les violences commises par des policiers lors des manifestations des "gilets jaunes" qui ont débuté à l'automne 2018. Fabrice T. sera jugé pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par une personne dépositaire de l'autorité publique", selon l'ordonnance consultée par l'AFP. Il est accusé d'avoir "volontairement effectué un tir ne respectant pas le règlement en vigueur, car tiré de façon évidente, trop bas, en dessous des 30° minimum requis", soit un tir tendu, écrit la magistrate.
Avec Robinson Radenac et Marie-Noëlle Grimaldi / FTV