Témoignages.  Les gilets jaunes : "La cocotte bout toujours", leur mobilisation est-elle de retour ?

Publié le Écrit par Emmanuel Pall

2018, c'est déjà loin. 5 ans jour pour jour après la première grande manifestation à Paris des Gilets Jaunes, cinq figures du mouvement dans le Nord ou du Pas-de-Calais racontent ce qu'ils sont devenus, ce qu'ils ont vécu alors que le mouvement ne mobilise plus vraiment, alors que les causes défendues sont toujours prégnantes. Ce Samedi 18 novembre de nombreux rassemblements ont lieu partout en France.

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Prix de l'essence, inflation, les causes qui les ont mobilisés sont toujours là et pourtant ils ne sont plus très nombreux sur les ronds points. Témoins et acteurs du mouvement des gilets jaunes qui a commencé sa première grande manifestation le 17 novembre 2018 à Paris, ils se disent aujourd'hui parfois désabusés ou un peu abîmés mais personne de ceux que nous avons joints regrette quoi que ce soit. Certains sont encore engagés, d'autres ne le sont plus en raison de l'évolution de leur famille ou de la vie mais tous ont la certitude d'avoir participé à un grand mouvement populaire contre les injustices. 

Patrice et Carole Grassart, "la cocotte bout toujours"

"C'était pour le pouvoir d'achat, pour aider les gens qui n'y arrivent plus", se remémore Patrice, retraité qui était alors tulliste en dentelle. Aujourd'hui, sa retraite lui permet de toucher davantage que son dernier salaire mais cela reste difficile. Avec 1 800 euros par mois, il faut clairement l'aide de madame, Carole, surveillante de nuit dans un foyer pour personnes handicapées. Aujourd'hui, le couple ne regrette en rien son engagement. Carole explique que le mouvement avait vu juste et que les causes sont toujours d'actualité : "on a manifesté contre le gasoil à 1,50 euro. Aujourd'hui, il est à 2 euros" et dit que son engagement est en "stand-by". "On y retournera", prédit-elle.

On a manifesté contre le gasoil à 1,50 euro. Aujourd'hui, il est à 2 euros.

Patrice, gilet-jaune aujourd'hui retraité

France 3 Hauts-de-France

Sur les avantages et les inconvénients que leur a apportés le mouvement, Carole explique que ce dernier a été un formidable élan de solidarité et des rencontres. Le couple qui a manifesté des dizaines de fois, est notamment parti à Paris ou en Dordogne pour le mouvement et a été invité dans une émission télévisée pour représenter les gilets jaunes. Quant à la solidarité elle s'est exprimée pour des personnes âgées qui n'avaient rien à manger ou pour les chauffer en se donnant des pellets. "Il y a eu une formidable entraide", s'émeut Carole. Sur l'essoufflement du mouvement, comme Anne-Sophie Bastin, le couple estime que "la fatigue" et "la répression" ont considérablement joué, mais que "la cocotte bout toujours", conclut Patrice.

Anne-Sophie Bastin, à la manifestation parisienne du jour

Avocate à Lille, Anne-Sophie Bastin s'est engagée dans le mouvement des gilets jaunes "avec le cœur et la colère", il y a 5 ans pile. Entretemps elle a manifesté à Lille, Paris, Toulon ou Rouen.

"Tout le monde voulait rencontrer tout le monde", se souvient-elle. Le prix de cet engagement ? Une chute de 50% du chiffre d'affaires de son cabinet et l'avocate d'expliquer "J'ai plaidé gratuitement pour les gilets jaunes et je me suis investie beaucoup en temps, également". Aujourd'hui, l'avocate est à Paris et manifestera à partir de 14h30 place Frantz Liszt. Elle rendra aujourd'hui aussi hommage à un gilet jaune décédé à 47 ans hier. Elle dit avoir souffert d'un "inconfort certain", avoir eu sa vie privée "bousculée" mais tout ça a été "accepté". Pour elle, le mouvement n'a jamais cessé. Pour le moins essoufflé néanmoins, aujourd'hui, "ce sont des braises qui couvent sous la cendre", prend-elle comme image. Sur les vertus du mouvement, elle explique que celui-ci a permis aux gens de prendre conscience, qu'il fallait "changer de mentalité" et que cela passait par les membres des gilets jaunes en premier lieu. Davantage de solidarité et d'entraide. "À Lille, beaucoup se sont engagés pour des cantines populaires, des mouvements humanitaires civils ensuite". D'un point de vue psychologique ? "Il y a eu une prise de conscience que le mouvement était une voie de la démocratie, les citoyens ont pris conscience de leur pouvoir d'entraide, de solidarité, et de fraternité".

