Le 1er septembre 1944, juste avant la libération du Nord et du Pas-de-Calais, l'occupant nazi a évacué 871 détenus de la prison de Loos pour les embarquer dans un convoi en direction des camps de concentration. Parmi ces résistants, Raymond Fassin, un ex-lieutenant de Jean Moulin, qui ne connaîtra jamais son fils.
Raymond Fassin n’a pas encore 30 ans quand les Nazis l'évacuent de la prison de Loos. Ce 1er septembre 1944, le jeune homme, ainsi que 870 autres détenus, est déporté vers l’Allemagne, à bord d'un train désormais connu sous le nom du "Train de Loos".
"Toute la journée du 1er septembre, des camions ont amené les prisonniers de la prison de Loos à la gare de Tourcoing", raconte Yves Le Maner, historien et auteur du Train de Loos, le grand drame de la déportation dans le Nord-Pas-de-Calais. "Et un convoi chargé de wagons de bestiaux est parti dans la soirée."
871 détenus déportés
À son bord, il y a donc Raymond Fassin. Ancien instituteur, devenu aviateur puis agent secret de la France Libre, Raymond Fassin est alors l’un des plus proches lieutenants de Jean Moulin. Après l’arrestation et la mort de ce dernier à l’été 1943, on l’a dirigé vers Lille, avec une lourde tâche à accomplir.
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L’homme a été nommé délégué militaire régional, représentant le général de Gaulle sur la zone nord. "Sa mission principale, c'était la mise en place des plans en prévision du débarquement", précise François-René Cristiani-Fassin, le fils de Raymond Fassin.
Je vais naître le 20 juin à la prison de Loos. Enfin, pour l’accouchement, ils l’ont emmenée à Calmette. Puis ils l’ont ramenée ensuite.
François-René Cristiani-Fassinfils de Raymond Fassin et Henriette Gilles, résistants
Recherché par la Gestapo, le résistant est arrêté à Paris, en avril 1944. Il est avec sa compagne, Henriette Gilles, elle aussi résistante. La jeune femme est enceinte. Leur fils, François-René, voit le jour en captivité.
"Je vais naître le 20 juin à la prison de Loos. Enfin, pour l’accouchement, ils l’ont emmenée à Calmette [l’hôpital, NDLR]. Puis ils l’ont ramenée ensuite", précise François-René. "Donc je suis né à Loos, à Calmette, enfin comme vous voulez. Mais je suis né à Lille."
Une déportation "très organisée"
Dans cette prison de Loos, le couple vit séparé. "Ils ont su qu’il y avait eu le débarquement, ils l’ont appris à la prison, évidemment", raconte le fils des deux résistants. "Et puis ils entendaient les vols qui allaient bombarder l’Allemagne. Donc tout ça, ça crée à la fois une joie et une inquiétude. Car qu'est-ce qui va se passer quand les troupes alliées vont se rapprocher de Lille ?"
Malheureusement, on connaît aujourd’hui la suite de l’Histoire. "Ce qu’il s’est passé est bien connu dans la région, puisque c’est l’un des plus grands drames de la déportation du Nord-Pas-de-Calais", souffle François-René. "C’est la formation d’un convoi, le train de Loos. L’un des derniers de la déportation à partir du nord de la France." Ce 1er septembre 1944, seuls les hommes sont emmenés.
Ce qu’il s’est passé est bien connu dans la région, puisque c’est l’un des plus grands drames de la déportation du Nord-Pas-de-Calais : la formation d’un convoi, le train de Loos.
François-René Cristiani-Fassinfils de Raymond Fassin et Henriette Gilles, résistants
Une déportation "très organisée", comme l’explique Laurent Thiery, docteur en Histoire, chargé de recherche à la Fondation de la Résistance : "On voit qu’il y a une préparation en amont puisque par exemple, il était prévu d’emmener certaines femmes, qui étaient jugées parmi les plus dangereuses. Au dernier moment, on ne pourra pas les emmener. Donc ça montre cette précipitation. Mais on est malgré tout dans quelque chose de très organisé, avec des listes qui sont dressées, des gens choisis…"
Un long parcours jusqu'au camp de concentration de Sachsenhausen
Le 1er septembre 1944, les hommes quittent donc la prison de Loos. "Le convoi des hommes s’est monté de bonne heure le matin et ils sont partis", raconte François-René. "Et les femmes sont libérées vers la fin de l’après-midi." Sa mère, Henriette, lui a raconté cette journée : "Il y avait de part et d'autre de la prison, des mitrailleuses en batterie. Et aucune femme n’osait s’avancer dans la cour, bien qu’on leur ait dit qu’elles étaient libres. Elle est partie, paraît-il, avec moi dans les bras, et toutes les autres ont suivi."
Hélas, son père, Raymond Fassin, et ses compagnons d’infortune, sont déjà loin, entassés dans un train dont ils ignorent la destination.
À cette période, en 1944, ce sont souvent des commandos particulièrement meurtriers.
Laurent Thierydocteur en Histoire, chargé de recherche à la Fondation de la Résistance
L’historien Yves Le Maner retrace leur périple : "Après un long parcours par la Belgique et la Hollande, le convoi a atteint l’Allemagne, à Cologne. Avant que les hommes soient intégrés dans le système concentrationnaire nazi, la plupart d’entre eux aboutissant au camp de concentration de Sachsenhausen près de Berlin."
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Rapidement, les 900 hommes de ce groupe sont sélectionnés pour les différents commandos de travail, "là où on a besoin d’une main-d’œuvre esclave et servile assez rapidement", précise Laurent Thiery, le chargé de recherche à la Fondation de la Résistance. "À cette période, en 1944, ce sont souvent des commandos particulièrement meurtriers."
Seulement un tiers des 871 déportés a survécu
Et en effet, Raymond Fassin – déporté si peu de temps avant la Libération du Nord et du Pas-de-Calais – ne reviendra jamais des camps nazis.
"Dans plusieurs wagons, il a été question de sauter du wagon. Dans celui de mon père, il s’est opposé à ça. Il a dit : 'Arrêtez, ne faites pas ça, ils vont fusiller tout le wagon'", raconte son fils François-René. "Moi je ne vous cache pas que j’aurais préféré qu’il saute." Orphelin de père, cet homme de 80 ans a ainsi grandi avec un sentiment d’injustice : "À quelques heures près, j’aurais pu connaître mon père. Et je ne l’ai pas connu. Ça, ça m’emmerde."
Comme Raymond Fassin, la plupart des 871 déportés du train de Loos étaient des résistants. Un tiers seulement a survécu à l’horreur des camps de concentration.
Avec Yann Fossurier, Jean-Marc Vasco et Christophe Chojna