Anne Josnin, toujours sur les ronds points

Professeure de philosophie dans un lycée, pour Anne Josnin, les gilets jaunes sont encore actifs. La preuve : elle organise un rassemblement au rond-point rue des Frais-Fonds à Longuenesse, ce samedi 18 novembre. Elle se souvient qu'en 2018 "on se retrouvait avec une joie extraordinaire. On pensait avant que la France était un pays individualiste et on prouvait que non". Sur l'avant et après, la professeure estime avoir vécu quelque chose de fort avec les gilets jaunes. "J'ai toujours aimé mon pays, mais là, il prenait chair. Ça m'a pris aux tripes comme pour ma famille, il y avait une vraie conscience de faire partie de ce peuple et se battre ensemble, je pense que c'est, toutes proportions gardées, de l'ordre des anciens combattants". Pourtant, à l'entendre, Anne Josnin n'a pas été épargnée.

Sur la durée, il y a eu des déprimes, des burn out. On était fragiles mais forts ensemble et finalement nous n'avions plus peur de notre vulnérabilité

Anne Josnin, gilet-jaune et professeure de philosophie

"Fichée, inquiétée", elle dit avoir fait l'objet de nombreuses menaces orales et écrites (sur Messenger) si elle n'arrêtait pas tout. Psychologiquement, "avant les manifestations on était stressés deux jours avant, du coup on a mis en place une espèce de cellule psychologique qu'on faisait nous-même, on s'est formé aux premiers secours... Et le dimanche on était K.O. avec des problèmes intestinaux ou des maux de tête après les gaz lacrymogènes. Sur la durée, il y a eu des déprimes, des burn-out. On était fragiles mais forts ensemble et finalement nous n'avions plus peur de notre vulnérabilité". Sur les ronds points, où c'était plus facile, "on se moquait souvent de nous mais on était plein d'autodérision", sourit Anne Josnin. Et finalement, malgré "le courage des gilets jaunes, face à l'armement qu'ils ont en face", le mouvement s'est essoufflé. Et puis, "il fallait remplir le frigo".

Alison Hubert, "élever mes enfants dans les dénonciations des injustices"

Déjà avec Guillaume, son conjoint, en 2018, Alison avait été séduite et convaincue par le mouvement, elle qui se dit "plutôt de gauche" a une aversion pour l'injustice. Elle avait alors organisé sur Facebook une manifestation à Lille, où il ne se passait, alors, pas grand-chose à propos du mouvement des gilets jaunes.

Aujourd'hui mariée à Guillaume, Alison, enseignante, a un enfant de deux ans et un bébé de deux mois. Si elle garde un œil attentif et un peu désabusé sur l'actualité elle s'occupe aujourd'hui de ses deux enfants et reprendra l'engagement plus tard. "Je reste touchée par la tournure que prend le monde actuellement. Il y a beaucoup d'injustices de tous types : nos gouvernants se moquent de nous ainsi que les grands groupes qui dirigent le monde". Pour elle, en 2018, c'était bien plus qu'un rassemblement contre une taxe de plus. "C'était bien plus profond". Cependant "chacun venait avec ses revendications et il n'y avait un manque d'homogénéité sur les revendications", mais il y avait également "de véritables rencontres, une solidarité et une véritable rupture avec la solitude", selon Alison, qui compte bien élever, avec Guillaume, ses deux enfants dans la dénonciation des injustices.

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